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Les femmes musulmanes : entre cliché et réalité
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1 mars 2012 13:53
Les clichés sur l’Orient et les femmes orientales qui se sont imposés très fortement dans l’imagination populaire se sont perpétués en Europe depuis le Moyen Âge[1] [1] Cet article est basé sur une présentation faite par l’auteur...
suite. La projection du mal sur les groupes marginaux ou dépourvus de pouvoir dans une société donnée a toujours été un moyen facile de trouver des boucs émissaires. Les juifs dans l’Europe médiévale étaient des stéréotypes et jugés pour toute une série de crimes fictifs, comme l’empoisonnement des puits ou le massacre d’enfants dans le but de récupérer leur sang, et de crucifier et « cannibaliser » leurs victimes. Dans la même veine, les femmes étaient associées au diable et considérées comme des ennemies de l’Église, d’où une chasse aux sorcières, où les femmes étaient jugées pour sexualité dévorante, cannibalisme et association avec les esprits du mal. La projection du mal sur une culture étrangère a été également caractéristique de l’intolérance dans l’Europe médiévale[2] [2] R. Kabbani, Europe’s Myths of Orient, p. 5. ...
suite, à cause de son ignorance de ces cultures.

2 À l’époque, l’État islamique était l’ogre menaçant non seulement l’Europe, mais également la religion et civilisation chrétiennes. Il était considéré comme un ennemi de l’Europe préparant une confrontation culturelle, religieuse, politique et militaire avec l’Occident. Le Prophète Muhammad a été ridiculisé de la manière la plus délétère et décrit comme un maître-séducteur lubrique, utilisant Dieu pour justifier ses propres débordements sexuels. Gérald de Galles écrivait au xiie siècle que les enseignements du Prophète se concentraient sur la luxure, ce qui convenait très bien aux Orientaux, puisqu’ils vivaient naturellement dans un climat torride[3] [3] Ibid. , p. 14-15. ...
suite. Ces idées, largement diffusées de génération en génération, étaient renforcées par une misogynie bien ancrée dans la psyché européenne. Les femmes musulmanes en étaient doublement avilies : comme Orientales et comme femmes[4] [4] Ibid. , p. 7. ...
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3 La traduction licencieuse des « 1001 nuits » par Sir Richard Burton a connu une grande popularité dans toute l’Angleterre victorienne du xixe siècle et a été considérée comme une œuvre littéraire de grande valeur. Il y dépeint la rusée Shéhérazade qui utilise ses connaissances et son éducation pour sauver sa vie pendant 1001 nuits en racontant à son roi d’interminables histoires érotiques en tenant sa curiosité en haleine. Il faut mentionner que le texte original ne contient que des traditions folkloriques orales d’Inde, de Perse, d’Irak, de Syrie et d’Égypte, racontées en langue vulgaire pour raviver les préjugés courants parmi les masses illettrées, auxquelles était donné en pâture un divertissement bon marché. Les historiens arabes comme Al-Mas’udi en parle de cette façon dans Muruj al-Dahab et Ibn al-Nadim, au xe siècle, jugeaient ces histoires sans valeur littéraire, bien que très répandues chez les illettrés[5] [5] Ibid. , p. 23. ...
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4 D’autres femmes d’Orient sont devenues des icônes de l’art de la Renaissance, et de la peinture, la littérature et la musique du xixe siècle : Cléopâtre descendant le Nil sur sa barge, inondée de parfum pour séduire Marc Antoine, et puis la retorse et exotique Salomé jetant ses voiles afin d’obtenir pour récompense la tête de St. Jean-Baptiste sur un plateau. Les peintres orientalistes comme Jean-Léon Gérôme, John Fredrick Lewis, Jean Lecompte du Nouy, Eugène Delacroix, Luis Riccardo Falero et Jean-Auguste Dominique Ingres, parmi tant d’autres, ont peint d’innombrables scènes de femmes musulmanes alanguies sur des coussins dans une sorte d’hébétude, dansant voluptueusement dans les cours royales, exposées dans des poses érotiques sur les marchés aux esclaves et s’effondrant dévêtues dans les bras d’autres femmes dans les bains turcs, comme des morceaux de bœuf frais sur l’étalage du boucher. À la différence de sa consœur européenne, la femme musulmane nue a surgi dans l’art orientaliste hors de la mythologie et a été confinée dans un endroit bien défini qui, dans l’imagination des artistes, lui conférait un caractère réaliste, attirant pour le public bourgeois. Mais bizarrement, les femmes de ces peintures n’avaient pas l’air étrangères, et se conformaient plutôt aux normes de la beauté européenne : peau pâle, yeux clairs et cheveux blonds ou châtain clair. D’autre part, le « méchant » a presque toujours été représenté dans les peintures orientalistes comme très sombre ou même noir. De plus, il y a un détail que le public semble ignorer. Les artistes européens en visite dans les pays musulmans n’avaient absolument aucun accès aux bains et aux harems orientaux et n’ont vraisemblablement jamais rencontré une femme musulmane dévoilée, et encore moins nue. De plus, bon nombre d’artistes n’a jamais fréquenté les pays orientaux, car ces peintres d’intérieur travaillaient en atelier à Paris et Londres, avec l’assistance d’Orientales postiches. Néanmoins, ces artistes ont réussi à répandre les clichés les plus courants, en représentant, dans la littérature et l’art, les femmes orientales comme des objets sexuels, mauvais, débridés et débauchés, ayant pour seul but dans la vie de séduire et de satisfaire les désirs illicites des mâles orientaux, puis des mâles européens en voyage : chaque femme musulmane devait être une espèce de séductrice.

