Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
La fatale détermination des boat people africains
20 mars 2006 12:38
La porte marocaine des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla s'étant fermée, les filières d'émigration clandestine passent désormais par la Mauritanie.


LE TÉLÉPHONE chantonne dans la poche de l'officier de la direction maritime. La conversation est brève. «On a retrouvé un corps sur la plage», explique-t-il, avec un haussement d'épaules. Depuis la mi-février, l'océan rejette régulièrement des cadavres sur les plages autour de Nouadhibou sans que plus personne ne s'étonne.

Le tranquille port de pêche du nord de la Mauritanie est devenu, ces derniers mois, le point de départ des candidats à l'exil vers les îles Canaries. Poussés par la misère, ces boat people africains sont des milliers à attendre en ville une occasion de tenter leur chance vers l'eldorado européen. Le parcours, bien rodé, est presque toujours le même. Les migrants embarquent de nuit à bord de cayucos, de longues barques de douze à dix-sept mètres de long, et prennent le large. Le bateau, chargé d'une cinquantaine d'hommes, longe ensuite la côte marocaine avant de piquer vers Las Palmas.

«Cela donne l'impression effroyable d'être facile. Il suffit d'acheter un bateau, deux moteurs, quelques centaines de litres d'essence et un système de guidage satellite GPS», détaille Ahmedou Ould Haye, le responsable du Croissant-Rouge local. Et à Nouadhibou, le trafic des clandestins a vite supplanté ceux, traditionnels, de cigarettes ou d'alcool. Pour les rares chanceux, le voyage dure trois jours. Mais d'après le Croissant-Rouge, plus d'un tiers des clandestins périraient noyés. Les autres, rejetés sur les rives africaines, finissent dans l'une des geôles improvisées de Nouadhibou.

Arrêté le 12 mars, Alassane Dieng a échoué. «Je n'ai pas eu de chance, Dieu n'a pas voulu.» Il avait quitté dix jours auparavant Dakar en voiture, bien décidé à «aller en Europe». «Dès que je suis arrivé à Nouadhibou, j'ai payé et je suis parti le lendemain», affirme-t-il fièrement. En mer, pourtant, les choses se compliquent vite. «Sur le bateau, nous étions quarante-trois. Il y avait de très grosses vagues et le capitaine, un pêcheur sénégalais, ne savait pas se servir du GPS. Alors, on s'est perdu», raconte-t-il. L'embarcation va errer cinq jours sur l'océan avant de se briser sur les côtes marocaines.

L'expérience n'a en rien douché son enthousiasme. Bien au contraire. «Au Sénégal, je n'ai rien. J'ai été maçon cinq ans et je ne peux même pas m'acheter une télé. En Europe, je pourrai travailler et aider ma famille. Dès que je peux, je retourne sur le bateau.» Autour de lui, ces 130 codétenus approuvent bruyamment. Tous n'ont plus qu'une idée : une expulsion rapide vers leur pays natal pour mieux revenir. «Si je dois mourir, ce n'est pas moi qui décide, mais Dieu. Pourquoi ne pas essayer de nouveau», lance Seydou.

Même Ousman semble contaminé par la fièvre ambiante. Blotti sous une couverture, ce Malien de 22 ans a pourtant failli perdre la vie. Une lame l'a arraché à son cayucos. Il a dérivé seul deux jours avant d'atteindre la grève. Comme les autres, il garde en mémoire l'aventure de ce pêcheur qui, en juin dernier, serait parti seul aux Canaries «dans une petite barque». «C'est lui qui a donné l'idée. Il est arrivé à Las Palmas et a téléphoné», jure Ousman. La légende s'est répandue comme une traînée de poudre gagnant Bamako, Dakar, Bissau, enflammant les esprits.

Mauritanie, maillon faible

Pour Yahfdou Ould Amar, directeur de la sûreté, l'origine du flux de clandestins est nettement moins romanesque. «Depuis que le gouvernement marocain a rendu impossible l'accès aux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, la Mauritanie est devenue le maillon faible. La traversée, qui coûte environ 500 euros, est aussi beaucoup moins chère que les 3 000 euros d'un voyage vers le Maroc», analyse le policier.

Depuis septembre, il assiste, impuissant, à l'arrivée des migrants dans sa ville. Plus de 1 500 en février. Dans la seule journée du 7 mars, une banque de Nouadhibou a distribué près de 150 000 euros en liquide à des Africains de l'Ouest. «On sait que tous vont essayer de partir mais comme la Mauritanie a un accord de libre circulation avec les pays voisins, je ne peux pas les arrêter avant qu'ils se soient embarqués», précise-t-il. Or, faute de moyens et d'hommes en nombre suffisant, il reconnaît qu'il «est impossible de surveiller toutes les plages». «De toute façon, aujourd'hui les clandestins partent aussi de Nouakchott et même de Saint-Louis au Sénégal.»

Sur le petit port de pêche artisanale de Nouadhibou, bien des barques restent désormais échouées sur le sable faute de capitaine. Ils sont partis. Non loin, un petit chantier naval résonne de coups de marteau. Quatre bateaux sont en construction. «Des barques rien que pour la pêche», jure un ouvrier tout sourire.

Source : [www.lefigaro.fr]
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook