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C´etait il y a 17 ans.....Un entretien avec Hassan II
a
30 juin 2005 15:01
.... c´etait il y a 17 ans, Hassan II avait accorder un entretien au Journal le Monde... Interessant a lire!

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Un entretien avec Hassan II Le problème sahraoui pourrait être réglé dans le cadre de la régionalisation du Maroc L'unité du Grand Maghreb se fera plus rapidement que celle de l'Europe

Article paru dans l'édition du 03.08.88

Si les Sahraouis disent qu'ils veulent rester Marocains, Hassan II envisage de procéder à une vaste régionalisation de son royaume, un peu sur le modèle des Länder allemands, pour tenir compte de la diversité de son peuple. Telle est la principale déclaration qu'a faite Hassan II sur la question saharienne, au cours d'un long entretien accordé au " Monde " la semaine dernière. Le souverain a traité bien d'autres problèmes au cours de cette rencontre, qui s'est déroulée dans le cadre somptueux de son palais d'été de Skhirat, qui surplombe l'Atlantique, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Rabat. Parmi les autres sujets abordés par le roi : le rapprochement avec l'Algérie et la perspective d'un Grand Maghreb, les relations avec le colonel Kadhafi, les relations irano-irakiennes, l'affaire palestinienne, la diplomatie de Gorbatchev, l'état de l'économie marocaine, les relations avec la France... M. Driss Basri, ministre de l'information et de l'intérieur, et M. Reda Guedira, conseiller du roi, assistaient à l'entretien.


SKHIRAT de nos envoyés spéciaux " Majesté, on parle beaucoup du Maghreb depuis le rapprochement qui est intervenu entre le Maroc et l'Algérie, et qui s'est manifesté par votre visite solennelle à Alger, en juin, au moment du sommet arabe. Comment expliquez - vous ce rapprochement ?

Il y a dans l'histoire des moments de stagnation et des périodes de crues. Les circonstances européennes, euro - africaines, arabes ou islamiques, toutes ces conjonctures ont fait que nous étions en période de crue, et de crue féconde. Ce besoin de fécondité de l'histoire s'est fait sentir, comme il s'est fait sentir d'innombrables fois dans l'histoire de l'humanité. Peut-être que, dans cinq ou six ans, nous expliquerons mieux ce qui s'est passé. Pour l'instant, tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a eu un phénomène de convergence mentale, un phénomène que nous avons appris en classe de philo : au même moment, dans un même siècle, la même découverte a été faite par trois ou quatre personnes dans des pays différents. Tout cela, plus le besoin de retour à la sérénité, à la responsabilité régionale, et non pas nationale, a fait que le fruit a mûri et que le sommet d'Alger a eu lieu.

Quel est le déclic qui a engendré cette transformation chez les trois ou quatre personnes dont vous parlez?

Il faut revenir un petit peu en arrière. Tout le monde pense que le Maroc avait rompu les relations avec l'Algérie à cause de la reconnaissance par Alger de la fameuse RASD (République arabe sahraouie démocratique). Je ne suis pas de ceux qui s'accrochent à l'accessoire et qui oublient le principal. Si j'avais dû rompre à ce sujet, j'aurais rompu à l'apparition du Polisario, qui s'est manifesté avant la RASD. " Je demande à tous les lecteurs du Monde, qu'ils soient marocains ou algériens, d'oublier immédiatement ce que je vais dire. Mais l'Histoire est l'Histoire. Nous avons rompu parce que nous avons eu quarante-cinq mille Marocains mis à la porte de l'Algérie, dans des conditions inhumaines (1). " Des femmes qui venaient d'accoucher par césarienne, des personnes dont le fémur était brisé, et auxquelles ont avait enlevé les prothèses hospitalières... Tout ce monde-là était jeté à la frontière. Je ne sais pas ce que sont devenus leurs biens, leur dignité : on séparait le mari de la femme, le frère de la soeur, et un beau matin on s'est retrouvé avec quarante-cinq mille Marocains qui vivaient en Algérie depuis des décennies, pour ne pas dire des générations. Voilà la raison pour laquelle nous avons rompu. Ce n'est pas à cause de la RASD. " Lorsque le président Chadli Bendjedid m'a envoyé son émissaire, M. Messaaädia, pour m'inviter au sommet d'Alger, je n'ai fait que lui renvoyer la réponse qu'il avait faite à mon messager pour l'inviter au sommet de Casablanca. Il avait dit, si je ne me trompe, à M. Guédira, que j'avais envoyé pour l'inviter : " M. Guédira, je suis puni du Maroc, nous n'avons pas de relations. Il m'est impossible de venir à Casablanca, mais l'Algérie sera présente. " J'ai fait la même réponse à M. Messaadia : " Dites au président que, comme lui, je me trouve privé, puni d'Algérie tant que nous n'avons pas repris nos relations. " " Et je crois qu'il y a eu une conjoncture astrale, une convergence mentale, qui ont fait que nous avons tous deux décidé de reprendre nos relations ; le reste est venu par une sorte de maieutique. On s'est rendu compte que la cause arabe nécessitait la solidarité d'un certain nombre de groupes arabes entre eux pour constituer la solidarité communautaire. Voilà comment tout cela s'est passé, extrêmement vite, trop vite direz-vous de l'extérieur, mais nous, les Maghrébins, nous disons : " Très vite, un peu tard mais très vite. "

Dans quelle mesure les difficultés intérieures de l'Algérie ont-elles joué un rôle dans ce rapprochement ?

Franchement, je ne vois pas de difficultés spécifiques à l'Algérie car, nous aussi, depuis quatre ans, nous traversons des difficultés. Nous aussi, nous avons eu trois années de sécheresse et nous nous sommes trouvés dans une situation financièrement difficile. C'est, là encore, peut-être un de ces malheurs qui contiennent en eux-mêmes leurs propres bienfaits. Peut-être instinctivement avons-nous pensé, sans nous concerter, qu'il fallait se rapprocher l'un de l'autre pour se communiquer une certaine chaleur nécessaire à nos besoins.

Dans beaucoup de conflits régionaux se manifestent aujourd'hui des signes de détente. C'est vrai au Cambodge, en Angola, etc. La détente algéro-marocaine est-elle à relier à cet ensemble ou est-ce un phénomène lui-même ?

En tant que marocain et maghrébin, je serais tenté de vous dire que nous avons toujours pensé et rêvé Maghreb arabe. L'historien, naturellement, va peut-être dire que, après la rencontre de MM. Reagan et Gorbatchev, nous nous sommes dit : "Pourquoi rester à faire les galopins de l'Histoire ? Soyons des hommes mûrs et mettons-nous au diapason." Peut-être. Je puis vous dire que cela n'a pas été mon sentiment et que je n'ai senti ce sentiment ni chez le président Chadli Bendjedid, ni chez le président Ould Taya de Mauritanie, ni chez le président Ben Ali de Tunisie, ni chez le colonel Kadhafi de Libye. Nousn'avons pas senti une contrainte de l'environnement international. Il s'est présenté une occasion et les écoliers en ont profité.

La perspective du grand marché européen, en 1993, a-t-elle été une des raisons qui ont poussé le Maghreb à essayer de s'unir davantage ?

Certainement, par phénomène d'induction, mais de là à vous dire que nous avons dit point Un, Deux, Trois, Quatre, l'Europe en 1992... Nous ne l'avons pas fait. C'était peut-être dans notre inconscient. Mais cette boulimie de rencontres, de retrouvailles n'a fait que nous donner une bonne leçon, à savoir que, les uns et les autres, nous avions été des garnements : à nous de ne plus recommencer. _ C'est ce à quoi vous faisiez allusion dans votre discours de l'autre jeudi quand vous avez dit : " Je ne me mettrai plus en colère, sauf quand l'honneur de mon pays sera en cause ? "

C'est un peu cela. Je ne dis pas que je me suis mis en colère pour des raisons qui n'en valaient pas la peine. Disons que j'avais une sorte d'allergie dermatologique. Je me suis arrangé pour avoir la peau un peu plus épaisse... " Nous n'avons pas eu de Moyen Age tumultueux"

La communauté maghrébine qui est en route prendra quelle forme ? A-t-on déjà une idée de ses structures ou ne seront-elles précisées qu'au fur et à mesure ?

