Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Entretien avec Elias Sanbar, historien franco-palestinien
2
12 novembre 2004 10:20
Elias Sanbar est directeur de la Revue des études palestiniennes.

Depuis le début de l'agonie de Yasser Arafat, le peuple palestinien a fait preuve d'unité et les institutions ont fonctionné. Existe-t-il un risque que cette unité vole en éclats ?

Le risque existe précisément si les espoirs de la population et les règles institutionnelles ne sont pas respectés. Les textes sont clairs pour organiser la période transitoire puis la transmission du pouvoir au futur dirigeant palestinien, à savoir : des élections démocratiques. Le souci des Palestiniens n'est pas de savoir si le chef de telle ou telle faction va accéder au pouvoir. Il est de s'assurer que le processus électoral sera respecté, et que celui qui sera au pouvoir, même s'il représente une faction, y aura accédé par la voie des urnes.

Yasser Arafat a lui-même créé un précédent. Lorsqu'il est revenu en Palestine - en 1994 -, il était déjà investi de la légitimité du chef du mouvement national. Il aurait pu ne pas se soumettre au verdict des urnes et les Palestiniens n'auraient pas vu en lui un usurpateur. Il a quand même décidé de s'y soumettre, et les autres candidats n'étaient ni de pacotille ni de pure forme. Arafat a obtenu un peu plus des deux tiers des voix. Sous contrôle international, les élections ont été régulières. Conscient qu'il lui fallait ajouter la légitimité des urnes à sa légitimité historique, Arafat mesurait aussi la soif des Palestiniens pour des élections. Aujourd'hui, toutes les couches sociales exigent le respect de leur droit de vote.

A quoi tient l'unité des Palestiniens ?

L'unité est une constante, une question vitale pour eux. Ce peuple qui, depuis 1948, se sait en permanence menacé de disparition, considère que toute faille dans la cohésion nationale peut faire le jeu de ceux qui veulent le faire disparaître. Unité ne signifie toutefois pas uniformité. Ses composantes sont extrêmement variées, mais elles sont toutes convaincues de partager le même sort. Depuis 1948, chaque fois que, de l'extérieur, on a tenté de lui imposer des dirigeants, le peuple palestinien a refusé. La quasi-totalité des affrontements avec les pays arabes ont porté sur cette question.

Les Etats arabes n'ont jamais demandé aux Palestiniens de renoncer à leur identité ou à leur cause. Ils contestaient leurs représentants, qu'ils voulaient remplacer par leur clientèle. Ils n'ont jamais réussi. A-t-on oublié les massacres, les milliers de morts tombés dans des affrontements dont la seule finalité - pour les Etats arabes concernés - était de forcer les Palestiniens à renoncer à leur représentant, l'OLP ?

Quelles sont les conditions requises pour l'organisation d'élections en Palestine ?

Le scrutin doit être réellement démocratique. Autrement dit, tous ceux qui le souhaitent doivent pouvoir faire acte de candidature. Tout candidat doit pouvoir faire campagne. Mais on ne peut faire campagne dans des zones quadrillées par plus de 700 postes de l'armée israélienne. Il faut que l'occupant se retire pour que la liberté tout court et la liberté de vote soient assurées. Le scrutin doit être placé sous supervision internationale.

Le mandat du Conseil législatif palestinien a expiré depuis longtemps.

De nouvelles élections législatives, municipales et présidentielle n'ont pu être organisées du fait de l'occupation. Les électeurs ont pourtant continué à s'inscrire, ce qui traduit leur désir de vote : 75 % d'entre eux sont inscrits sur les listes électorales, et cela ne date pas de la maladie d'Arafat.

Quelles sont les chances d'un retrait israélien ?

Ariel Sharon veut se retirer de Gaza pour mieux annexer la Cisjordanie, comme il l'a dit aux colons à la Knesset. S'il demeure récalcitrant, l'espoir électoral n'est pas définitivement condamné. Le Quartet - UE, Etats-Unis, ONU, Russie, auteurs d'un plan de paix international -, les Européens en particulier, peut demander aux autorités d'occupation de permettre la tenue des élections. Si les Européens - et je pense beaucoup à la France - l'exigent, s'ils n'acceptent pas que le successeur d'Arafat soit simplement nommé, ils reviendront de plain-pied dans la négociation. Parce que par le biais de la consolidation de la démocratie palestinienne, le processus de paix sera inévitablement relancé sur de bonnes bases.

L'administration américaine ne risque-t-elle pas de s'y opposer ?

Israël et les Américains ont déclaré à tue-tête qu'Arafat n'était pas un interlocuteur. Il faut leur dire : soit ! Mais le seul interlocuteur acceptable doit être élu et non pas désigné par vous, ou bénéficier de vos bonnes grâces.

Existe-t-il, selon vous, une personnalité suffisamment charismatique et forte pour prendre la relève d'Arafat ?

Le charisme est une construction, on ne naît pas charismatique. Idem pour la stature historique. Dans les années 1960, Yasser Arafat n'était que l'un des hommes forts -du Fatah-. Ce qui est certain - et c'est en cela que tenait la force politique d'Arafat -, c'est que, pour des raisons très lointaines et très complexes - je dois donc schématiser -, le pouvoir dirigeant en Palestine depuis le XVIIIe siècle a toujours été fédérateur. Celui qui veut tenir le pays doit bénéficier de la reconnaissance non seulement de chaque citoyen, mais également des régionalismes très ancrés dans le tissu social palestinien.

Yasser Arafat avait réussi à fédérer à la fois les régions et toutes les portions de l'exil. Avant d'être une organisation, l'OLP a été une sorte de territoire très particulier où convergeaient toutes les parties du corps. Arafat est apparu très tôt comme celui qui avait permis l'édification de ce territoire.

Y a-t-il aujourd'hui un dirigeant capable de fédérer ?

Non. Peut-être certains réussiront-ils à construire une telle capacité, mais en attendant, on a là un argument supplémentaire en faveur du scrutin, dont le verdict permettra au candidat qui sera élu de pallier, d'une certaine manière, le manque - de charisme et de force -. Les élections ne sont donc pas uniquement un moyen démocratique et légitime de choisir un représentant, elles sont aussi la garantie contre d'éventuels troubles. Si les Israéliens ne permettent pas l'organisation du scrutin, cela signifiera qu'ils tablent sur une guerre civile palestinienne, qu'ils veulent une telle guerre.

Existe-t-il un risque de débordements islamistes que ne pourraient pas contrôler les autorités transitoires ou le pouvoir élu ?

Je ne le crois pas dans la mesure où pour eux aussi, comme pour toutes les autres forces, l'unité est une obsession. Tous savent que quiconque provoque des dissensions est immédiatement rejeté par l'ensemble de la société. Ce serait la recette pour s'isoler. Aujourd'hui, et ce n'est pas la première fois, les islamistes ont annoncé qu'ils veulent sauvegarder la cohésion et l'unité nationales.

Certains pensent que les islamistes pourraient provoquer des troubles si le futur président élu de l'Autorité nationale n'est pas l'un des leurs. Je ne pense pas pour ma part qu'ils veuillent occuper cette fonction, parce que le futur président devra négocier avec Israël. Or ils sont opposés à toute négociation. La question est néanmoins posée de savoir s'ils participeront aux législatives et voudront entrer au gouvernement, ce qui leur permettra de participer à la gestion du pouvoir sans en subir, à leurs yeux, les désavantages, ni changer de ligne idéologique et politique. Ils avaient boycotté le premier scrutin. Je ne suis pas sûr qu'ils boycotteront le prochain.

Propos recueillis par Mouna Naïm

 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook