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Du despotisme à la démocratie. A lire
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9 novembre 2006 09:56
La démocratie pour sortir du despotisme ou «Du passé faisons table rase»
Le livre de Mohamed Mouaqit, sorti à la fin de 2003, Du despotisme à la démocratie: héritage et rupture dans la pensée politique arabo-musulmane, est à mon sens l’essai le plus intéressant de l’année. L’auteur y fait preuve d’une audace et d’une subtilité dans l’analyse rares chez nos intellectuels par les temps qui courent.
L’auteur se fixe comme projet d’analyser le fonctionnement de l’histoire de la pensée politique arabo-musulmane. Cette pensée s’inspire du Coran et de la sunna (faits et gestes du prophète érigés en orthodoxie), mais surtout du modèle politique de la société musulmane des origines, l’époque du prophète et des quatre califes. Avec la transformation du califat en mulk (royauté), l’idéal de la société d’origine, désormais inaccessible, se réfugie dans le mythe, mythe qui obsède encore à ce jour tous les musulmans.
Le pouvoir politique sera justifié par la pensée théologique et le fiqh politique en recourant, à la nécessité d’obéissance des sujets (ra`iya) au roi (ra`ii), pour éviter l’anarchie (fitna). L’épouvantail de l’anarchie est d’ailleurs, aujourd’hui encore, le leitmotiv des défenseurs du despotisme. Il a permis, à travers les siècles, de dénoncer les révoltes et de dénoncer toute pensée non orthodoxe. Le politique a tôt fait de dominer le religieux. C’est ce qui fait dire à l’auteur que la pensée politique arabo-musulmane fut hyper réaliste et a pratiqué le machiavélisme avant la lettre. Mais à la différence de Machiavel, chez qui l’homme se détermine en dehors de la morale religieuse, la pensée musulmane est demeurée prisonnière de la «camisole» religieuse.
Au moyen âge, les penseurs arabes qui sont allés le plus loin dans l’analyse et la critique de la pensée et de la société musulmane sont Ibn Khaldun et Ibn Ruchd. Ibn Khaldun dans son analyse historique produit une pensée désenchantée de la réalité du mulk. Mais le mythe de l’origine reste intact chez lui et garde sa légitimité de référence ultime. Ibn Ruchd va jusqu’à donner à la philosophie la suprématie sur la religion, mais définit la société idéale (à l’instar de Platon) comme la cité du roi-philosophe. La cité démocratique demeure un modèle non parfait. Il faudra attendre Spinoza pour commencer à entrevoir la démocratie comme modèle politique de gouvernement.

Nahda et salafisme
Au XIXe siècle, le contact avec l’Occident a favorisé le développement d’une pensée qui critique le despotisme et prône la promotion de la démocratie et de la modernité. Mais cette pensée s’est développée dans le cadre de l’idéologie salafiste. L’auteur définit le salafisme comme «le discours et le mode de pensée qui fonde la légitimité de toute institution ou de toute valeur sur l’autorité sacralisée des antécédents». Les réformateurs à l’époque de la Nahda et des combats coloniaux furent des théologiens (comme Mohamed Abdou en Egypte ou Allal Al Fassi au Maroc). Leur pensée a produit le mouvement qawmiste (nationalisme arabe) mais a aussi fait le lit des mouvements plus radicaux (les frères musulmans, puis l’islamisme radical de la fin du XXe siècle.
L’auteur va plus loin que la classification de Abdallah Laroui (dans L’idéologie arabe contemporaine, 1967), qui distinguait entre le clerc, le politicien et le technophile, en mettant tout le monde dans le même panier. Pour Mohamed Mouaqit, le salafisme intègre autant les penseurs formés à l’école traditionnelle que les penseurs «modernes» mais qui demeurent fidèles au patrimoine ou à la religion. En somme, le salafisme intègre autant la pensée théologique que patrimonialiste. Cette interprétation cadre bien avec les enseignements actuels de l’échec du nationalisme arabe.
Le nassérisme ou le baathisme sont souvent présentés comme des expériences laïques dans le monde musulman. En fait, ils ne représentent qu’une variante du salafisme qui essaie de retrouver l’unité de la nation arabe. Dans la pratique, ces régimes ont plus cherché à instrumentaliser la religion qu’à la dépasser. Ils ont sévi contre les tendances salafistes extrémistes mais n’ont jamais remis en cause le référent religieux. La seule expérience de sécularisation et de laïcisation fut celle d’Ataturk. Mais la Turquie n’est pas un pays arabe. Nasser a côtoyé à ses débuts les Frères musulmans avant de se retourner contre eux. Ben Bella, lors de la guerre d’Algérie, disait qu’il était prêt à suivre n’importe quel socialisme scientifique, à condition qu’on lui laisse son islam! Et on sait comment, récemment encore, lors de la première Guerre du Golfe, Saddam Hussein a su utiliser la fibre religieuse pour gagner la sympathie des masses arabes, allant jusqu’à ajouter sur le drapeau de l’Irak l’inscription: Allah Akbar, ce qui est une aberration de la part d’un régime qui était considéré comme l’un des plus laïcs du monde arabe.