Cette communauté maghrébine revêt ces deux aspects. Je pense que nous mettrons moins de temps à faire le Grand Maghreb que l'Europe n'en a mis à se faire. D'abord parce que nous n'avons pas eu le Moyen Age tumultueux que vous avez eu en Europe. Nous n'avons pas eu les guerres de religion, nous n'avons pas eu Charles VIII, François Ier et Charles Quint. Nous n'avons pas eu les différences linguistiques que vous avez eues en Europe.

Et vous n'avez pas eu la Révolution française et Napoléon !

La Révolution française, en définitive, je l'appelle l'évolution française à travers laquelle toute l'Europe a évolué... Donc nous n'avons pas ce grenier historique où l'Europe a entassé tous les vieux souvenirs qui incarnent sa disparité. C'est pourquoi je dis que cela se fera sentimentalement plus vite. " Sur le plan pratique, il est certain que chacun de nous devra être attentif et ne pas oublier les difficultés et surtout l'objectif. Nous avons des systèmes économiques ou socio-politiques différents. Il faut absolument que nous puissions surmonter ces disparités. Cela exigera des concessions mutuelles, des concessions de souveraineté bien calculées pour que la complémentarité de ce Maghreb puisse être respectée sans pour autant amener chez l'une de ses composantes le moindre malaise ou le moindre trouble. Ce n'est pas impossible mais c'est difficile. En ce qui me concerne, j'aime bien les situations difficiles et je pense que mes partenaires ne reculeront pas devant la difficulté.

L'Algérie n'a-t-elle pas souvent mal ressenti la présence à sa frontière d'une très ancienne monarchie ?

Je pense que cette sensation qu'éprouvait l'Algérie il y a quelques années a disparu avec la maturité, avec l'apport des nouvelles générations. On doit négocier le virage avec l'histoire et avec son voisin. Je peux ajouter que même l'existence d'institutions communes ne sera pas de nature à remettre en cause les régimes choisis par les uns et par les autres. _ Vos relations sont passées d'une période disons de coexistence hostile à une période de coexistence relativement amicale. Est-ce que vous imaginez que cela aille plus loin et que des formes institutionnelles apparaissent pour la coopération maghrébine ? _ Je pense que la première institution qui devrait être adoptée, c'est la réunion périodique des chefs d'Etat maghrébins.

Un peu sur le type des conseils européens...

Exactement. Il faut que tous les ans ou tous les six mois on soit d'accord ou pas d'accord, qu'il pleuve ou qu'il fasse soleil, qu'on se rencontre. Et que l'on passe la main à l'autre. De cette façon, la tolérance et la cohabitation viendront, car chaque fois que quelqu'un d'autre prendra la responsabilité de l'ensemble il se mettra à la place des autres, comprendra leurs difficultés, leurs hésitations ou, au contraire, leur volonté d'aller de l'avant.

Quand vous dites " prendra la responsabilité ", est-ce à dire que vous imaginez une espèce de présidence tournante sur le type de la Communauté ?

Oui. " La question de l'indépendance sera posée dans le référendum sahraoui " _ Est-ce dans ce cadre de la communauté maghrébine ou par un accord avec l'Algérie que vous envisagez une solution à l'affaire sahraouie ?

J'ai toujours pensé que l'affaire sahraouie pouvait et devait se régler dans le cadre de la trame ancestrale maroco-algérienne. Car, en définitive, le président Boumediène m'a dit, il y a plusieurs années : " Vous comprenez ",