5 Avant le xviie siècle, les idées occidentales sur l’islam provenaient surtout des récits des voyageurs et des croisés, elles se sont ensuite développées d’après les déductions de certains clercs qui comprenaient mal les textes arabes. Aux xviie et xviiie siècles, l’interprétation des textes arabes est devenue progressivement moins obscure, et les voyageurs vont confirmer la meilleure approximation donnée par les interprétations des musulmans de leurs propres coutumes et expériences. Les voyageurs de sexe masculin n’avaient, dans les sociétés musulmanes, qu’un accès limité aux femmes, et les explications et interprétations qu’ils en ont rapportées, en espérant qu’il s’agissait au moins de vraies représentations autochtones, donnaient surtout le point de vue masculin, sur chaque sujet discuté et compris par les voyageurs eux-mêmes. Au début du xviiie siècle, la version occidentale du statut des femmes dans l’islam, tiré de ces sources, se rapprochait des interprétations agressives et chauvines des modèles islamiques de domination masculine. Cette version a ainsi souvent déformé et dénié le contenu spécifique et la signification des pratiques décrites. Parfois, elle donnait l’islam pratiqué dans les sociétés musulmanes contemporaines, rencontrées par les Européens, ainsi que dans certains pays assujettis, pour la seule véritable interprétation possible de la religion[6] [6] Ibid. , p. 149. ...
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6 C’est ainsi qu’une seconde image des femmes musulmanes a fait son apparition en Occident. Cette image était celle d’une femme ignorante et réprimée que la culture islamique basée sur la religion réduisait à la servitude sous son voile. Son père, son mari ou son frère en était responsable. Il avait le pouvoir de la mutiler physiquement dans le but de l’empêcher de quitter son foyer pour acquérir une éducation, gagner sa vie ou choisir son conjoint de mariage. Elle ne pouvait pas exercer de charge publique ou de profession et n’avait son mot à dire dans aucune circonstance affectant sa vie. Son rôle se résumait à la procréation, aux soins dus aux enfants derrière des portes fermées et à l’esclavage pour le compte du mari et/ou des autres parents masculins. Une fois de plus l’attaque était dirigée contre l’islam lui-même ; il s’agissait à présent d’une religion arriérée, répressive et cruelle asservissant la moitié de ses adeptes, maintenue enfermée. Ceci donnait à l’Europe civilisée ou à l’Occident une raison légitime de coloniser l’Orient islamique et de « civiliser » les autochtones à travers la déculturation et l’occidentalisation forcée. Dans un manuel destiné aux missionnaires et intitulé The Story of Islam écrit par Theodore R. W. Lunt, secrétaire adjoint de la Church Missionary Society for Work Among Young People de Londres, et publié par la même société en 1909 seulement, l’auteur affirme : « La vision de Dieu des musulmans est déformée, décolorée, tordue et fausse, et leur vision de l’homme est déformée de même[7] [7] T. Lunt, The Story of Islam, p. 129-30. ...
suite. » En écrivant sur les femmes : « Et la plus noire de toutes les tâches qui ternissent le nom et la mémoire de Mohammed a été son enseignement sur la Femme et les relations avec elle. C’est vrai que son enseignement pouvait être en avance par rapport aux coutumes des Arabes de son temps, mais il l’a toujours laissée à l’état de possession, et non de compagne “appareillée” à l’homme. Les femmes étaient pour lui des êtres inférieurs, dont la seule mission était de servir leurs maris et d’être mères… Il a accordé un droit “divin” aux musulmans qui peuvent avoir quatre épouses et autant de concubines que leur fortune le leur permet. Ils peuvent également les battre à la moindre contrariété et divorcer selon leur bon plaisir[8] [8] Ibid. , p. 131-2. ...
suite. »

