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Exclusif. Les questions que vous vous posez sur les discours royaux
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16 mai 2010 11:12
Par Souleïman Bencheikh




Exclusif. Les questions que vous vous posez sur les discours royaux

Protocole. Mohammed VI entouré de son fils Moulay Hassan et son frère Moulay Rachid. (AFP)


Ils rythment la vie politique du pays et, à travers eux, Mohammed VI décline ses desiderata, distribue les bons ou les mauvais points. Ils sont le rendez-vous obligé des officiels du régime, mais aussi de tout un peuple avec son roi. A l’heure où les discours des plus grands chefs d’Etat sont passés au crible, que dire de ceux de notre roi ? TelQuel a mené l’enquête.


Dans toutes les sociétés humaines, qu’elles soient dictatoriales ou démocratiques, le discours politique tient une place de choix. Il est la
rencontre d’un homme et d’un auditoire, le moment privilégié qu’un chef fait partager à ses ouailles. Quand le discours émane d’un chef d’Etat, il peut donner lieu à tous les excès et à toutes les codifications, on y trouve le meilleur, mais aussi le pire. Qui a oublié les dantesques discours de Fidel Castro ? Tout le gratin cubain, inconfortablement installé face à l’estrade présidentielle, se voyait imposer jusqu’à dix longues heures de harangues du Lider Maximo. Qui a oublié les diatribes du président libyen ? Ou, pour rester chez nous, qui ne se souvient pas des discours de Hassan II ? Pas besoin cependant de remonter aux fameux awbach et autres perles du défunt roi : les discours de Mohammed VI ont aussi leur hit-parade.

Qui prépare les discours royaux ?
Un membre du Cabinet royal : “Le Cabinet royal fonctionne presque exclusivement en français.”

Comme tous les chefs d’Etat, Mohammed VI n’écrit pas lui-même ses discours mais, au sein du Cabinet royal, toute une équipe les rédige pour lui. Une de ces “petites mains” raconte : “Quand il s’agit d’un discours important (ndlr : de la Fête du trône, le 30 juillet, de la Marche Verte, le 6 novembre, ou de la Révolution du roi et du peuple, le 20 août), nous nous y prenons trois mois à l’avance. Il peut y avoir jusqu’à dix personnes qui mettent la main à la pâte pour un seul discours. Mais certains discours sont faits entièrement par l’équipe d’un seul conseiller, et dans ce cas, il n’y a pas plus de trois personnes qui planchent dessus”. Autrement dit, il faut toujours voir la griffe de Mohamed Moâtassim dans les discours à connotation politique, et celle de Abdelaziz Meziane Belfkih dans les discours à dominante technique. Le premier est parfaitement arabophone, le second est plus à l’aise dans la langue de Molière. Ce n’est pas un hasard si, contrairement aux idées reçues, la première mouture des discours royaux est très souvent en français.

Le roi fait-il de l’audimat ?
Younès Alami, directeur général de Marocmétrie : “Marocmétrie n’est censé donner ses résultats complets, et notamment la mesure d’audience des discours royaux, qu’à ses clients.”

La politique n’est pas vraiment le sport favori des téléspectateurs marocains… C’est en tout cas ce qu’a révélé l’enquête de Marocmétrie sur la période courant de mai à août 2008. Des émissions telles que Hiwar, de Mustapha Alaoui, ou Moubacharatan maâkoum, de Jamaâ Goulahcen, ne font pas partie des dix émissions les plus regardées sur Al Aoula et 2M. Mais là où les politiques échouent à attirer les téléspectateurs, Mohammed VI fait toujours un bon score. Le discours du 20 août 2008, dans lequel le roi a notamment insisté sur la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, a ainsi été suivi par plus de 35% des téléspectateurs. Et encore, précise Younès Alami, directeur général de Marocmétrie, “il ne faut pas oublier que les résultats de notre étude ne prennent en considération que 2M et Al Aoula. Nous ne savons pas combien de Marocains ont regardé le discours sur d’autres chaînes, parfois en différé”. Reste que les discours royaux ne figurent pas dans le classement établi par Marocmétrie des dix émissions les plus regardées. Et pour cause : ils concourent hors catégorie. “Aucune comparaison n’est possible avec les émissions traditionnelles”, assure d’ailleurs Younes Alami. Dont acte.

Les discours royaux sont-ils tous aussi importants les uns que les autres ?
Un membre du Cabinet royal : “Le discours le plus important est celui de la Fête du trône ; suivent celui de la Marche Verte et celui de la Révolution du roi et du peuple.”

Dans une vie de roi, a fortiori celle de Mohammed VI, s’il y a un rendez-vous annuel à préparer soigneusement, c’est bien le discours du trône. Chaque 30 juillet, Mohammed VI commémore son accession au trône et reçoit l’allégeance de tous les notables du royaume. Le discours prononcé à cette occasion est l’un des moments forts de notre vie politique. Le roi y décline l’état d’avancement des chantiers de son règne et fixe les priorités auxquelles doit s’atteler le gouvernement. C’est par exemple un 30 juillet (2005) qu’il a annoncé le lancement de l’Initiative nationale de développement humain (INDH) ; c’est également un 30 juillet (2007) que l’expression “roi citoyen” a été employée pour la première fois. Mais Mohammed VI a aussi d’autres moments privilégiés. Le discours d’ouverture de chaque session parlementaire d’automne est ainsi l’occasion d’annoncer de grandes réformes politiques ou de sermonner les partis. La commémoration de la Révolution du roi et du peuple, chaque 20 août, mais également l’anniversaire de la Marche Verte, sont autant de rendez-vous que le roi ne rate jamais : le premier fait de Mohammed VI le digne héritier de son grand-père, le second le place dans la continuité de son père.

Les discours royaux ont-ils évolué depuis Hassan II ?
Un proche collaborateur de Hassan II : “Hassan II était un homme de communication. Il saisissait la moindre occasion d’accueillir une conférence et d’y tenir un discours. Les discours de Mohammed VI sont au contraire beaucoup plus rares et formels.”

“Le style, c’est l’homme”, avait coutume de dire Hassan II. Et c’est justement là ce qui fait la différence entre le père et le fils. “Pour préparer certaines de ses interventions, Hassan II n’hésitait pas à convoquer lui-même le ministre, voire le directeur concerné. A chaque fois, il semblait prendre plaisir à montrer sa connaissance de tous les détails techniques”, confie un collaborateur du défunt roi. Se sachant tribun brillant et discoureur éloquent, Hassan II se délectait de ses interventions publiques et les préparait lui-même avec minutie. Avec Mohammed VI, l’esprit des discours royaux a changé : ils ne sont plus le rendez-vous privilégié d’un souverain qui paraît désormais leur préférer bains de foule et visites de terrain. De fait, lors de ses discours (toujours télédiffusés en direct), Mohammed VI ne quitte pratiquement jamais des yeux le texte que lui a préparé son Cabinet. Ses interventions sont toujours aussi courtes que celles de son père (10 à 15 minutes en général), mais il ne semble jamais y avoir de place pour l’improvisation.

Les discours royaux sont-ils sacrés ?
Un jugement de la Cour suprême (1960) : “Une déclaration et un ordre du roi ont force et valeur de loi même s'ils n'ont pas été publiés au journal officiel et diffusés par la presse et la radio.”

La forme des discours royaux est toujours empreinte de solennité. Les discours que le roi adresse à son peuple commencent d’ailleurs toujours par la même formule : “Louange à Dieu. Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons”. Une référence religieuse loin d’être anecdotique. Dans Le sujet et le mamlouk (Mille et une nuits, 2007), l’historien Mohamed Ennaji analyse ce qu’il appelle “le verbe impératif” des rois : “Le silence est la règle, la parole légitime est celle du souverain. La construction du modèle autoritaire musulman a conforté ce privilège propre aux rois en assujettissant les sujets à la parole indiscutée. Dans le modèle prophétique, cette consécration est évidente. Nul ne doit lever la voix devant le Prophète. (…) Le modèle maître/esclave est alors à son paroxysme”. La référence prophétique est ainsi le préambule à tout discours royal : la transcendance symboliquement revendiquée par le roi rejaillit sur ses mots, qui ne sont plus susceptibles ni de discussion, ni de débat. En un mot, ils sont sacrés. Cette sacralité fait d’ailleurs partie de ce que certains juristes appellent la supra-Constitution marocaine, à savoir les principes fondateurs et inamovibles de la norme suprême.

Quel est le discours le plus marquant de Mohammed VI ?
Discours de Mohammed VI à l’occasion du 34e anniversaire de la Marche verte, 6 novembre 2009 : “En toute responsabilité, Nous affirmons qu'il n'y a plus de place pour l'ambiguïté et la duplicité : ou le citoyen est marocain, ou il ne l'est pas. Fini le temps du double jeu et de la dérobade. L'heure est à la clarté et au devoir assumé. Ou on est patriote ou on est traitre. Il n'y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison.”

Mohammed VI prend tout le mode de court, ce 6 novembre 2009, par le ton particulièrement tranché et virulent de son discours. Quelques jours plus tard éclate d’ailleurs l’affaire Aminatou Haïdar, qui met le royaume dans une position diplomatique et médiatique délicate. La plupart des observateurs ne peuvent alors s’empêcher de signaler cet étrange hasard du calendrier. Le discours de Mohammed VI ne visait-il vraiment que les indépendantistes sahraouis ? Le point est clarifié quelques semaines plus tard, lors d’un discours inattendu du souverain, prononcé le 3 janvier dernier à Marrakech devant un parterre de politiques. Priorité est alors donnée au chantier de la régionalisation, avec une attention toute particulière pour nos provinces du sud. Il n’en demeure pas moins que le discours du 6 novembre 2009 restera dans les annales. “Ce discours a beaucoup surpris, le ton était différent, témoigne un observateur (très) averti, d’ailleurs, il n’a pas été réalisé par le Cabinet royal”. Qui donc alors a eu l’initiative de ces fameuses paroles ? Mystère et boule de gomme. Une chose est sûre, beaucoup d’analystes écartent d’office Yassine Mansouri, patron du renseignement extérieur, associé de très près à la gestion du dossier du Sahara. Nous n’en saurons pas plus.

Le roi a-t-il des conseillers en communication ?
Un membre de l’équipe de télévision dédiée aux activités royales : “Le cérémonial des discours royaux est réduit au strict minimum : le roi arrive face à la caméra, fait son discours et repart. Il n’y a jamais de briefing ou de reprise.”

La plupart des chefs d’Etat étrangers, a fortiori dans les démocraties occidentales, disposent d’un ou plusieurs conseillers en communication et en image. Dans les attributions de ces conseillers figurent notamment l’organisation de l’agenda du chef d’Etat, la communication de crise, mais aussi des prérogatives bien plus générales comme celles d’alimenter leur patron en idées nouvelles. En bref, leur mission officielle est d’être au service de la communication du chef de l’Etat. Au Maroc, rien de tel. Les conseillers royaux ne sortent jamais de leur rôle technique : à eux le contenu, la forme est du ressort de Sa Majesté. Il y a bien eu le cas Hassan Aourid qui, il y a déjà bien longtemps, fut porte-parole du palais royal. Mais l’expérience a fait long feu. Pourtant, à la périphérie du premier cercle décisionnel, des voix se font entendre pour réclamer la mise en place, au palais royal, d’un système de communication modernisé avec non pas un, mais trois ou quatre porte-parole aux attributions clairement définies. L’idée a de quoi séduire, mais elle ne remplace pas celle d’une communication royale de proximité, déchargée des oripeaux du formalisme et allégée de ses lourdeurs discursives. Pour faire simple, à quand un “roi citoyen” discourant dans notre langue de tous les jours, la darija ?

Les discours de Mohammed VI sont-ils toujours adressés à son peuple ?
Discours royal du 3 janvier 2010 : “Louange à Dieu. Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons. Mesdames, Messieurs, Nous procédons aujourd'hui à l'installation de la Commission Consultative de la Régionalisation.”
Les observateurs avertis du protocole royal n’ont pas manqué de remarquer que le dernier discours de Mohammed VI, celui du 3 janvier 2010, n’a pas commencé par la formule d’usage “Cher Peuple”, mais par “Mesdames, Messieurs”. A cela, une explication très simple : contrairement à son habitude, Mohammed VI a prononcé ce discours devant un parterre de personnalités politiques conviées pour l’occasion au palais royal de Marrakech. A vrai dire, l’occasion se répète au moins une fois par an : à chaque ouverture de la session parlementaire d’automne, le roi s’adresse prioritairement aux élus de la nation avec le même “Mesdames, Messieurs”. Les autres grands discours du roi sont, en revanche, toujours adressés à la nation, sauf lors des interventions internationales (où Mohammed VI est très souvent représenté par son frère, Moulay Rachid), ou lors de ce qu’on appelle sobrement les “messages royaux”. Ces derniers sont traditionnellement lus par un représentant du roi (un membre de la famille royale, un conseiller ou un ministre) qui embrasse le maroquin contenant le discours avant d’en donner lecture. Le dernier message royal a par exemple été lu par le ministre des Habous, Ahmed Toufiq, le 29 octobre dernier, à l’occasion du départ du premier groupe de pèlerins pour La Mecque. Logiquement, il commençait par ces termes : “Louange à Dieu, Prière et salut sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons, Honorables pèlerins”.


