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Confidences d'un trabendiste entre Algerie et Maroc
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12 octobre 2011 13:42
Sources Dna ( Dernières Nouvelles d'Algerie )

Aziz, 35 ans, trabendiste à Alger,trafiquant à Casablanca, affairiste à Tripoli, exportateur à Tunis Mercredi, 20 Juillet 2011, 17:28 | Amel Bouzid
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Reportage. Aziz a 35 ans, mais donniez lui10 de plus que vous ne vous y tromperiez pas. Ce paquet de nerfs a le corps sec et noueux d’un oléastre de cette petite Kabylie dont il est originaire. Aziz fait partie de ces petites mains porteuses de cabas qui ont décidé de se jouer des frontières fermées et des Etats fâchés. De Casablanca à Alger, de Tunis à Tripoli,de Tripoli à Alger, Aziz fait son business en achetant ce qu’il y a de mieux chez les uns pour le revendre chez les autres. A sa manière bien à lui, il réalise, ce projet de Grand Maghreb, que les politiciens n’appellent de leurs vœux que pour mieux l’enterrer de leurs décisions.


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Depuis les événements de Tunisie et de Libye, Aziz se rend trois à quatre fois par semaine, au moins, au Maroc, plus précisément, à Casablanca, capitale économique du royaume chérifien « A Casa, j’achète de la petite pièce détachée dans les casses auto, des pyjamas pour femmes et des caftans marocains », dit-il.

Aziz a un sens aigu des affaires. Plutôt que d’acheter un caftan à 700 dirhams (1 dirham vaut environ 10 dinars), il achète du tissu à 250 dirhams avant de commander des modèles fournis sur photographie à des tailleurs qui prennent 150 dirhams par pièce réalisée.

Ainsi, il économise 300 dirhams sur chaque caftan. Il revend en gros à Alger la dizaine de caftans qu’il amène dans ses bagages à raison de 11 000 dinars pièce et réalise un joli bénéfice au passage.

Un turbo made in France, acheté l’équivalent de 13 000 dinars à Casablanca, est revendu le double à Alger. A chaque voyage, Aziz engrange une dizaine de millions de centimes de bénéfices. Net d’impôts.

Graisser la patte

Aux douanes marocaines, le transit est plutôt facile, explique-t-il. Il suffit de glisser un petit billet de banque dans le passeport et l’affaire est dans le sac. C’est au niveau des douanes algériennes que l’affaire se corse. « Ils sont insatiables. Ils peuvent te bouffer tout ton bénéfice et même ton capital », maugrée Aziz.

Si au Maroc, Aziz fait de l’import, pour la Tunisie il fait plutôt de l’export. Des téléphones et des ordinateurs portables, de la pièce détachée, rare et chère, et du corail. Bref, tout et n’importe quoi.

Pour la Libye, quelques berlingots de vin algérien achetés à 230 dinars pièce sont revendus 50 dinars libyens. Soit l’équivalent de 3500 dinars algériens. Sa marchandise liquidée, il achète des boxers et des pantalons pour les revendre à Alger avec une marge conséquente.

Mais depuis que la guerre a éclaté au pays de Kadhafi, les affaires marchent beaucoup moins bien. Trop de complications, trop de risques.

Si le business est florissant à Casa, à Alger ou à Tunis, il n’est plus de même pour la Turquie, jadis Eldorado des trabendistes algériens. Depuis que la monnaie turque est devenue trop chère, Aziz a mis une croix sur Istanbul pour se concentrer sur les pays du Maghreb. « Le seul problème est que les prix d’Air Algérie sont trop chers », dit-il.

Ainsi, pour rallier Ankara, il se rend par route en Tunisie pour prendre l’avion. Prix du billet : 2770 dinars contre 48 000 à partir d’Alger. Il n’y a pas de petits profits.

Tbezniss florissant

Dans le « tbezniss » depuis 1992, Aziz a pu ainsi s’acheter un petit lot de terrain pour construire une maison, se marier. Le Maroc c’est la terre promise pour lui. Même avec les frais du billet d’avion, de l’hôtel et de la nourriture, il arrive à faire de substantiels bénéfices. « Tout est mieux au Maroc. En plus on se sent plus libre là-bas qu’en Algérie», dit-il.

Aziz connaît Alger, Tunis et Casablanca comme sa poche. Il en parle : « Tunis est sécurisée mais Casa est comme Alger, il faut faire gaffe aux agressions ». A preuve, Aziz montre sa poche de blouson tailladée d’un coup de canif ou de lame. « Ils m’ont vu prendre ma marchandise », explique-t-il. « On peut te faire la peau pour 100 dirhams », dit-il encore.

Et le business, Aziz sait y faire.

Mercedes et « double zéro ».

Pour faire passer du kif, il faut beaucoup d’argent et des connaissances solides. Au minimum, il faut avoir un commercial de la douane comme complice. « Côté marocain, personne ne cherche après toi. Pourvu que le business marche », dit Aziz. Une fois arrivé à l’aéroport d’Alger, le passeur appelle au téléphone son complice et lui donne le numéro du bagage qu’il doit récupérer sur le tapis roulant. Et le tour est joué.

Ni vu, ni pris. Le kif de la meilleure qualité est appelé « Mercedes ». Arrivée à Alger, la marchandise est coupée avec du henné, du cirage... Bref, des matières dont la simple évocation vous donne une petite idée des ravages qu'ils peuvent causer sur les consommateurs.

« C’est à cause de toutes les saletés qu’on y incorpore que l’on voit de jeunes drogués d’à peine 20 ans trembler comme des parkinsoniens », explique Aziz.