7 Avec de telles idées, le sujet des femmes prit la place centrale des représentations occidentales de l’islam à la fin du xixe siècle, lorsque les Européens commencèrent à se poser en puissance coloniale dans les pays musulmans. Ce positionnement central de la question féminine dans les récits occidentaux et coloniaux sur l’islam semble résulter de la fusion entre la narration ancestrale de l’islam en ennemi de la Chrétienté et de nouveaux récits que la domination coloniale répandait à tout propos pour prouver l’infériorité de toutes les autres cultures et sociétés sur la culture européenne. À la fin, bizarrement, le langage du féminisme qui évoluait en Occident, apparut avec une force toute particulière[9] [9] Kabbani, p. 150. ...
suite. Entre temps, « les pouvoirs coloniaux, en particulier la Grande-Bretagne ont développé leurs propres théories sur les races et les cultures, ainsi que des lois de l’évolution sociale qui faisait de la classe moyenne de l’Angleterre victorienne – avec ses croyances et pratiques – l’apogée de ce processus évolutif, modèle insurpassable de civilisation. Dans ce schéma, la féminité victorienne et ses us et coutumes, comme les autres aspects de la société du centre colonial, étaient considérées comme la référence idéale de la civilisation. De telles hypothèses sur la suprématie européenne, légitimant sa domination sur d’autres sociétés ont vite été confirmées par des “preuves” recueillies par les missionnaires et autres. »

8 Cette même anthropologie émergeante et les autres sciences de l’homme servaient les intérêts de la domination à la fois britannique, coloniale, et ethnocentrique, dans le cadre d’un autre projet d’assujettissement à usage interne. Elles fournissaient les preuves nécessaires à corroborer les théories victoriennes sur l’infériorité biologique des femmes et le caractère naturel de l’idéal victorien de la femme, réduite au rôle domestique. De tels concepts présentaient un intérêt politique pour l’institution victorienne alors en but à la montée de la contestation féministe. Bizarrement, alors que le système masculin victorien développait ses théories pour contrer les exigences du féminisme, en ridiculisant ou en rejetant ses idées, il adoptait le langage du féminisme pour le plier au service du colonialisme et le diriger contre les Autres et leurs cultures. L’idée que d’autres hommes, dans des sociétés situées au-delà des frontières de l’« Occident civilisé » agressaient et maltraitaient les femmes, devait être utilisée dans la rhétorique du colonialisme, pour rendre moralement justifiables les projets visant à défaire ou anéantir les cultures des peuples colonisés. Puisque le monde islamique était considéré comme un ennemi (voire même, l’Ennemi) depuis les croisades, le colonialisme disposait d’un vaste choix d’informations fausses ou tendancieuses à ce sujet[10] [10] Ibid. , p. 150-151. Même si nous, dans le monde islamique,...
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9 À ce point, nous devons examiner les faits identifiant la femme musulmane et les droits et devoirs que sa religion lui accorde. Jusqu’à l’avènement de l’islam au viie siècle, le statut des femmes dans la société tribale pastorale de la Péninsule Arabique était celui d’objet ou de bête de somme (même si, rarement, des incidents ont eu lieu pendant la période de la Jahiliyya, avant l’islam, lorsque la tribu a été conduite par la mère). La femme était exploitée pour le plaisir sexuel, la naissance et l’éducation des enfants et l’exécution des petits travaux qui répugnaient à l’homme. Elle était considérée comme partie intégrante des biens de l’homme jusqu’à faire partie de l’héritage qui se constituait en cas de décès du maître. À l’époque, l’attitude générale des femmes envers leur servitude était celle d’une totale soumission. Elles ne connaissaient pas de meilleur mode de vie et n’avaient pas l’occasion de comparer leur sort avec celui d’autres femmes dotées de droits et de privilèges. Le statut des femmes dans l’ensemble du Moyen Orient n’était pas meilleur que celui des femmes arabes.

