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Cuba : J’ai visité une autre planète
M
9 novembre 2005 23:00
Cuba

J’ai visité une autre planète
par Peter Rosset

9 novembre 2005


Hier, je suis revenu sur la planète Terre : je suis revenu à la réalité du monde néolibéral. J’ai passé, en octobre, quelques jours sur cette autre planète appelée Cuba, en plein pendant les préparatifs en vue de l’arrivée éventuelle sur l’île de l’ouragan Wilma. En partant, j’avais en tête les images du président Fox [le président mexicain] à Salamanque [1] disant que le Mexique n’avait pas besoin d’aide (bien qu’au Chiapas, après le passage de [l’ouragan] Stan, cela faisait plus d’une semaine que beaucoup de gens ne recevaient ni eau ni nourriture de la part du gouvernement), ainsi que l’incompétence et l’indifférence absolue montrée par le président Bush envers les gens de La Nouvelle Orléans victimes de [l’ouragan] Katrina.

La première chose que j’ai remarqué à Cuba, c’est que tout le monde est météorologue, mais vraiment tout le monde, un chauffeur de taxi autant qu’une professeure, qu’un paysan ou qu’une serveuse. Si l’on demande à n’importe qui : « il en est où le cyclone ? », on se verra immanquablement répondre par une explication scientifique sur les phénomènes anticycloniques, les fronts à haute pression, les courants marins, les masses d’air de différentes températures, etc. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre pourquoi : dès qu’un ouragan s’approche de l’île, la télévision diffuse de longs documentaires, presque une préparation à un doctorat de météorologie, qui abordent les moindres détails des pronostics avec tous les scénarios possibles et imaginables. Waouh ! Les responsables des programmes de télévision traitent les gens comme des personnes intelligentes, rien à voir avec la façon dont la programmation capitaliste du Mexique ou des États-Unis prend les gens pour des idiots. Il y a un énorme respect de la population.

Plusieurs jours avant Wilma, j’ai entendu à la radio : « On demande à tous les pompiers volontaires de se présenter à leur poste afin de commencer l’évacuation de toutes les personnes qui vivent dans les zones basses ». En sortant dans la rue, j’ai vu des équipes en train de renforcer les poteaux électriques pour éviter qu’ils ne soient renversés. Alors que je déjeunais avec le responsable de l’agriculture urbaine, qui fournit les habitants de La Havane en légumes et en fruits, il m’a expliqué comment la municipalité assure le transport des plants (plantules produites dans une pépinière pour être transplantées dans les champs) de cultures maraîchères, comme la tomate et le poivron, vers des caves et des endroits protégés pour que les agriculteurs puissent repiquer leurs semailles le jour suivant le passage de l’ouragan et ainsi perdre le moins possible de leur récolte et de leurs gains. Malgré cette importante organisation, je suppose qu’ils auront des pertes économiques pendant quelques semaines, mais il n’en est rien parce que, m’explique-t-il, « chaque mois ils payent tous une quantité triviale pour l’assurance des récoltes, ce qui couvre tout le monde et leur permet de récupérer leurs revenus et leurs investissements perdus » (dans les autres pays, le plus courant, c’est que l’assurance des récoltes, s’il y en a, ne couvre pas plus de 10% des producteurs, qui sont en général, les plus riches).

Tout le monde est impliqué dans la défense civile. Sur chaque lieu de travail, il y a des personnes nommées pour préparer la protection du bâtiment de l’entité. À chaque pâté de maison, une habitation est désignée par coordonner les actions de défense civile avant, pendant et après la tempête. Dans chaque quartier, une maison est désignée comme le poste de commandement du quartier. Chaque personne a sa fonction pendant les désastres, elle l’a répétée, elle agit de façon responsable et les voisins coopèrent.

Je décide de rentrer plus tôt que prévu au Mexique. Bien que je sois dans le pays le plus préparé du monde en matière de catastrophes naturelles, récemment récompensé par l’ONU, pourquoi être dans la tempête si cela n’est pas nécessaire ? J’allume la télé avant de partir pour l’aéroport. On explique que déjà plus d’un demi-million de personnes ont été évacuées. Elles ne sont pas relogées dans des campements ou sous des tentes, non, mais dans des universités et des instituts : les étudiants en internat sont renvoyés chez eux (ceux qui vivent dans des zones sécurisées) et les dortoirs d’étudiants sont utilisés pour les familles évacuées. Les cuisines et les cafétérias fonctionnent : nourriture gratuite pour tous les évacués. A chaque 100 familles, un médecin est évacué avec elles ; il vit avec elles, il s’occupe d’elles. Des évacuations spéciales pour les femmes enceintes, les personnes âgées et les enfants. Les gens sont évacués avec leurs appareils électroménagers pour qu’ils n’aient pas à s’inquiéter de leurs biens de valeur. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, en plus des personnes, 300.000 animaux ont été évacués !

Je me sens comme un astronaute en visite sur une autre planète, à la civilisation exotique, où le gouvernement s’inquiète des gens, et où la vie humaine vaut plus que la propriété privée. Malheureusement, je n’avais plus de temps et je devais revenir sur la planète Terre, à la triste civilisation (si tant est que cela mérite ce nom) d’Homo capitalistus. L’avion a atterri à Mexico et je me réveille de mon rêve : je suis dans le « monde libre ». Dites-moi, libre de quoi ?




NOTES:

[1] [NDLR] Quinzième sommet ibéro-américain de Salamanque qui s’est tenu les 14 et 15 octobre 2005.

Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), Mexique, 31 octobre 2005.

Traduction : Marie-Anne Dubosc, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).

 
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