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Crimes sexuels : à Paris ou à Delhi, non, c'est non
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8 janvier 2013 23:58
INDE • Crimes sexuels : à Paris ou à Delhi, non, c'est non
Une journaliste indienne qui vit en France depuis 15 ans témoigne des agressions constantes dont elle a fait l'objet en Inde, qu'elle compare à la liberté et la sécurité que lui offre la capitale française.

The Indian Express |
Radha Kapoor Sharma |
8 janvier 2013


Dans les rues de New Delhi comme dans celles d'autres villes du pays, les femmes ne se sentent souvent pas en sécurité - Dell Inc./FlickR/CC Dans les rues de New Delhi comme dans celles d'autres villes du pays, les femmes ne se sentent souvent pas en sécurité - Dell Inc./FlickR/CC

Delhi, la capitale de notre pays, détient aussi le triste titre de capitale indienne du viol. Les femmes y sont agressées et violées avec une régularité de métronome, la dernière mode en date consistant à violer en réunion dans un véhicule en déplacement. Ainsi, pendant que les habitants de Delhi mangent, regardent la télévision, dorment ou simplement vaquent sans entrain à leurs occupations monotones, dehors, une femme se débat, hurle et tente de résister à un groupe d'hommes qui attendent leur tour de satisfaire leur bestialité.

J'ai passé l'essentiel de ma vie à Delhi. J'y ai eu le sein tripoté à la volée par un cycliste qui s'est ensuite enfui à la vitesse du peloton du Tour de France, je me suis fait tripoter par des mains anonymes dans la foule, j'ai senti l'érection d'un type collé à moi dans un bus public, je me suis pris un gros crachat rouge de la part d'un chiqueur de bétel, j'ai été la cible de bien des remarques et gestes obscènes. En Inde, nous avons même une expression pour ce genre de comportement : l'"Eve teasing" [taquiner Eve]. Mais c'était une autre époque, le Delhi des années 1970.

Des hommes frustrés

Au XXIe siècle, Delhi est bien différente. Avec le lent recul de ce principe patriarcal selon lequel il est "hors de question de laisser travailler les filles et les épouses", les femmes sont de plus en plus nombreuses à entrer sur le marché du travail et à travailler tard, parfois même de nuit. Heureusement, elles ne sont plus cantonnées au foyer et peuvent gagner leur vie au même titre que les hommes, et elles se rendent au travail en voiture ou grâce aux transports publics. La nouvelle Indienne, jeune et citadine, va au centre commercial, au cinéma, à des soirées, seule ou avec son petit ami ; elle a une sexualité plus libérée, vit en colocation voire en concubinage. Elle est en passe de devenir un partenaire égal de l'homme et financièrement indépendant. Enfin, elle commence à avoir voix au chapitre.

Tout cela, évidemment, rend les femmes plus visibles et plus accessibles. Or, une race nouvelle d'hommes frustrés croit avoir droit à sa part du gâteau. Le gâteau, c'est cette nouvelle Indienne, une femme intelligente, qui s'habille comme bon lui semble, travaille tard et sort plus tard encore, affiche son indépendance et n'a pas un regard pour ce macho fruste. Que peut-il y faire ? Eh bien, il n'a qu'à aller prendre ce qu'il veut de force. Mais il est lâche et n'ose pas le faire seul. Alors il réunit quelques camarades. Plus on est de fous...

A Paris, non, c'est non

Telle est la Delhi que je vois quand je lis les journaux et chaque fois que j'y retourne, moi qui suis établie depuis 15 ans à Paris, une ville où un "non" d'une femme veut bien dire "non", pas touche. A Paris, les hommes séduisent les femmes, les conquièrent, les charment, leur font éventuellement des avances, mais ils ne leur sautent pas dessus contre leur gré, ne les agressent pas, ne les prennent pas de force. Je suis une femme, et je peux aller voir un film à la dernière séance ou aller au restaurant seule, marcher dans Paris la nuit sous un éclairage public correct et prendre les transports publics en sécurité, avec la satisfaction de savoir que la police patrouille dans les rues, mais aussi dans le métro.