10 Après l’avènement de l’islam, pour la première fois, on conféra aux femmes des droits égaux aux hommes dans tous les domaines, à l’exception de l’héritage. Dans la sphère familiale, la femme disposait non seulement du droit de consentir ou non au mariage, mais son consentement devenait une condition de la validité du contrat de mariage, auquel elle pouvait inclure toute condition de son choix, y compris l’interdiction faite au mari de prendre une seconde épouse ; toute enfreinte aux termes du contrat matrimonial annulait automatiquement le mariage. Même si la femme n’était pas consciente de prime abord de son droit de stipuler ses conditions dans le contrat nuptial et qu’elle le découvre à l’issue du contrat, elle avait encore la latitude d’y ajouter ce qu’elle voulait par la suite. Que le contrat soit consenti entre les deux parties est essentiel à sa validité. Lors d’un incident, le Prophète Muhammad a permis l’annulation d’un mariage lorsque la femme lui a dit que son père l’y avait forcée et lors d’un autre incident, l’épouse a reçu le droit d’ajouter ses conditions au contrat après consommation du mariage.

11 Les droits maritaux de la femme étaient définis en fonction de son statut d’épouse et de mère. La respecter était une obligation pour l’époux qui devait subvenir à ses trois besoins fondamentaux : nourriture, vêtements et abri, en fonction du statut social de sa femme avant le mariage. Si le mari n’y arrivait pas pour l’un d’entre eux, elle avait le droit de divorcer. En tant que mère, ses enfants devaient lui obéir et la respecter. Si l’épouse, par exemple, venait d’une famille où les femmes n’allaitaient pas leurs enfants, l’époux était obligé de fournir une nourrice. En tant que fille, la femme était sauvée de l’infanticide, qui était la coutume dans les sociétés pré-islamiques. Elle avait le droit d’hériter et avait le droit d’acquérir, tout en restant l’unique responsable de ses biens, sans aucune interférence possible de la part de sa famille, y compris celle du mari. Ses droits et devoirs civils et religieux étaient égaux à ceux des hommes[11] [11] W. Ali, « Basic Rights of Women in Islam », article...
suite. Le Qur’an et les traditions du Prophète demandaient aux hommes comme aux femmes de rechercher l’éducation sur une même base. Les épouses et les filles du Prophète étaient non seulement expertes dans leur religion, mais également des références en matière d’interprétation des autres traditions religieuses et d’instruction des musulmans dans leur foi[12] [12] Ibid. p. 3-5. ...
suite. L’islam a donné aux femmes le droit de participer à la politique, d’avoir une charge publique et de débattre des articles de loi, de fraterniser et de pratiquer toutes les professions ouvertes aux hommes, y compris la guerre. Le Prophète lui-même avait l’habitude d’avoir à ses côtés une de ses épouses chaque fois qu’il menait campagne. Les versets coraniques sur l’égalité pour la récompense du travail montrent que les hommes et les femmes sont égaux devant Dieu en matière de récompense, lorsque leur travail est égal. Il n’y a ainsi aucune différence entre eux dans la condition humaine, et aucune supériorité de l’un sur l’autre dans le travail[13] [13] Voir Qur’an: III: 195, IV: 32 et 124. ...
suite. Depuis les premiers temps de l’islam, les femmes ont pris part à la guerre et au commerce, en pratiquant les soins dus aux enfants et la médecine, et en instruisant le peuple en privé ainsi que dans les mosquées. Khadija, la première épouse du Prophète, était une marchande, dont le Prophète lui-même fut l’employé[14] [14] Ali, Op. cit. , p. 24-28. ...
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12 Au sujet de l’héritage, dans certains cas, une femme hérite la moitié de la part réservée à un homme et cette loi peut paraître injuste. Cependant, elle a été décrétée parce que l’homme est toujours financièrement responsable de l’entretien des femmes de sa proche parenté : épouse, mère, fille et/ou sœur, tante, cousine (en l’absence d’un autre parent mâle plus proche), tandis que la femme est libre de disposer de son argent et de ses biens comme bon lui semble. Une dépense pour elle-même ou sa proche famille (époux et enfants) d’une partie de sa fortune personnelle sera ainsi considérée comme une dette que le mari doit rembourser. Néanmoins, si une femme désire être financièrement indépendante et dispense de toute obligation son parent mâle le plus proche, elle est également libre de le faire.

13 Le statut élevé que la femme musulmane a atteint au cours du premier siècle de l’islam et dans un laps de temps aussi bref l’a été par l’apprentissage. Encouragée par le Prophète et ses compagnons, elle s’est éduquée selon les principes de sa religion, comprenant la totalité des droits et obligations qu’elle devait mettre en pratique. Elle a acquis tous les types de connaissance : religion, littérature, humanités, droit, médecine ou sciences.

