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Une culpabilité transférée : vomito blanco
S
7 mars 2007 16:39
Abdelkebir Khatibi, vomito blanco

Une culpabilité transférée

Pour prendre acte de ce qui fut pensé sur le sionisme dans cet ouvrage, pour ne pas consolider les censures qui risquent de faire disparaître cette réflexion dans les oubliettes et pour respecter l’accablement douloureux du penseur dans l’écriture de cette œuvre, nous avons estimé que la lisibilité du phénomène du sionisme dans ce livre garde toute sa fraîcheur d’actualité.

Une précision historique s’avère nécessaire pour situer ce texte pamphlétaire. Nous considérons que ce livre est ancien, mais qu’il n’est pas vieux, parce qu’il témoigne d’une mémoire, de ses trous et de l’amnésie partielle qui fait encore le lit de nos distractions et de nos oublis. Bien qu’il ait été terminé en 1973, l’année de la 4e guerre israélo-palestinienne, le livre a été publié en 1974. De quoi s’agit-il au juste dans ce court ouvrage, intitulé Vomito blanco ? Pour asseoir le statut de son pamphlet, l’auteur nous rappelle une définition qu’il puise dans une référence biblique : « Parce que vous êtes tiède et que vous n’êtes ni froid ni chaud, je suis près de vous vomir de ma bouche. »


(St-Jean, Apoc., III, 16) In Vomitone veritas. C’est donc par le biais de cette définition que Khatibi réagit, marque ses prises de position pour la lutte palestinienne et ouvre un procès de vérité intellectuelle et politique sur les paradoxes du sionisme. Maniant avec rigueur et poésie, son analyse du discours sioniste, l’écrivain tente de circonscrire le montage et l’emplacement de cette liturgie réglée et récitée comme une vérité historique, infranchissable, indéménageable. Insérée dans une interprétation érudite, la démarche du philosophe vise à refaire une lecture critique où la réflexion opère comme un dérèglement de l’horloge sioniste. C’est dans le champ de représentation de la conscience malheureuse occidentale que Khatibi déterre les racines du sionisme.


Une conscience malheureuse occidentale qui voulait éponger sa culpabilité à l’endroit des juifs pour la transférer sur le peuple palestinien : « La conscience malheureuse sécrète une machine très efficace de la méconnaissance, méconnaissance de soi et de l’autre, car la dualité initiale inhérente à la conscience malheureuse s’est renversée : en expropriant les Palestiniens, le sioniste lui fait don de son péché et de son malheur. » Hypothéqué par un endettement imaginaire de la conscience malheureuse, le sionisme finit par prendre en otage le peuple palestinien pour lui faire subir le châtiment et la terreur, pratiques cruelles qui caractérisent les entreprises coloniales européennes. Dans cette logique paradoxale, où le penseur examine l’envers et l’endroit des cartes, nous est dévoilée une autre croyance qui nourrit la mythologie sioniste dans sa connivence obscure avec la conscience malheureuse, une dimension que la propagande intellectuelle sioniste rend insaisissable et qui a trouvé ses défenseurs les plus acharnés dans la gauche marxiste, et mollement chez le grand philosophe français J-P. Sartre : « Pressé de donner son point de vue sur le conflit israélo-arabe, Sartre répond continuellement que sa position est duelle (elle milite à la fois pour Israël et les Palestiniens) et qu’il vit cette question dans le déchirement et l’embarras les plus complets.


