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La finance informelle : Ces milliards qui échappent à la loi
k
20 juin 2008 10:53
De la même manière qu’il existe une économie informelle, il existe une finance tout aussi informelle. Des nababs achètent, vendent, prêtent, empruntent et cèdent à l’abri du fisc et des organismes sociaux. Monographie d’un monde où seul compte «le coup de fusil».

Jusqu’à sa mort en 2004, Mohamed H. n’a jamais travaillé à proprement parler. Depuis le déclenchement de la seconde guerre mondiale en 1939, il a cessé de pratiquer son métier de boucher à Derb Soltane. Il se mit aussitôt à pratiquer la contrebande. Tout y passait en ces années de « boun » : beurre, thé, sucre, fromage, farine, pneus, couvertures… etc. Durant la guerre d’Algérie, il s’adonna au trafic d’armes pour le compte du FLN. Plus tard, à l’indépendance du Maroc, il se reconvertit aux prêts usuriers et à gages. Ayant ramassé ainsi un véritable trésor de guerre, il se mit au négoce donnant-donnant. Pas de facture, ni de bon de livraison ou de commande derrière les transactions. Aucun chèque ou traite en vue, non plus. Il achète en liquide et vend en liquide. Parfois, il vend avant même d’avoir acheté, tout au plus des arrhes pour plomber la «came» avant de la faire livrer et encaisser.

«A Casablanca, une dizaine de nababs animent ce capitalisme rétif aux lois et règlements en vigueur»
Ainsi va le commerce informel de gros. A Derb Omar et Derb Ghallef à Casablanca, comme à Souk Lakhmiss à Marrakech, des tonnes de marchandises s’échangent sans facturation aucune. Les différentes descentes opérées il y a quelques années ont révélé l’origine douteuse de centaines de tonnes de marchandises sur ces lieux où le capital informel trône à l’abri de tout contrôle. A Casablanca, selon des sources concordantes, une centaine de nababs animent ce capitalisme rétif aux lois et règlements en vigueur. Seul investissement vraiment tangible, des dépôts situés à la périphérie, voire en pleine campagne et quelques gros bras affectés autant à la manutention qu’à la protection musclée des marchandises. A la brigade économique de la PJ de Casablanca, l’omerta est de rigueur. On attend l’incident fatal, le clash, la plainte «Du moment qu’il n’y a pas conflit et plainte, nous n’avons pas à nous mêler de ces choses-là. Cela concerne plutôt les services préfectoraux et ceux du fisc». Ce capitalisme fugitif opère tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières. Des milliers de conteneurs sont débarqués sur nos quais avec des déclarations infestées de faux en écritures. La nomenclature est malmenée par des affairistes puissamment assistés de transitaires crapuleux. La corruption vient huiler ce système qui s’attaque frontalement à l’économie productive du pays. C’est ainsi que des montagnes de montres, de portables, de consommables informatiques et autres fausses marques se retrouvent sur nos trottoirs et dans les sacs des «hommes-boutiques». Abdallah R. en a fait sa spécialité depuis l’aube des années 90 du siècle écoulé. «Le commerce est licite, seul le prêt usurier (riba) est illicite», proteste-t-il. Les droits de douane et les obligations fiscales ? «Tout le monde vole dans ce pays, à commencer par l’administration elle-même !», se justifie-t-il. Un rapport élaboré il y a deux ans, sous la houlette de la Direction des études du ministère des Finances, par un collège d’organismes, d’ONG et d’administrations, évalue le volume de la contrebande à plus d’une dizaine de milliards de dollars !
Dans le secteur de l’immobilier, les affairistes pullulent. Ils n’achètent pas de terrain, ils ne construisent rien, ils ne signent aucun compromis de vente, mais ils estampillent la majorité des projets de leurs turpitudes. Ils vendent la propriété d’autrui, parfois même sans son accord. En fonds sonnants et trébuchants, ils guettent l’instant où les banques ferment les robinets au beau milieu d’un projet. Au lieu d’appliquer des taux d’usuriers, ils raflent des dizaines de logements en contrepartie de l’oxygène dispensé au promoteur. «J’ai dû vendre 32 appartements sur 154 au tiers de leurs prix, c’est-à-dire 45% moins chers que le prix de revient, pour m’en sortir. L’acquéreur est venu me faire la concurrence au lendemain de la fin des travaux. Il vendit ce qu’il m’a acheté à 20% moins cher que mes prix !», nous confie Haj Ahmed G., promoteur à El Jadida.
k
20 juin 2008 10:54
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Même dans le secteur productif, autour des machines-outils, le «coup de fusil» impose sa loi. Ainsi, une pièce défectueuse peut être vendue six à dix fois son prix. Laquelle pièce défectueuse peut occasionner la fermeture provisoire, parfois définitive, d’une unité de production. Jilali D. raconte : «Au beau milieu de la crise de la farine, ma minoterie est tombée en panne à cause du système de pilotage électronique. N’étant plus garanti, ce système devait être réparé par une société espagnole moyennant la somme de 84.000 euros, sans compter les délais très longs. En me renseignant à gauche et à droite, je suis tombé sur un technicien marocain qui m’a présenté à son ami qui tient boutique à la ferraille de casablanca. Celui-ci me procura les pièces manquantes flambant neuves en 48 heures et c’est son ami technicien qui remit le système en marche. Coût total : 250.000 DH ! ».

«En vérité, l’administration n’a jamais vraiment engagé des campagnes dignes de ce nom contre le capitalisme fugitif»
Il y a pire : l’argent de la drogue est venu s’installer au centre de ce capitalisme fugitif qui a défié le fric au détriment de toute morale. Certains anciens trafiquants, qui ont dûment payé leur dette à la société, se sont reconvertis dans le business du «coup de fusil». Ils spéculent sur tout ce qui bouge, produits de première nécessité compris. Ils prêtent de l’argent à des taux pouvant aller jusqu’à 300%, stockent le ciment dans des douars éloignés des regards, favorisent le réchauffement de la pénurie dans tous les secteurs vitaux de l’économie nationale. Ayant investi copieusement dans l’immobilier, Karim B. après avoir purgé une peine de six ans de prison dans les années 90, s’est investi corps et âme dans le commerce spéculatif et de contrebande. Dans une ancienne station d’emballage située à l’Oulja, qu’il a purement et simplement transformée en un immense dépôt digne d’Ali Baba, les gendarmes ont saisi un stock colossal composé d’une centaine de produits ! On y a trouvé aussi bien des sacs de farine que des montres !
En vérité, l’administration n’a jamais vraiment engagé des campagnes dignes de ce nom contre le capitalisme fugitif. Des milliards qui se baladent à l’abri du fisc et qui peuvent un jour flirter avec le terrorisme et la grande criminalité, sachant que l’appétit fricard ne s’est jamais fixé des limites, fussent-elles du domaine de la sécurité nationale.

source la gazette du maroc
 
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