14 Dans le monde islamique, deux sujets intéressent particulièrement l’Occident et mettent les musulmans sur la défensive. Le premier est la polygamie et le second, le voile des femmes. L’islam n’a pas inventé la polygamie. Le judaïsme permettait aux hommes d’avoir un nombre illimité de femmes, en fonction de leurs revenus. David et Salomon avaient tous deux des centaines d’épouses et de concubines bien que prophètes. Les deux Testaments n’ont pas interdit la polygamie, qui a été pratiquée jusqu’au xvie siècle. En 1531, les Anabaptistes prêchaient ouvertement à Münster que tout véritable chrétien doit avoir plusieurs épouses. Lorsque la Guerre de Trente Ans eut diminué considérablement la population de l’Europe Centrale, le Kreistag franconien de Nuremberg a adopté une résolution en 1650, après la Paix de Westphalie, permettant le mariage de tout homme avec deux femmes[15] [15] « Polygamy in islamic law » © copyright 1998, dr. Jamal...
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15 Les Mormons des États-Unis considèrent la polygamie comme une institution divine et l’ont pratiquée jusque dans les années 1970, lorsque cette pratique a été interdite par le code civil. Dans certaines régions d’Afrique, comme chez les Zoulous, les missionnaires chrétiens toléraient la polygamie là où elle était considérée comme une nécessité sociale.

16 Ce que l’islam a fait, c’est de réguler la polygamie en la limitant à quatre épouses, avec chacune les mêmes droits quant à la famille et à l’héritage. Toutefois, la polygamie ne peut être pratiquée dans l’islam que sous certaines conditions comme la maladie ou l’infertilité de la première épouse, ou bien la mort des hommes à la guerre, ce qui réduit le nombre des maris disponibles. Cependant, la condition principale est l’égalité de traitement du mari envers ses femmes. Si un homme ne peut accepter cette condition, alors seule une épouse lui est permise[16] [16] Ali, Op. cit. , p. 64-66. ...
suite. Le texte coranique énonce : « Tu ne pourras traiter à égalité (tes) épouses, malgré toute ta bonne volonté. » Qur’an : IV: 129. De ce fait, certains juristes ont interprété le texte en pratique comme une recommandation à la monogamie.

17 En dépit des diverses interprétations concernant le voile et l’isolement des femmes dans islam, il n’existe pas de texte clair dans le Qur’an qui impose l’un ou l’autre aux femmes musulmanes. « Le Qur’an lui-même n’ordonne pas que les femmes soient complètement voilées ou séparées des hommes, mais parle de leur participation ‘à la vie de la communauté et de la responsabilité religieuse d’adorer Dieu de même que les hommes, [elles doivent] vivre des vies vertueuses et se parer ou se vêtir avec modestie[17] [17] Esposito, Islam and the Straight Path, p. 5. ...
suite. » Pendant le pèlerinage à la Mecque, qui est un des cinq piliers de l’islam, les hommes et les femmes accomplissent les rites sans être séparés. De plus, il est obligatoire que les mains et le visage de la femme soient dévoilés pendant le pèlerinage, comme pendant les cinq prières quotidiennes.

18 Pendant la vie du Prophète à la Mecque et à Médine, les femmes ont contribué à la vie sociale et économique de leurs sociétés, en jouissant de pouvoir social, de viabilité sociale et de liberté. Ainsi, furent-elles très actives durant les premières décennies après l’avènement de l’islam. Les Arabes qui sont sortis de la Péninsule Arabique à la suite de la mort du Prophète en 632, pour conquérir de nouvelles terres, y compris la plupart des possessions byzantines au Proche Orient et la totalité de l’Empire Sassanide, se sont vite transformés en minorité, influencée par les pratiques des peuples conquis. Des exemples de telles pratiques comprennent la forme de gouvernement adoptée par les Abbassides auprès des Persans et les pratiques sociales déjà communes à Byzance, en Syrie et en Perse, telle que l’enfermement des femmes, qui n’a été appliqué qu’à la couche urbaine supérieure des femmes musulmanes pendant les siècles omeyyades (661-750) et abbassides (750-1258) de l’islam[18] [18] Ibid. , p. 204. ...
suite. Ainsi, de façon générale, le statut dont jouissaient les femmes au début de l’islam s’est ensuite détérioré et elles se sont retrouvées derrière des portes closes.