Pour une morale de rechange
Après que le mur de Berlin (et le bloc soviétique) eut emporté dans sa chute l’utopie communiste, le désarroi des intellectuels était tel qu’on commençait à appeler à forger une morale de rechange. L’humanité ne pouvant réhabiliter la religion, cette morale devait être forgée à travers l’approfondissement de la démocratie.
C’est ce à quoi appellent aujourd’hui certains penseurs arabes quand ils revendiquent la sécularisation de l’Etat et de la société. Conscients que la construction démocratique n’est ni un mythe (société islamique des origines) ni une utopie (cité idéale de Platon ou société communiste), mais plutôt un combat de tous les jours, un projet qui se remet constamment en question, en s’inspirant des luttes menées pour la défense des droits de l’Homme.
Aujourd’hui, certaines tendances néosalafistes, incarnées au Maroc par Abed Al Jabri (mais aussi par certains courants islamistes), cherchent à intégrer la démocratie et les droits de l’Homme en leur cherchant des équivalents et une légitimation dans l’histoire et la culture arabes. Ils invoquent le relativisme culturel pour remettre en cause l’universalité de ces concepts et leur filiation qui les fait découler des Lumières. C’est ce qui fait penser que ces intellectuels tiennent un double langage: tout en adhérant à la modernité, ils achoppent sur certains concepts comme le libre arbitre (inconcevable en terre d’islam) ou des problèmes comme l’égalité de l’homme et de la femme dans la société. Dernièrement encore, le penseur Tariq Ramadan a défrayé la chronique. Je ne parle pas de l’objet de la polémique, mais de l’homme lui-même. A la fois prédicateur et philosophe, il illustre bien le penseur salafiste moderne. L’Occident a cru y découvrir un intellectuel incohérent. En fait, Ramadan fait ce que font la plupart des intellectuels arabes depuis plus d’un siècle: le grand écart.
Face à ces penseurs qui cherchent depuis longtemps la solution (sans la trouver) de la quadrature du cercle, d’autres intellectuels ont le courage de développer une pensée de la rupture. Ils ont en commun de suggérer aux arabes de faire table rase de leur passé pesant. C’est le cas de l’Egyptien Ali Abderrazik qui a fait une lecture pessimiste de l’histoire du monde arabo-musulman (comme Ibn Khaldun en son temps) et l’a assimilée à celle du despotisme. Pour sortir de l’impasse, il ne voit d’issue que dans la séparation du religieux et du politique et dans la démocratie. Abdellah Laroui ne voit non plus d’issue que dans l’entrée des arabes dans les «Lumières». Mais aujourd’hui, une pensée radicale des droits de l’Homme est en train de se développer au Maghreb et elle s’inscrit en rupture avec le discours salafiste. Elle est illustrée par le Tunisien Moncef Marzouki. L’auteur semble s’en réclamer, puisqu’il est aussi militant des droits de l’Homme.

Mohamed Mouaqit, Du despotisme à la démocratie: héritage et rupture dans la pensée politique arabo-musulmane, Casablanca: Editions le Fennec, 2003, 184 p.
Hicham Ra
 
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