Position duelle qu’on peut définir comme une fausse neutralité et un alibi, qui sont une mise en accusation du système sartrien. Lequel se fonde, comme chacun sait, sur une morale responsable, capable de se dépasser et de se violenter. Cette mise en accusation est ponctuelle, elle ne met pas en cause le tout du système (...). Ce que j’essaie de démontrer ici, c’est que Sartre, en devenant conformiste, a en définitive l’attitude d’un sioniste conditionnel, et qu’il se trouve acculé à ne pas accorder à son déchirement un sens positivement révolutionnaire. Il vit, à sa manière, la terreur de la conscience malheureuse. » Sur ce terrain, et pour ne pas nourrir le duel des discours politiques et idéologiques qui intimident l’intelligence de la pensée - ce qu’il reproche à Sartre dans son rapport d’ambivalence au sionisme dans le chapitre (Les larmes de Sartre) - Khatibi ne se contente pas de vaines dénonciations de militant, il argumente contre la déraison du sionisme enfermé dans une logique de folie, une folie qu’il n’oublie pas de signaler en anglais (double bind), et qu’il décrypte dans ses effets, comme une pathologie de la culpabilité qui contamine les intellectuels d’une gauche malade.


Dans les exposés qui composent le livre, l’auteur développe une critique du sionisme et dénonce les censures véhiculées par cette sorcellerie qui envoûte la gauche dans ses malheureuses convulsions culpabilisantes. « Acceptons pour le moment que les adversaires en présence parlent le dos tourné et reprenons l’analyse des thèmes de l’origine et du lieu élu, à partir des dossiers les plus sérieux qui aient été faits sur la question. Il s’agit du dossier des Temps modernes (revue dirigée par J-P. Sartre à l’époque) préparé avant juin 1967, mais paru après cette date, malgré la demande urgente des collaborateurs arabes qui voulaient retirer leurs articles. La guerre a brisé le dialogue ainsi amorcé, Les Temps modernes sont passés outre et tant mieux : cela nous vaut encore un dérapage ironique. Tout se passe comme si les adversaires (ici des intellectuels), conscients de leur désarroi, cédaient leur parole à la simple violence guerrière. » Sionistes convaincus, (Dov Barnir, R. Misrahi et Werblowsky), ces trois intellectuels ont poussé le délire mystique d’un Israël mythique jusqu’à la limite de l’arbitraire paranoïaque dans leurs articles. Khatibi explique que Misrahi dans son article, « suggère que l’identité et le peuple palestiniens ne sont qu’une fiction créée par les Arabes pour embêter leurs voisins ». Cet imaginaire raciste et absolutiste du sionisme est voilé chez Dov Barnir comme un messianisme à rebours. Pour Khatibi, le discours sioniste et la propagande intellectuelle qui l’accompagne fonctionnent à la clôture avec une conviction inébranlable. Toute critique du discours est déclarée irrecevable. Pis, elle est interprétée de façon systématique sur un mode de persécution antisémite.


C’est dans ce « retournement ironique de la conscience malheureuse » que Khatibi a tenté de circonscrire l’idéologie sioniste dans ses différentes variantes, et ses menaces d’en trop savoir sur la culpabilité transférée sur les Palestiniens. Dans les derniers chapitres du livre, Marxisme contre sionisme et Complexe d’Œdipe ou complexe d’Abraham, Khatibi nous livre des interprétations, notamment sur Moïse et le Monothéisme où il considère que dans cet ouvrage explosif, Freud ne semble pas « comprendre le projet sioniste, qu’il soupçonne d’une régression et d’un retour à l’identité folle ». L’anti sionisme de Freud a bien été relevé par Khatibi à l’époque. Seulement, la lecture qu’il propose dans Complexe d’Œdipe ou complexe d’Abraham mériterait une interprétation plus approfondie pour repenser et distinguer le statut de la culpabilité chez le fondateur de la psychanalyse. Interprétation subversive des textes fondateurs de l’Occident et de leur avatar sioniste, porteurs d’une censure sur un fondamentalisme inconscient, violent, cruel, que les cultures étrangères à cette représentation payent encore lourdement aujourd’hui. Rendons hommage à Abdelkebir Khatibi, à son poème (Un chant pour Abraham) et à ses dignes positions politiques dont témoignent les deux documents palestiniens qui concluent son pamphlet.


Khaled Ouadah
 
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