19 La subordination des femmes et la discrimination pratiquée contre elles sont le résultat d’une régression graduelle des conditions sociales et économiques qui s’est produite au Moyen Orient depuis le Néolithique. Le développement de la vie urbaine qui est apparu pour la première fois en Mésopotamie (l’actuel Irak) a accéléré la division existante du travail entre femmes et hommes, qui auparavant avait permis aux hommes de jouer un rôle de plus en plus important dans leurs sociétés agricoles, comme gagnant le pain et source de revenus, de sorte que les femmes pouvaient allouer plus de temps à l’éducation des enfants et aux activités domestiques. La vie urbaine a accentué la dégradation de l’autorité sociale et économique des femmes, en cultivant le développement dans une perspective qui les maintenait dans une position inférieure[19] [19] G. Nashat, « Introduction » à Women in Islam, p. 5. ...
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20 La loi islamique est issue de trois sources. Le Qur’an, que les musulmans considèrent comme une Révélation divine directe, les hadith censés représenter des dires du Prophète et la sunna décrivant les traditions et les gestes du Prophète. En étant sacré, le Qur’an ne laisse place à aucun changement et à aucune intervention humaine. Néanmoins, l’authenticité des dires du Prophète et des traditions le concernant, qui ont été relatés au moins un siècle après sa mort, a été, dans les deux cas, mise en doute dès le départ. Les juristes de l’islam ont développé des arguments justifiant les clauses les plus restrictives, en arguant que même si le Qur’an ne les exige pas, leur promulgation par le Prophète leur donne force de loi. Par conséquent, la Shari’a, la loi religieuse issue de ces sources était également considérée comme infaillible. Les restrictions qui ont été peu à peu imposées au rôle public des femmes et à leur exclusion des domaines d’activité les plus importants de leur société et le contrôle qui devait leur être imposé, résultait à la fois des pires caractéristiques de la misogynie méditerranéenne et moyen-orientale et d’un islam interprété au pire pour les femmes[20] [20] L. Ahmed, Women and Gender in Islam, p. 128. ...
suite. Il faut se rappeler que tous les juristes étaient des hommes et que chaque interprétation résulterait de la capacité intellectuelle de la personne interprétant le Qur’an. Par exemple, la supériorité de l’homme sur la femme vient de ce qu’il est responsable de son entretien et de celui de la famille. Cette responsabilité de gagne-pain a été dictée par la différence de nature entre les deux. L’homme étant physiquement plus fort, il est mieux adapté au travail. La différence naturelle entre l’homme et la femme ne signifie pas que l’un est meilleur que l’autre, ceci veut dire seulement que les deux sont différents ; car aux yeux de Dieu, les deux sont égaux dans leur humanité. Al-Qurtubi (mort en 1272) était un savant et juré progressiste du xiiie siècle qui vivait à Cordoue, la capitale de l’Andalousie arabe et centre d’étude et de culture. Pour lui, cette différence se réfère à l’obligation financière que l’homme a envers ses parentes et affirme qu’une fois que l’homme ne prend plus cette responsabilité, son statut élevé, la qiwama, est automatiquement caduc. Isma’il Haqqi al-Brusawi (mort en 1724), de la province ottomane d’Anatolie explique la qiwama comme un phénomène biologique : l’homme a une barbe, alors que la femme n’en a pas – ce qui lui donne l’avantage sur elle. Ce n’est qu’un exemple de l’importance attribuée à la personne qui interprète le Qur’an et de l’influence positive ou négative qu’une telle personne (homme ou femme) peut avoir.

21 Au cours du xixe siècle, le statut des femmes musulmanes dans tous les pays musulmans était de loin inférieur à celui des débuts de l’islam au viie siècle. De curieuses restrictions sont apparues pour renforcer leur oppression. Ces restrictions laissaient percer un certain nombre de clichés et d’idées fausses, la plus nuisible d’entre elles étant que les femmes sont physiquement et intellectuellement inférieures aux hommes, ce qui implique qu’elles restent totalement dépendantes du sexe opposé. Ceci a conduit à la pire des erreurs de pratique. C’est-à-dire non seulement d’ignorer le consentement de la femme lors du mariage, mais également de la forcer à un mariage consenti par son plus proche parent mâle. Une autre de ces erreurs fut de lui refuser le droit au divorce, quelle qu’en soit la cause. La troisième, de séparer les deux sexes, en demandant aux femmes de voiler leurs visages en public. La quatrième de lui refuser l’éducation, etc.