La police rend ici des comptes, et elle prend toutes les plaintes au sérieux. Les caméras de surveillance permettent d'identifier rapidement les agresseurs. Les taxis sont encadrés et doivent afficher leur numéro de licence de façon visible, ainsi qu'un numéro de téléphone pour les réclamations. Les chauffeurs de taxi vivent dans la peur de perdre leur licence. En règle générale, la dissuasion contre les agressions sexuelles est forte, les sanctions inévitables. Mais au fond, ce qui rend Paris plus sûre, c'est l'attitude générale à l'égard des femmes. Certes, le harcèlement sexuel y est une réalité, les violences conjugales restent taboues, les agressions contre les femmes existent bien, mais en règle générale, l'espace public est un espace de sécurité, parce que les hommes traitent les femmes avec respect. Un certain civisme a cours ici, si bien que de simples témoins peuvent se transformer si nécessaire en défenseurs actifs.

Enfin un vrai sursaut de la population

En Inde, la banalisation des crimes contre les femmes dans la presse est telle qu'elle nourrit l'indifférence d'une grande majorité de la population, qui se contente le plus souvent d'être soulagée : ouf, ça n'est pas tombé sur moi, ou sur ma fille, ou sur ma sœur. L'opinion a un moment de choc et de tristesse, puis elle oublie et reprend sa routine. C'est dans la chaleur et la sécurité de nos foyers que nous lisons les articles faisant état de ces viols atroces, avec un sentiment d'impuissance et d'inquiétude pour nos filles et leurs amies.

Le viol collectif d'une jeune femme de 23 ans, étudiante en kinésithérapie, par des hommes soûls "en goguette" dans un bus qui roulait [le 16 décembre dernier], a mué ce sentiment d'impuissance en brûlante indignation. La victime n'est plus : elle est partie, sans savoir qu'elle est devenue l'égérie de l'appel à une loi plus draconienne, à une justice plus rapide et à une meilleure protection des femmes.

Faire évoluer les comportements

L'heure n'est pas aux accusations et aux politicailleries, l'heure n'est pas non plus aux analyses partisanes ni aux remarques cinglantes de la part de nos politiciens et de leurs sbires. Le temps est venu pour l'Inde de rendre hommage à son enfant en faisant en sorte que les coupables soient punis en un temps record et en adoptant sans délai des mesures concrètes pour protéger les femmes et faire de notre pays un pays sûr pour elles. Cela passe par des grandes villes plus adaptées aux piétons, avec un meilleur éclairage public et des artères piétonnes accessibles, une surveillance plus étroite des bus, des taxis et des voitures, dont les conducteurs doivent faire l'objet de contrôles de police, mais aussi par une présence policière accrue, une responsabilisation plus forte des forces de l'ordre et davantage de femmes dans la police.

Mais au-delà de ces changements institutionnels, c'est une évolution nette des comportements envers les femmes qui s'impose, ainsi que l'enseignement du civisme par le biais de campagnes de presse, dans les journaux et l'audiovisuel, à l'attention de l'ensemble de la population, et de programmes de sensibilisation aux questions hommes/femmes pour les enseignants et le personnel de police. Et si nous prétendons en finir avec des comportements misogynes et des préjugés venus du Moyen-Age en faveur d'un traitement plus éclairé de la femme, cela ne se fera pas en criant vengeance contre les violeurs ni en exigeant contre eux des sanctions inhumaines et moyenâgeuses.

Faisons en sorte que la mort de l'étudiante violée de Delhi marque un tournant dans l'histoire du droit des femmes. Au moins, elle ne sera pas morte en vain. L'Inde est capable d'envoyer des missiles dans l'espace et de s'affirmer comme puissance nucléaire : saura-t-elle aussi offrir la sécurité à ses femmes ?
 
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