et je trouvais son raisonnement pas tout à fait logique, mais enfin,

" vous comprenez, je n'ai pas pu me taire quand le peuple vietnamien demandait l'autodétermination. Voilà un peuple sahraoui qui est à côté de moi et qui la demande ; je serais le premier à renier mes principes si je ne le faisais pas. " J'ai souri, mais j'ai compris parfaitement. " Je n'étais pas d'accord au début sur l'autodétermination par référendum. Par la suite, je me suis dit : "Après tout, pourquoi pas ?" Et lorsque, à Nairobi (2), je suis allé proposer le référendum, je n'ai pas trouvé, disons, la chaleur que j'espérais de la part de certains. Mais, par la suite, nous nous sommes rendu compte, l'Algérie et nous-même, que nous n'étions jamais en désaccord parce que l'Algérie a toujours déclaré qu'elle n'avait pas de prétention sur le Sahara, qu'elle demandait le référendum d'autodétermination par vertu, par credo révolutionnaire national. " Nous nous sommes ralliés à cette thèse et je ne vois pas du tout ce qui dans ce cadre pourrait être désobligeant pour le Maroc ou pour l'Algérie. La seule chose qui serait désobligeante pour les deux, et je sais ce que je dis, c'est que les Sahraouis disent : "Nous voulons être indépendants." Je peux vous assurer que ce serait l'ennui le plus important que le Maroc et l'Algérie devraient envisager ensemble. " Vous allez me demander pourquoi ? Je vous explique : les tribus de tout le Sahel sont un petit peu comme la géologie du Sahel : jusqu'au Golfe persique, c'est le même substratum géologique. Et à partir de la Tunisie, c'est à peu près le même substratum humain et nous rencontrons les mêmes tribus, sauf que certaines sont appellées celles de l'Occident et d'autres celles de l'Orient. " Il est certain que, pour l'Algérie et pour le Maroc, c'est une chose assez dangereuse de concevoir que des Sahraouis puissent avoir l'indépendance. Non seulement l'indépendance est contagieuse, mais elle est brouillonne avant de se calmer, de devenir limpide et sereine. Au bout de combien de temps ? Dieu seul le sait. C'est pourquoi soixante-dix mille habitants recherchant, tant à droite qu'à gauche, au nord qu'au sud, un pivot auquel s'accrocher, serait à mon avis une chose extrêmement dangereuse pour le Maroc et pour l'Algérie. Je ne parle pas de la Mauritanie, pour qui ce serait encore pire car elle a ses problèmes du sud avec le Sénégal. Mais je crois que, à ce moment-là, on verrait peut-être la sainte alliance se faire sur le dos des Sahraouis.

S'il y a un référendum, la question sera tout de même posée aux Sahraouis de savoir s'ils veulent l'indépendance ?

Naturellement qu'elle leur sera posée. Je souhaite de tout coeur qu'ils disent qu'ils veulent le Maroc.

Une solution régionale ? On a plus ou moins parlé ces temps derniers de l'éventualité d'un Sahara occidental autonome au sein du royaume du Maroc. Envisagez-vous une telle solution ?

Intensément. J'ai toujours dit depuis le début de mon règne que je souhaitais laisser à mon successeur un Maroc bâti à l'exemple des Länder allemands. Car mon pays a une telle diversité que je ne veux pas l'émasculer. J'aime des bourgeonnements à droite, à gauche, même s'ils doivent être porteurs d'épines. Mais, si je dois faire quelque chose pour le Sahara par la suite, je ne le ferai pas que pour le seul Sahara. Si toutefois les Sahraouis disent qu'ils veulent rester marocains, comme j'en ai la conviction.

Vous avez en tête une sorte de régionalisation du royaume ?

Beaucoup plus poussée qu'on ne le pense. C'est à mon avis la sagesse.

Mais cela ne va pas jusqu'au "timbre" et au "drapeau" dont avaient parlé à un moment les Algériens pour le Sahara... En politique tout est symbole... Que veulent dire le timbre et le drapeau ?


Cela veut dire les attributs de la souveraineté. Frapper monnaie et le drapeau, cela veut tout dire. Cela veut dire que je peux vous enrégimenter, que je peux vous demander pourquoi vous n'avez pas payé l'impôt, pourquoi vous ne vous êtes pas présenté devant le juge. Le drapeau, c'est tout. Promenez-vous à travers le Maroc et vous verrez que je suis le Marocain le plus libéral concernant cette affaire saharienne. Vous verrez vous-même que, quelles que soient les familles politiques et sociales, les Marocains n'acceptent pas du tout qu'on en préjuge.


Dans l'interview que vous nous aviez donnée en 1984 (3), vous aviez dit que, si l'Algérie cherchait une solution pour sauver la face, vous étiez tout prêt à le faire. Qu'est-ce qui peut sauver la face de l'Algérie dans une affaire de ce genre ?

La France a assez chouchouté et dorloté l'Algérie pour savoir ce qu'elle représente. Donc le poids que j'ai donné à l'Algérie est beaucoup plus important que celui que la France lui donne. Il n'entre pas dans mon ambition d'être seul capable et susceptible de sauver la face de l'Algérie. " La face de l'Algérie est trop grande pour qu'un homme seul puisse la sauver. C'est à mon avis un travail à deux, une concertation à deux, et surtout un retour aux sources qui fera qu'il n'y a ni vainqueur ni vaincu : vous avez les premiers demandé un référendum, nous avons dit non au début, ensuite nous avons dit oui, maintenant laissons le référendum se faire, vivons notre vue commune et vivons-la le plus sincèrement possible. Tout le monde se rendra compte, en définitive, que, si cette affaire du Sahara se règle bien, le Maroc et l'Algérie applaudiront. Si elle se règle mal, le Maroc et l'Algérie perdront tous les deux. Nous serons vainqueurs tous les deux ou nous serons vaincus tous les deux. Car tous les deux nous aurons en face de nous une façade sur l'Atlantique de plus de 1000 kilomètres. Regardez ce qui se passe en Angola. Les côtes sont très tentatrices et très dangereuses. C'est pour cela qu'il ne saurait y avoir de vainqueur ou de vaincu.

Où en êtes-vous de vos relations avec le colonel Kadhafi ?

Des relations très turbulentes, mais très gentilles. Nous avons des turbulences, comme le soulignent les météorologues, mais cela ne va jamais au-delà de quelques perturbations. Les relations sont bonnes. Il est certain qu'il ne me pardonne pas d'avoir rencontré Shimon Pérès, et moi je ne lui pardonne pas le fait de ne pas me pardonner d'avoir serré la main de Shimon Pérès. C'est pourquoi je lui ai dit avant d'aller à Alger : " Je te préviens que je ne me suis pas encore lavé du péché d'avoir serré la main de Shimon Pérès. A toi de choisir si tu veux me serrer la main. "

Vous vous parlez souvent par téléphone ?

Assez souvent.

Vous considérez que la Libye est un partenaire normal de la communauté maghrébine et qu'elle jouera son rôle ?

Non seulement je considère qu'elle est un partenaire normal, mais il faut reconnaitre que, dans cette histoire maghrébine, ce sont le Maroc et la Libye qui ont eu le courage de faire le premier pas pour une union vraiment sérieuse. C'est le pas accompli le plus sérieux jusqu'à ce jour. Lorsqu'on voit les autres traités qui ont été signés, aucun n'équivaut à ce que nous avons fait avec la Libye. Les circonstances ont voulu que ce traité n'ait pas donné les fruits escomptés, mais quand même le Maroc et la Libye ont eu le courage d'aller très loin.

Dans votre esprit, cet accord maroco-libyen était-il destiné avant tout à faire réfléchir les Algériens ?

Non. Je peux vous l'assurer sur l'honneur : cet accord n'a jamais été fait dans l'esprit de piéger quiconque, d'amener quiconque à réfléchir. Je ne suis pas un homme de chantage ou de pression. Il répondait tout simplement à une volonté de faire quelque chose. Il a été fait dans un esprit innocent et vertueux. J'ai été du reste un petit peu puni parce que, si mon partenaire Kadhafi me reproche beaucoup de choses, j'ai moi aussi beaucoup de choses à lui reprocher. " L'Iran a toujours été un bienfait et un danger pour l'Islam "

Nous sommes dans une phase où l'on se demande si la guerre entre l'Iran et l'Irak va s'arrêter. Qu'en pensez-vous et, dans l'affirmative, quelles seront, à votre avis, les répercussions du cessez-le-feu ?

Je ne sais pas ce qu'en pensent les analystes internationaux, mais il y a un aspect qui me trouble dans cette guerre : la soudaineté de son départ et de son arrêt. _ Après plusieurs mois de revers militaires iraniens quand même...