22 Le tableau n’est cependant pas si sombre. Pendant les dynasties omeyyade, abbasside et fatimide (909-1171), ainsi qu’en Espagne musulmane (711-1494), les femmes parvenaient à un haut niveau d’éducation, et étaient versées dans la jurisprudence, l’histoire, la philosophie, l’astrologie, la littérature et la musique, entre autres arts et sciences. Un nombre considérable de femmes musulmanes a joué à travers l’histoire un rôle important dans la vie publique, gouvernant même des États et battant monnaie à leur nom. Parmi elles, les deux reines du Yémen, Asma’ et sa belle-fille Arwa, qui ont régné au xie siècle ; la fatimide Sit al-Mulk en Égypte au xie siècle et Shajarat al-Durr également en Égypte au xiiie siècle ; la sultane Radiyya à Delhi au xiiie siècle ; cinq khatuns mongoles ayant fondé des dynasties au xiiie et au xive siècles ; en Asie du Sud-Est, sept sultanes qui ont régné aux Indes, trois aux Maldives et quatre en Indonésie au cours du xive siècle[21] [21] Voir Fatima Mernissi, The Forgotten Queens of Islam, Cambridge,...
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23 En général, le statut des femmes musulmanes a commencé à se déliter après que les climats politiques et économiques de leurs pays aient connu le pire au cours des xviie, xviiie et xixe siècles, entraînant dégradation sociale et stagnation intellectuelle, qui ont creusé le lit d’un détournement de l’interprétation religieuse dans une manipulation destinée à exclure les femmes de la société. Cependant, en dépit de cette régression, une école médicale pour la formation de femmes docteurs a vu le jour au Caire en 1832[22] [22] Ibid. p. 134. ...
suite, alors que la premier lycée pour les femmes aux États-Unis n’a été ouvert qu’en 1824[23] [23] Scanzoni et Scanzoni, Men, Women and Change, p. 22. ...
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24 Finalement, l’avènement de l’économie occidentale avec son cortège de changements sociaux au sein du monde islamique, l’adoption des idées de liberté et d’égalité, empruntées à la Révolution française par les intellectuels musulmans à la fin du xixe siècle et la naissance de l’idée de nationalisme parmi les jeunes dirigeants musulmans, ont affecté hommes et femmes de manière complexe à plusieurs niveaux. Les intellectuels mâles ont commencé à appeler à l’émancipation des femmes et pour la première fois dans l’histoire, les femmes ont découvert leur cause au centre de revendications nationales et ont commencé à jouer un rôle actif et positif. Les réformateurs sociaux et politiques d’Égypte et de Turquie ont demandé à ce que le voile soit retiré et que plus de liberté soit accordée à leurs consorts féminines, tandis que le droit de vote des femmes passait au centre des préoccupations politiques.

25 Depuis les années 1960, un nouveau mouvement politique, religieux et social a commencé à se développer à travers tout le monde islamique ; et après la révolution iranienne de Khomeini en 1979, il s’est propagé comme feu de brousse. Le mouvement s’est fait connaître sous le nom d’« islam fondamentaliste », terme lié à l’origine aux mouvements protestants évangéliques des États-Unis, se référant aux sources bibliques. Les médias occidentaux ont cependant appliqué ce terme inadéquat aux mouvements islamistes politiques et la presse du monde islamique l’a bien vite adopté.

26 L’islam politique fit son apparition en Égypte, en 1928, lorsque Hassan al-Banna (1906-49), fonda la Fraternité musulmane pour libérer le pays de la domination coloniale britannique. Néanmoins, ce que l’on appelle islam fondamentaliste n’a pris de l’ampleur qu’après la guerre de 1967 entre Arabes et Israéliens et la défaite scandaleuse qui s’en est suivie pour les premiers. À l’époque, l’atmosphère dominante au sein des masses, surtout dans le monde arabe, était une amère déception face à leurs dirigeants. Jusque-là, tous les politiciens et stratèges les avaient trompés et déçus ; il ne restait plus qu’une puissance en qui placer sa confiance, qui ne les avait pas et mieux encore, n’allait pas les trahir : c’était Dieu. Ainsi le peuple s’est-il réfugié dans la religion pour fuir une réalité politique et physique déprimante et frustrante, à la recherche de réponses à l’irréalité de leurs doutes et questionnements. Le succès de la révolution de Khomeyni en Iran a contribué puissamment à renforcer et à répandre le fondamentalisme islamique à travers toute la région.