En Algérie, le kilo de kif est alors multiplié par trois pour être revendu entre 16 et 20 millions de centimes. Selon sa qualité. Il y a la Mercedes, la double zéro, la Tbissla et le savon. « Si un grossiste tombe, la marchandise se fait rare et les cours peuvent flamber et monter jusqu’à 20 briques le kilo », dit-il encore.

Il n’y a pas que le kif pour chasser le spleen des jeunes maghrébins. La coke a fait son apparition ces dernières années. La meilleure qualité, appelée « cristal », se vend à 700 dirhams à Casablanca. A Alger, les prix doublent, triplent même. La clientèle de cette poudre blanche plus chère que l’or ? La jeunesse friquée de la nomenklatura, la jet-set. Avec un rail de coke, le fils d’un gros ponte ou d’un nouveau milliardaire peut sniffer en quelques secondes le salaire d’un smicard. Même avec des produits aussi chers, il y a souvent tromperie sur la marchandise.

12 000 dinars le gramme de coke à Alger

C’est que la coke est coupée avec des anxiolytiques comme « Laroche » ou « Laroxyn » ou bien encore de la simple farine pour être vendue comme étant du « cristal » à 12 000 dinars le gramme. « Il y a un argent fou là dedans, mais ce n’est pas n’importe qui fais ça. Pas les petits moineaux comme moi », dit Aziz.

L’année dernière, un réseau dans lequel agissaient notamment le fils d’un ancien ministre et le rejeton d’un général a d’ailleurs été démantelé dans le quartier huppé de Hydra, sur les hauteurs d’Alger.

Mais kif et coke ne sont pas les seuls produits qui font l’objet de trafic entre les deux pays. Il y a aussi, l’essence, le gasoil.

« Si tu n’es pas content, va te plaindre à Bouteflika ou à qui tu veux ! »

Tout voyageur qui passe un jour à Maghnia, dernière ville d’Algérie avant la frontière marocaine, ne manque pas de remarquer ces interminables chaînes de voitures de marque Mercedes devant les pompes à essence.

En se présentant de nuit à la pompe, on peut s’entendre dire : « Mebyouâa » (vendue). « C’est X qui a acheté la pompe. Si tu n’es pas content, va te plaindre à Bouteflika ou à qui tu veux ! ».

« Je connais quelqu’un aux frontières qui possède 7 semi-remorques avec des réservoirs de 10 000 litres sur chaque tracteur », affirme Aziz.

Pour tremper dans ce type de trafic, il faut avoir les reins solides, les épaules larges et les bras longs, affirme Aziz. Sûrs de leur puissance, les trafiquants sont arrogants face aux petits policiers des frontières qu’ils peuvent relever de leur poste sur un simple coup de téléphone.

Ces policiers là n’arrêtent que des petits poissons qui essaient de faire passer quelques jerricans sur une charrette tirée par des ânes. Pour les gros bonnets, les routes sont « achetées » et « sécurisées ». C’est ce trafic qui fait vivre toute la population des deux côtés de la frontière.

Pour passer vers Oujda, première ville du Maroc passée la frontière avec l’Algérie, des pistes ont été tracées au bulldozer à 8 000 dinars l’heure, raconte Aziz. Le chauffeur appelé à convoyer de nuit le gasoil au-delà des frontières se fait jusqu’à 10 millions de centimes par mois. Un complice marocain l’attend pour récupérer la marchandise. Au final, les comptes sont très bons. Il bénéficie d’un appartement, d’une femme de ménage et tient table ouverte dans les meilleurs restaurants.

Milieu interlope

A force de fréquenter dealers et trafiquants de tout acabit, Aziz connaît tout des petites et grandes combines de ce milieu interlope. « Je connais des gens qui ont bâti des fortunes colossales en Algérie », dit-t-il. Alors, il raconte cette anecdote.

Un jour, Aziz entre dans un restaurant marocain en compagnie de son ami passeur de coke et de quelques autres margoulins. Les gigantesques plats de poissons et de fruits de mer défilent au rythme des bouteilles de whisky qui se vident ou deux trois levers de verre.

Le repas est gargantuesque. Histoire de faire honneur aux codes de la table, Aziz veut payer son « petit coup ». Lorsqu’il tire de sa poche un billet de 100 dirhams, son compagnon de table manque de s’étouffer en avalant son whisky : « T’es walou ( rien) avec ton billet de 100 dirhams ! Cache-moi ça ! ».

Ce compagnon, rencontré un jour dans un cabaret à Oran, faisait des « tebriha » (dédicace de chanson), à coups de liasses de 20 millions de centimes. Quand Aziz lui demande comment il fait pour avoir autant d’argent, celui-ci répond : « Rak ragued, kho (tu dors, mon frère). Nous, on fait de gros coups. On n’est pas du menu fretin comme toi. Denia hadhi koul ou wekkel (la vie c’est du donnant-donnant)».

Dans un long soupir qui exhale la fumée d’une blonde américaine, Aziz confie que ce bonhomme n’a pas encore 30 ans et qu’il possède une Mercedes qui vaut 130 briques. « En Algérie, si tu es trop sérieux, tu auras toujours faim. Par contre, quand tu as de l’argent tu peux remplir la bouche de celui qui veut te causer des problèmes et il se tait aussitôt », conclut-il d’un ton philosophe.



Lire l'article original : Aziz, 35 ans, trabendiste à Alger,trafiquant à Casablanca, affairiste à Tripoli, exportateur à Tunis | DNA - Dernières nouvelles d'Algérie
 
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