Il y a parfois des coincidences qui ne sont pas astrales. Ces revers militaires sont venus lorsqu'on a relevé l'imam, l'infaillible Khomeiny, de ses fonctions militaires et lorsqu'on a collé cette responsabilité à Rasfandjani. On a eu l'impression par la suite que Rasfandjani a fait tout ce qu'il fallait pour accélérer le processus de la débandade. C'est un don de voyance qui dépasse l'imagination. Que va-t-il se passer maintenant ? Dieu seul le sait.

Vous avez une hypothèse ?

L'Irak a toujours été un pays qu'on pourrait comparer à un étalon indomesticable, on le voit à travers son histoire. Que ce soit avant, pendant ou après les Abbassides (4), la nation irakienne a toujours été une nation très particulière, avec des réactions spécifiques. L'Iran reste, quant à lui, un bienfait et un danger pour l'islam. Quand l'islam est venu en Iran, il n'a pas trouvé le vide cosmogonique. Il y avait déjà une civilisation élaborée et il y avait déjà le bicéphalisme déifié, c'étaient Ormuzd et Ahriman, les dieux du Bien et du Mal. " Donc les Iraniens ont essayé de faire, depuis des siècles, l'islam à leur sauce. Cette sauce a été extraordinairement bénéfique pour l'islam sur le plan des découvertes scientifiques, sur le plan médical, sur le plan de la grammaire, sur le plan des hadiths (5) du Prophète, sur tous les plans. L'apport de l'Iran est incontestable... Mais l'islam n'a pas fait perdre à l'Iran ses relents anciens, Cyrus, Darius sont encore des noms qui circulent sur les lèvres, et c'est pour cela qu'il est très difficile de prévoir ce qui va se passer. La seule chose qu'on peut prévoir c'est que, à mon avis, l'OPEP ou l'OPEC vont être complètement atomisées. Car tout de suite après la fin de la guerre, l'Irak et l'Iran voudront chacun vendre le maximum de pétrole au prix le plus bas pour se reconstruire.

Curieusement, la première réaction du marché a été une remontée des prix.

Oui, mais ils vont redescendre. Avec tout ce que cela peut entrainer par effet multiplicateur, depuis les marchands de canons jusqu'aux fabricants de barils.

Vous parliez de l'Irak comme d'un étalon impossible à domestiquer. Contre qui va-t-il retourner son dynamisme maintenant ? La Syrie ou Israël ?

Je souhaite d'abord qu'il le retourne contre les pertes qu'il a subies, contre le sous-développement : il va falloir que l'Irak refasse ses cadres, son élite, son armée, qu'il se remette au travail.


Vos propos sur la spécificité iranienne signifient-ils que vous craignez une ruse de la part de Téhéran ? _ Non. La seule chose que je puis vous dire, c'est que tant pour l'URSS que pour les Etats-Unis le point principal d'ancrage dans la région c'est l'Iran. Vous le savez, nous le savons. Qu'il soit entre les mains des ayatollahs, entre les mains des pasdarans ou entre les mains des partisans du chah, l'Iran reste une plaque sensible pour les Etats-Unis et l'URSS. Les pays du Golfe, l'Arabie saoudite, l'Egypte, tout cela passe au second plan. Quoi qu'il arrive, il faut tenir compte de cette donnée dans l'équation iranienne.

Le conflit palestinien dépend en définitive de l'attitude d'Israël

L'arrêt de la guerre aura-t-il un effet bénéfique sur le conflit israélo-palestinien ou non ?

Je n'en ai aucune idée. Le conflit palestinien dépend en définitive de l'attitude d'Israël. Contrairement à ce que l'on pense, il ne dépend pas de l'attitude des Arabes. Israël doit savoir une chose. Ce que M. Begin a appelé la Judée et la Samarie, ce sont les territoires occupés. Ou bien il imaginait, et ses successeurs imaginent, qu'ils vont tout simplement les accaparer et ramener à eux de très mauvais Israéliens. Ou bien ils pensent qu'ils vont un jour leur donner une sorte d'autonomie, et ils s'en feront de très mauvais voisins ; dans les deux cas, Israël a tort. Il faut qu'Israël fasse un petit effort d'imagination.