27 Tout comme les mouvements fondamentalistes juifs et chrétiens, le fondamentalisme islamique connaît de nombreuses sectes et sous-divisions, en fonction de l’interprétation de la religion, propre à chaque faction. Les principes extérieurs de tels mouvements sont évidents : surtout demander justice en appliquant les préceptes religieux dans la vie de tous les jours, tandis que l’objectif suivant est en général de manipuler la religion en vue de gagner le pouvoir politique. Le fondamentalisme islamique a servi ainsi de nombreux intérêts, y compris occidentaux, en dépit des dénégations. L’inimitié traditionnelle contre l’islam s’est ravivée, après l’écroulement du bloc communiste, sous la forme d’une nouvelle menace contre la civilisation occidentale ; ainsi les musulmans font-ils surface dans les médias de l’Occident, représentés en marchands de pétrole, terroristes ou fanatiques anti-occidentaux assoiffés de sang. Le problème des femmes musulmanes a donc été une fois de plus monté en épingle dans la presse occidentale. De nouveaux clichés, basés sur des films comme La Mort d’une Princesse et autres, ont été mis en circulation Le voile des femmes y était au centre de la scène. Mais cette fois-ci, le voile imposé ou que les femmes contemporaines ont adopté volontairement est totalement différent du voile des premières décennies du xxe siècle, que les femmes ont arraché de haute lutte. Le voile d’aujourd’hui (hijab) qui ne couvre pas le visage et les mains, a plusieurs buts : suivre ce que certaines femmes considèrent comme des préceptes religieux, se protéger du harcèlement sexuel au travail et économiser de l’argent dans les groupes aux revenus modestes, surtout chez les étudiantes, sommées de suivre la mode par les pressions de leurs pairs fortunées : les femmes voilées n’ont besoin ni d’aller chez le coiffeur ni de s’habiller à la dernière mode. Plus significativement, il est devenu une forme d’affirmation de l’identité de la femme musulmane contemporaine et un symbole de résistance à la culture étrangère et à l’Occident, qui a menacé et dégradé leur propre civilisation, religion et sexualité. Plutôt, les femmes musulmanes éduquées combattent non pas le hijab, mais le niqab, le voile qui cache complètement la femme en ne laissant qu’une petite ouverture pour les yeux. Ce qui leur impose un nouveau genre de réclusion difficile à définir. Ce type de voile, même s’il n’est pas très répandu, paraît avoir de plus en plus de succès, surtout chez les étudiantes d’origine modeste. Néanmoins, à cause de sa récente popularité, surtout après la guerre d’Afghanistan, il n’existe aucune d’information complète ou étude sur cette régression. Il pourrait s’agir d’une montée du fondamentalisme islamique provoquée par la discrimination et le double jeu pratiqués en politique internationale dans le cas des affaires concernant l’islam en général et les Arabes en particulier.

28 Au début du xxie siècle, le statut des femmes musulmanes est des plus varié, de Premier ministre à balayeur des rues. Néanmoins, il faut tenir compte de deux points. Premièrement, le monde musulman est vaste. Il recouvre des régions qui vont de l’Océan Atlantique à l’Afrique sahélienne, au Moyen Orient et à la Péninsule Arabique, puis à l’Asie Centrale et du Sud-Est. Simple fait qui rend impossible toute généralisation destinée à affirmer que les femmes sont ou non émancipées. La condition des femmes tunisiennes n’a, par exemple, rien à voir avec celle des femmes saoudiennes. En Tunisie, les femmes ont atteint une égalité totale et absolue avec les hommes dans tous les domaines de la vie depuis les années 1950, tandis qu’une femme saoudienne n’a pas le droit de prendre un taxi sans être accompagnée par un parent mâle. Cependant, avec les progrès de l’éducation et le développement des moyens de communication, les changements se produisent partout à différents degrés. La solution soutenue par les Occidentaux est que les femmes musulmanes devraient adopter la culture et le mode de vie occidentaux pour s’émanciper. Mais comment opérer la substitution d’une culture à une autre, non seulement dans la population de toute une société, mais dans les populations d’un grand nombre de sociétés[24] [24] Ahmed, Op. cit. , p. 128-129. ...
suite ? Et que se passe-t-il si la majorité de ces femmes ne veut pas être émancipée, au sens occidental du terme ? Le second point est que nous vivons dans un monde dominé par les hommes. Ce sont les hommes qui font et défont les règles. Le fait que tout droit des femmes, non seulement dans les pays musulmans mais aussi dans le monde entier, doit être accordé ou retiré par l’homme, prouve suffisamment la domination internationale masculine. Chaque jour et pendant des siècles, les hommes juifs ont répété cette prière : « Béni sois-tu, ô Seigneur, notre Dieu, Roi de l’Univers, qui ne m’a pas fait femme[25] [25] Vincent, A Woman’s Place, p. 9. ...
suite. » Pour citer la Bible : « … tu enfanteras dans la douleur, tu seras au pouvoir de ton mari, et il te dominera », Genèse 3, 16.

29 Rien ne devrait cependant décourager les femmes de combattre pour leurs droits. Si aujourd’hui l’avenir leur appartient, un jour ce sera le présent. Comme disait Theodore Roosevelt : « Nous apercevons à travers les dangers le magnifique avenir et nous nous en réjouissons comme un géant revigoré… les grandes victoires restent encore à gagner, les hauts faits restent encore à accomplir. »
 
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