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Un air, deux familles
h
19 juin 2009 12:26
Un air, deux familles
Critique

Préférence. Entre musique et souvenir, Bruno Nassim Aboudrar réunit dans son premier roman, «Ici-bas», une double destinée qui circule de la Hongrie à Paris en passant par le Maroc.

Par CLAIRE DEVARRIEUX

Paris, bords de Seine, 1954. Vilma s’apprête à offrir à sa fille un exemplaire des Faux-Monnayeurs qu’elle vient d’acheter chez un bouquiniste et dont la tranche est «suturée au papier scotch». Elle avait le même, autrefois, elle en connaît des pages par cœur. Mais «on ne rachète pas un souvenir», alors, si sa fille ne l’a pas lu, elle le lui donne afin qu’elle s’en souvienne à son tour. Elle s’entend répondre qu’«on ne prévoit pas non plus un souvenir». Sa fille a raison, elle-même se souvient d’une discussion, avec son propre père, sur un pont, à Arad, en Transylvanie. Savaient-ils qu’ils s’en souviendraient ?

Carpe et abricot. Un des charmes puissants de la littérature romanesque est d’inventer une épaisseur de souvenirs à des personnages qui n’existent pas, ou qui n’existent que pour nourrir la mémoire des lecteurs. Plus Buddenbrook que Recherche (la référence à Thomas Mann est explicite), le premier roman de Bruno Nassim Aboudrar déploie des trésors d’images, de musique et de saveurs de manière à les faire circuler à travers le temps. Elles aboutiront à l’enfant qui s’annonce pour la fin de l’année 1955, à la dernière page d’Ici-bas. Elles partent de la frontière hongroise, en 1923. Elles partent aussi du Maroc, la même année, mais le côté hongrois a davantage de profondeur de champ, tandis que le côté marocain voit son ascendance rabotée, son cimetière profané. L’auteur prête vie à la génération des parents de Vilma, la lectrice des Faux-Monnayeurs, dont le père, Zoli, qui s’entretenait volontiers avec elle, était médecin.

Zoli, partition gourmande. Un de ses plaisirs est de se fondre dans la foule du marché et de terminer par le quartier juif, en passant par la ville basse où jouent les enfants «pouacres». C’est un de ces mots rares que l’auteur, historien de l’art, affectionne. Il prise la cloque «opalescente» que laisse l’archet dans la paume, il préfère «affiquets» à fanfreluche, «gotons» à traînées et les «anhélations» aux soupirs. Parfois, on croit rêver, on vérifie. Maisnon, «les amygdales» du cerveau ne sont pas comme les vertèbres de la tante Léonie, elles sont répertoriées : le premier essai de Bruno Nassim Aboudrar, Voir les fous (1999) témoigne de ses connaissances. La folie, la psychiatrie, sont du ressort de Vilma. Le jour du pont sur la Maros, à Arad, c’était ce qu’elle annonçait à son père. Elle aimera plus tard l’infirmerie du dépôt de Saint-Lazare pour «la splendeur de sa misère», et jusqu’au «conservatoire de taches» sur la nappe de la dame qui deviendra sa belle-mère. Zoli, lui, déguste de la carpe farcie aux comptoirs du ghetto.

«Pourtant, adulte, il n’aurait su dire qu’il aimait ce plat. Il n’y prenait pas le plaisir joyeusement gourmand que lui donnaient le sabayon, les courgettes dans un roux aigre-doux, ou encore ce dessert : un abricot frais, poché, fourrant une balle panée de semoule au yaourt.» La carpe farcie était un goût, une substance, vagues et obstinés jusqu’au moment où Zoli l’a localisée. Il a également des réminiscences d’«une précision presque hallucinatoire», et qui ne le concernent pas, par exemple il voit sa mère enfant qui n’a pas peur des oies. Et ce faux souvenir lui appartient, comme sa bonté, comme son loden. Mais sa femme, et leurs autres enfants, Zsuzsi et Ferenc, évoquant Zoli dans leur exil parisien, trente ans plus tard, se rappelleront l’abricot poché.

Sabir.Le registre de Zsuzsi, c’est le piano. Est-il vrai que d’être «israélite», comme le dit son amante, une pure comtesse magyare, lui donne cette mélancolie qui sied à l’interprétation de Chopin ? L’antisémitisme envoie Ferenc, violoniste et ingénieur, au Maroc. Entre lui et le bordel, où joue un pianiste homosexuel, la musique assure le lien. Le Maroc est la patrie d’Aïcha et Hossein, l’autre lignée du roman, avec leurs couleurs à eux, leurs voluptés et leurs douleurs. Regarder, entendre : on ne saurait dire où l’auteur est le mieux doué. Il nous fait écouter le sabir des négociations coloniales. Le franc-parler d’une veuve à la voix de rogomme. La bénédiction d’une princesse au détour d’un salon que l’après-guerre soviétique va saborder.

De quoi, de qui la musique est-elle l’écho ? De quoi, de qui sommes-nous faits ? La question irrigue Ici-bas. L’enfant à venir sera issu des amours d’Ali, venu à Paris étudier le piano, et de Marinette, élève des Beaux-Arts, fille d’un Breton schizophrène et d’une Hongroise émigrée en 1927. Le roman dessine l’arbre généalogique en partant des plus hautes branches. Bruno Nassim Aboudrar est né en 1964. En 2001, il a publié un essai intitulé la Recherche du beau.
P
21 juin 2009 11:46
Je voulais juste te remercier au passage pour un livre que tu as conseillé à Musica.
Je suis en train de lire "Londres mon amour" de HANAN EL-CHEIKH.

Il est tout simplement sublime.
La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d'aimer, on se déteste à loisir. [George Gordon, Lord Byron]
h
22 juin 2009 11:04
Bonjour Pharoah,
Ravi que 'Londres mon amour' t'ai plu! j'avais bien aimé quand je l'avais lu.
Tu n'avais pas un autre pseudo? smiling smiley
P
22 juin 2009 11:05
Non.Angel

Citation
hux02 a écrit:
Bonjour Pharoah,
Ravi que 'Londres mon amour' t'ai plu! j'avais bien aimé quand je l'avais lu.
Tu n'avais pas un autre pseudo? smiling smiley
La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d'aimer, on se déteste à loisir. [George Gordon, Lord Byron]
h
22 juin 2009 11:10
oups! je t'avais confondue avec quelqu'un d'autre smiling smiley vous aimez toutes les deux la littérature noire américaine.
P
22 juin 2009 11:11
Tu confonds avec Agded, j'ai eu une disussion avec elle sur ce sujet.

Et un autre pseudo.winking smiley
La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d'aimer, on se déteste à loisir. [George Gordon, Lord Byron]
 
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