Vous ne croyez pas que l'OLP puisse l'y encourager en faisant preuve d'esprit de conciliation ?

On entend tout de même plusieurs porte-parole de l'OLP dire : " Une négociation directe avec les Israéliens serait nécessaire " ; Gorbatchev encourage Yasser Arafat dans ce sens... L'OLP est habilitée par les pays arabes à prendre toute initiative puisqu'elle est le représentant unique et légitime du peuple palestinien. Si l'on peut faire un procès à l'OLP, c'est que jusqu'à présent elle n'a pas bougé. Mais quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse pour le bien des Palestiniens, en principe elle est la seule responsable de ce qu'elle a décidé. Va-t-elle bien se préparer ou pas ? Le temps est-il passé ou est-il encore temps ? Je ne peux conclure.

Croyez-vous que l'évolution des rapports soviéto-américains peut créer un climat plus favorable à une négociation sur le Proche-Orient ?

Je ne le pense pas. Pour les Etats-Unis comme pour la Russie, certains conflits servent de sonnette d'alarme : l'Amérique centrale et le Proche-Orient sont de ceux-là puisque ces crises se déroulent à proximité des frontières des deux superpuissances. D'où leur importance : " N'oubliez pas que je suis là, que j'existe. "

L'idée qui a l'air d'être celle de Gorbatchev de faire jouer un plus grand rôle aux Nations unies vous parait-elle bonne ?

M. Gorbatchev, que je ne connais pas et que je souhaite connaitre (c'est un homme qui gagne à être connu et ceux qui le rencontrent gagnent aussi à le rencontrer), s'est rendu compte que, depuis des décennies, les Nations unies sont assez impuissantes. Il sait que les Nations unies risquent d'être bloquées parce que leur budget n'est pas bouclé, car l'Amérique n'a pas payé sa contribution. Ayant saboté l'ONUintelligemment et voyant que l'Amérique ne paie pas, comment peut-on prétendre que, au fond de lui-même, M. Gorbatchev espère que l'ONU règle ces problèmes-là ?

Ce sont plutôt les prédécesseurs de Gorbatchev qui ont saboté l'ONU. Sur un certain nombre de points, il semble que la politique soviétique ait sensiblement changé au cours des derniers mois...


M. Gorbatchev ne va pas aider l'ONU d'une façon inconditionnelle alors qu'il n'est pas au même diapason que l'ONU en ce qui concerne les droits de l'homme. _ Ne pensez-vous pas que les Nations unies peuvent fournir à l'Union soviétique le cadre d'une influence mondiale importante ?

La politique soviétique joue actuellement sur plusieurs éléments : le new-look correspond à l'âge du président Gorbatchev, mais le new-look ne peut pas jouer complètement tant qu'on n'a pas fait peau neuve. Or ce qui se passe en Arménie, ce qui se passe dans les Républiques islamiques de l'URSS, va amener Gorbatchev à apparaitre propre et net chez lui. Il va donc jouer sur ces deux tableaux : se débarrasser de tout personnel superflu et se présenter comme un homme n'ayant en rien contribué aux déboires de l'URSS. Bref, il veut faire place nette.

Comment conciliez-vous le Grand Maghreb et votre candidature à la CEE ?

Dans quelques années, c'est la CEE qui viendra nous faire la cour. Je le dis en toute modestie et pour plusieurs raisons. D'abord la CEE n'a plus de recul stratégique et elle a englobé l'Espagne et le Portugal. Le Portugal, c'est un promontoire sinon un balcon. Et quand on se met au balcon, on regarde un peu plus loin que d'habitude. Et quand on voit des paysages nouveaux, on veut toujours aller voir ce qui se passe de l'autre côté. J'ai posé la candidature du Maroc à la CEE, je la maintiens, je continuerai à y travailler, étant entendu que chaque année qui passera fera que ma préoccupation sera de plus en plus partagée par les autres.

Vous imaginez une double appartenance du Maroc à la communauté maghrébine et à la CEE ?

