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Frédéric ENCEL ou l’irrésistible ascension d’une géopolitique militante...
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24 juin 2005 20:53
Le 23 mai 1996, l’hebdomadaire français L’Express publie l’interview d’un « spécialiste » en géopolitique qui se présente déjà comme professeur à l’Université de Paris VIII et membre du Centre de recherches et d’analyses géopolitiques (CRAG), dirigé par l’éminent géographe Yves Lacoste[1]. En réalité, ce « professeur » n’est autre que Frédéric Encel, jeune doctorant en géopolitique qui achève à peine sa thèse sur la ville de Jérusalem[2] et qui ne bénéficie d’aucune insertion universitaire particulière, si ce n’est son statut d’étudiant au département de géographie de la dite Université. Ce simple épisode suffirait à témoigner de la « posture » adoptée par ce futur expert reconnu en géopolitique : jouer sur l’ambivalence de ses titres académiques et sur une forme de « multipositionnalité stratégique » qui doit moins cependant à son cursus universitaire et à sa renommée scientifique qu’à ses réseaux sociaux, politiques et sécuritaires.
■ Illusionnisme géopolitique et usurpation académique


Dix ans plus tard, Frédéric Encel continue à cultiver l’ambivalence auprès des médias et des institutions : alors qu’il ne bénéficie toujours d’aucune forme d’insertion professionnelle attestée, il se présente volontiers comme professeur à la prestigieuse Ecole nationale d’administration (ENA) et à l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes, créant ainsi l’illusion de la rigueur et de la « scientificité » de ses analyses[3]. Certes, F. Encel ne fait pas exception. Comme lui, de nombreux experts sécuritaires jouent très largement aujourd’hui sur le flou de leurs titres et de leurs appartenances académiques et institutionnelles (Antoine Basbous, Roland Jacquard, Antoine Sfeir pour ne citer qu’eux), afin de se créer un semblant de compétence, mais surtout pour masquer leurs « liaisons dangereuses », sinon « honteuses », avec certains services très spéciaux. De ce point de vue, F. Encel n’est qu’un produit parmi d’autres de la « dérive sécuritaire » que connaît l’expertise géopolitique et qui a trouvé dans le contexte post-11 septembre un nouveau fonds de commerce médiatique[4]. Pourtant, on ne saurait s’arrêter à cette nouvelle identité corporatiste (l’expertise sécuritaire vulgarisée), désormais valorisée médiatiquement. Car Frédéric Encel n’est pas seulement un « expert à la mode », il est aussi le défenseur d’une « géopolitique militante » qui a conquis ces dernières années ses lettres de noblesse médiatiques. Invité dans de très nombreuses émissions de télévision et de radio (plus d’une cinquantaine de participations entre 2002 et 2005)[5], auteur de tribunes dans le presse écrite (Le Figaro étant son lieu de prédilection), F. Encel tente de banaliser auprès du grand public une vision très idéologique des relations géopolitiques, en général, et de la situation proche-orientale, en particulier. Sous couvert de la neutralité de l’ « expert », du « chercheur » ou de l’« universitaire », F. Encel développe des « théories de sens commun » sur le Proche-Orient qui le rapprocherait davantage des thèses véhiculées par certains cercles du Likoud (principal parti de droite en Israël)[6], voire de l’extrême-droite, que des « nouveaux historiens » israéliens (historiographie critique)[7]. Sur ce plan, l’on peut affirmer que la nouvelle « coqueluche géopolitique » des médias français a réussi son pari : vulgariser et banaliser en France des analyses sécuritaires et droitières sur le conflit israélo-palestinien qui font l’apologie du culte de la force au mépris des démarches dialogiques et pacifiques. Sur ce plan, le mépris de Frédéric Encel pour un personnage comme Shimon Pérès (Parti travailliste) et son admiration sans borne pour Ariel Sharon (Likoud) ne doivent rien au hasard. Le jeune expert s’inscrit clairement dans une démarche militante qui entend traquer de manière obsessionnelle la « palestinophilie française » et conforter une vision à la fois néo-orientaliste et paternaliste du monde arabo-musulman.


■ Une démarche militante sous couvert d’expertise


S’il fallait reconnaître un mérite à F. Encel, c’est celui de brouiller les pistes sur ses affiliations politiques et idéologiques, se présentant tantôt comme un « expert » sympathisant de la gauche républicaine, tantôt proche de certains cercles de la droite « dure » israélienne, encore que ces deux modes de positionnement ne soient pas toujours inconciliables dans les faits car ils renvoient à des espaces politiques distincts : « républicain modéré » en France, « faucon convaincu » concernant le présent et l’avenir d’Israël. Pourtant, au-delà d’une capacité géniale à jouer sur une multiplicité de registres politiques et axiologiques, F. Encel s’inscrit dans une tradition idéologique bien marquée que sa prudence rhétorique parvient à peine à masquer : un attachement à l’une des conceptions les plus radicales du sionisme politique, prônée par le leader d’extrême droite Ze’ev Vladimir Jabotinsky.


