J'aime passer du temps avec Jelloul, notre plus jeune fils.
Un week-end par mois, je réserve une journée pour être avec lui. Pour le voir s'extasier devant un film, un spectacle, pour répondre à ses questions d'enfants... de plus en plus pertinentes. Bref, je fais mon boulot de papa.
Le week end dernier, je l'ai emmené au restaurant, puis au zoo. Sa maman devait travailler.
Nous avions choisi de manger méditerranéen. Une petite fille à la table d'à côté faisait des difficultés pour terminer son assiette. Sa maman, patiente, lui disait : "finis au moins ton pain, regarde comme il est doré et tendre. " Mais la fillette répondit : "non, j'aime pas la croûte, c'est pas beau, c'est comme des crevasses. "
Au dessert, le serveur amena une coupe de fruits et cette fois-ci le papa, un peu énervé dit à sa fille : "et les figues, on peut savoir pourquoi tu n'en manges pas ? Regarde comme elles sont belles, mûres et gonflées. Tu n'en mangeras certainement pas d'aussi bonnes chez nous en ville. "Et la petite fille, butée, de répondre : "elles sont toutes fendues on dirait qu'elles sont pourries. C'est pas beau !"
Jelloul qui avait assisté un peu gêné à la scène me demanda tout bas : "dis papa, pourquoi les bonnes choses sont parfois laides ? Pourquoi, si elles sont bonnes pour nous la nature les a faites moches ?"
J'avoue que je n'ai pas su trouver aussitôt une explication satisfaisante... Mais plus tard dans l'après-midi, notre promenade au zoo m'a donné l'occasion de lui répondre.
Je tenais la main d'Jelloul qui s'extasiait devant la cage aux singes. Un couple semblait n'avoir d'yeux que pour critiquer ces braves bêtes : "non mais regarde moi ça ! C'est tout de même affreux ces touffes de poils sur leurs mains. Et ces dents, ce pli sur leur nez, ces bras trop longs… Quand on y pense, la nature ne les a pas gâtés ! Quel manque de grâce. Ils ne mériteraient même pas qu'on les regarde. "
Je me suis tourné vers Jelloul, qui avait encore tout entendu et je lui ai dit :
- "La petite fille du restaurant et ces gens qui n'aiment rien sont comme des aveugles qui refuseraient de voir même si on les opérait. Dans la nature, rien n'est laid si on apprend à regarder. Que serait le pain sans sa croûte savoureuse, faite de plis, d'accidents, de crevasses ? Et cette pourriture qui entrouvre les figues ou les olives mûres, n'est-ce pas le signe que le soleil les a aimées et que le paysan a tout fait pour qu'elles arrivent à maturité ?
- Oui, c'est vrai.
- Si tu sais regarder, tu ne verras pas de choses laides dans la nature. C'est sûr que tout n'est pas droit, que les épis de blés sont courbés, que les branches du pommier penchent sous le poids des fruits, que le cheval est crotté, que la bouche des sangliers bave et que les singes ont des de grosses lèvres plissées qui nous semblent très éloignées de la beauté. Mais c'est justement parce que ces accidents sont naturels que nous devons aimer les y voir. "
Jelloul n'a rien dit mais il a plissé son petit nez et froncé les sourcils, signe chez lui d'une intense réflexion…
Ce n'est que 3 jours plus tard qu'il est venu me voir dans le salon pour me dire : "Tu sais, quand je serai grand je veux devenir peintre. "
- Ah. Et que peindras-tu ?
- Les choses comme elles sont, pour qu'on apprenne à les trouver belles. "
Avoir l'esprit positif c'est aussi apprendre à regarder les choses de manière positive, sans oeillères. Si vous y arvenez, vous ne verrez, dans tout ce qui existe en ce monde, rien qui ne soit agréable à vos yeux.
Votre perspicacité trouvera dans les personnes âgées une sorte de vigueur et de beauté aussi touchantes que les grâces de l'enfance. Vous envisagerez du même oeil beaucoup d'autres choses qui ne sont pas sensibles à tout le monde, mais seulement à ceux qui se sont rendus familier le spectacle de la nature et de ses différents ouvrages.