Témoignage. Votre attention s’il vous plaît !

Si vous voulez faire carrière, mieux vaut écouter religieusement les discours du roi. C’est en tout cas la morale de ce haut fonctionnaire qui témoigne sous le sceau de l’anonymat :

“J’étais sur l’autoroute Rabat - Casablanca quand un officier de la DST que j’avais déjà croisé m’a appelé au téléphone. Le roi venait de terminer un discours dans lequel il avait insisté sur la question du Sahara, notre ‘cause nationale’. Après les traditionnelles formules de politesse, l’officier me demande si j’ai écouté le discours et ce que j’en pense. J’avoue que, sur le moment, sa question m’a déstabilisé. Je me suis contenté de lui servir un verbiage consensuel dont je ne me souviens même pas. Par la suite, j’ai bien tenté de me renseigner sur les motifs de cet appel inopportun. Certains amis m’ont répondu : ‘L’assiduité aux discours royaux ne passe pas inaperçue et elle est très appréciée’. Mais je n’ai réalisé à quel point l’attention accordée à la parole et à l’image du roi était importante que quelques années plus tard, lorsque je suis entré dans le bureau d’un des plus hauts commis de l’Etat. En pleine séance de travail, le fonctionnaire en question a demandé à l’un de ses assistants d’allumer le poste de télévision et d’augmenter le volume : le bulletin d’informations, traditionnellement ouvert par une activité royale, venait de commencer. Un silence religieux a suivi. Quand l’image du roi a disparu du petit écran, la réunion a repris comme si de rien n’était”.



Plus loin. Fantasme de journaliste
Le Maroc bouge au rythme de son roi. Les discours de Mohammed VI sont l’expression médiatique de la toute puissance monarchique, celle d’un roi qui personnalise tous les pouvoirs, jusqu’à devenir l’épicentre du système politique, économique, social et culturel du pays. Qu’on se remémore une seule réforme d’envergure qui porte le nom d’un ministre marocain. Qu’on se souvienne d’une seule action publique et consensuelle qui soit associée à une personne autre que le souverain. Très vite, même l’observateur le plus averti de la dernière décennie marocaine est en panne d’exemples.
Il se trouve que les discours royaux, dans leur forme aussi bien que dans leur contenu, contribuent à perpétuer l’idée de cette monarchie omniprésente et omnipotente. Ils sont devenus la feuille de route du Premier ministre, tous les ministres s’y réfèrent et les députés de la majorité comme ceux de l’opposition les reprennent à leur compte. Ont-ils d’ailleurs le choix ? Les discours royaux ne sont-ils pas empreints du sceau de l’infaillibilité et de la sacralité ? En fait, tout se passe comme s’ils étaient une bible de science et d’action politique. Au Maroc, la parole du roi fait droit. Bien plus, elle est le pouls du royaume. Quand les mots de Mohammed VI se font durs, les politiques tremblent. Quand le ton se fait urgent, le Maroc s’ébranle. Un discours, celui du 6 novembre 2009, marque un changement de ton et un changement de doctrine. Le roi y affirmait : “Ou on est patriote, ou on est traître”. Voilà qui n’est pas fait pour nous rassurer, nous autres journalistes, si souvent assimilés à des nihilistes, activistes et autres comploteurs de l’intérieur. Mais nous ne devons pas nous sentir visés, nous a-t-on expliqué : les lignes rouges ne sont qu’un fantasme de journaliste… Souleïman Bencheikh


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