Une version aseptisée et présentable de l’idéologie du Bétar


Certaines sources attestent que Frédéric Encel a appartenu dans un passé récent (en 1989, alors qu’il était étudiant en prépa hypokhâgne) à la branche étudiante du Bétar, à savoir l’organisation Tagar-France qui se présente comme « le mouvement des étudiants sionistes » et se réclame précisément de l’idéologie jabotinskyiste. On trouve d’ailleurs sur le site Internet commun au Bétar et à Tagar-France de larges extraits de l’œuvre du père-fondateur, Ze’ev Jabotinsky (1880-1940) : « Mis à part les aveugles de naissance, tous les sionistes modérés ont compris qu’il n’y avait pas le moindre espoir d’obtenir l’accord des Arabes de Palestine pour transformer cette « Palestine » en un Etat où les Juifs seraient en majorité [...]. Par conséquent, un accord de plein gré est inconcevable. C’est pourquoi ceux pour qui un accord avec les Arabes est une condition sine qua non de la politique sioniste peuvent se dire, dès aujourd’hui, qu’il est définitivement hors de question de l’obtenir et qu’il ne reste plus qu’à renoncer au projet sioniste »[8].


On ne saurait faire un procès en sorcellerie à F. Encel et lui reprocher d’avoir appartenu et/ou « cousiné » avec une organisation proche du Bétar. D’aucuns pourraient même y voir une erreur de jeunesse, motivée par sa passion légitime pour Israël et l’histoire du sionisme qui, il est vrai, est mal connue en France et trop souvent caricaturée. Toutefois, cet attachement passé du géopoliticien pour l’une des versions les plus radicales du sionisme politique revêt une certaine pertinence quand on analyse ses récentes prises de positions (2001-2005). En effet, il semblerait que F. Encel n’ait pas complètement rompu avec ses engagements idéologiques radicaux de « prime jeunesse ». Ainsi, en mars 2001, lors d’une conférence organisée à Grenoble par l’Appel unifié juif français (AUJF) déclarait-il : « L’un des grands visionnaires du sionisme politique auquel j’aime me référer, Jabotinsky, avait compris au moins une chose (...) : il ne serait jamais possible de convertir les Arabes de Palestine au sionisme. Il faut donc vivre avec. Mais il faut éviter de mettre en appétit l’adversaire, comme dans le cas du Golan par exemple. [...] Mais le plus important, c’est le rapport de forces moral. Sur les centaines de Palestiniens et d’Arabes que j’ai rencontrés durant mes recherches doctorales, pas un, pas même un demi n’a reconnu le sionisme. Soyons donc sûrs de notre bon droit. C’est un problème de légitimité »[9].

Considérant Ze’ev Jabotinsky comme son maître à penser, sinon comme une source d’inspiration majeure de son analyse proche-orientale, le jeune géopoliticien paraît épouser la même fascination pour les rapports de force, véhiculant l’idée que face à un ennemi commun (les Arabes) la violence est non seulement légitime mais aussi la seule voie possible au règlement de la question : « La paix perpétuelle n’existe pas. [...] Au Proche-Orient, on n’est pas au Benelux. Il y a des rivalités de pouvoir qui sont de type existentiel. [...] Même avec des traités de paix signés avec Israël, l’Egypte, la Jordanie ou même la Syrie, même animées de bonnes intentions, ne reconnaissent pas l’existence légale, ni le doit fondamental et la légitimité pour le peuple juif de se percevoir comme un peuple. Dans l’islam arabe, et dans l’islam de manière générale, la notion de peuple juif est complètement erronée. Il existe une religion juive, pas un peuple [...], tous les orientalistes sérieux vous le disent »[10]. Il en conclue « logiquement », comme son maître à penser, à l’inéluctabilité de la construction d’une « Muraille de fer » entre Juifs et Arabes : « Vous êtes ainsi obligé d’être systématiquement le plus fort et d’utiliser ce que Jabotinsky préconisait : une muraille d’acier »[11].


Dans la droite ligne de l’idéologie du Bétar (politique de concession « zéro » à l’égard des Arabes et des Palestiniens), F. Encel continue aujourd’hui à défendre l’annexion du plateau du Golan par l’Etat d’Israël. A la question d’un journaliste sur l’opportunité ou non de restituer le Golan à la Syrie, le géopoliticien répond sans hésiter : « Je ne crois pas. Trois sources hydrauliques fondamentales, stratégiques et le Mont Hermon lui-même devrait rester sous souveraineté israélienne. [...] Absolument ! C’est un problème moral très difficile. N’oublions pas qu’il s’agit de personnes modérées, souvent travaillistes, qui ont construit leur vie sur le Golan... »[12]. Pour appuyer son argumentation annexionniste, il fournit même des motifs archéologiques et théologiques qui semblent peu convaincants d’un point de vue scientifique : « Cela reste improbable [la restitution du Golan] à l’heure qu’il est, les religieux refusant cet abandon de souveraineté dans une région où des archéologues ont découvert d’importantes traces de vie juive datant de l’époque du Second Temple »[13].

Vincent Geisser
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Pour ceux qui veulent lire la suite de l'article:
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La liberté des autres étend la mienne à l'infini.
 
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