Pendant les croisades, nous avons toujours été avec nos frères arabes et on est allé combattre jusqu'à Saint-Jean-d'Acre, ce qui ne nous a pas empêché de continuer nos rapports avec l'Europe. C'est une complémentarité, car l'Europe elle-même, du sud au nord de la Méditerranée, s'est divisée en deux. Il y a l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. J'estime que l'est de la Méditerranée est pollué. Seul l'Ouest, nord et sud, est encore propre, peut ramener une paix du Mare Nostrum. Et ce lavage de la Méditerranée polluée ne peut se faire que par l'Afrique du Nord, avec le concours de l'Europe nord-méditerranéenne de l'Ouest. Ce n'est pas un rêve, c'est une réalité. "Beaucoup de pays en développement peuvent envier notre santé économique"

Où en est la situation économique du Maroc ?

J'ai toujours déclaré que le Maroc jouissait d'une santé que beaucoup de pays en voie de développement peuvent lui envier. En effet, malgré un effort militaire que nous supportons malgré nous depuis quatorze années, malgré les aléas de la climatologie qui ont pesé très lourd pendant quatre années consécutives sur le pouvoir d'achat, malgré le fait que chaque année le Maroc a construit de nouvelles écoles, équipé de nombreux hôpitaux, ouvert des milliers de kilomètres de routes et bâti un certain nombre de barrages, malgré tout cela, l'étranger qui visite le Maroc ne peut pas dire qu'il y ait pénurie en quoi que ce soit. " Nous avons eu à supporter des grands chocs économiques dont a souffert le monde entier. Cela s'est traduit pour nous par un manque très important de devises du fait que les prix des phosphates ont baissé et qu'en contrepartie celui du pétrole a dépassé le seuil des 30 dollars le baril, au moment même où le dollar était à sa cote la plus haute. " Eh bien ! en face de ce tableau économique et financier, il nous a fallu prendre un certain nombre de mesures pas toujours très populaires mais acceptées avec foi et confiance par mon peuple, qui nourrit à mon égard la même affection et le même respect que j'éprouve pour tous mes concitoyens. " Grâce à Dieu, nous arrivons au bout du tunnel et les dernières négociations que nous avons eues, tant avec le Fonds monétaire international qu'avec la Banque mondiale, se sont déroulées dans un climat de confiance. A leur issue, le Maroc est sorti en ayant dans sa poche un certain nombre de bons points pour ne pas dire de tableaux d'encouragement. " Dans les décennies que nous allons vivre, nous devons être de plus en plus vigilants, particulièrement sur le plan de notre agriculture en mobilisant les énergies humaines et en utilisant le plus judicieusement possible toutes nos ressources en eau, et Dieu sait qu'elles existent et qu'elles peuvent encore chaque fois être mieux exploitées. " Et s'il fut un moment dans l'histoire du Maroc où mon pays est vraiment le trait d'union entre l'Europe et l'Afrique, je pense que c'est dans les décennies qui vont venir qu'il devra le prouver. " J'exhorte chaque jour mes compatriotes à tous les niveaux et dans tous les domaines à réfléchir, horizontalement pour le Grand Maghreb, verticalement pour l'Eurafrique. C'est un beau pari, je dirai même que c'est un pari historique. Je connais mes Marocains, ils gagneront ce pari et ils le gagneront dans la correction et le respect de tous.

Avez-vous le sentiment que le courant fondamentaliste est en perte de vitesse à l'heure actuelle ?

Tant qu'il y aura des fous, des ignorants, des ambitieux, des agitateurs, ils pourront faire feu de tout bois. L'idéologie intégriste reste un ingrédient très utile, un combustible vraiment fiable.

Mais ne sentez-vous pas un recul actuellement ?

Si. Parce que " trop, c'est trop ". Ils sont allés un peu fort. Mais dans ce domaine il ne faut jamais désarmer. Surtout lorsqu'il s'agit de la croyance et de la foi des peuples. " L'amitié des hommes politiques français et des responsables marocains n'est pas conjoncturelle "

Et les relations avec la France ?

Elles sont excellentes. J'ai reçu M. Rocard à Marrakech au mois de janvier. Nous avons parlé de ce problème, auquel je participe en tout état de cause depuis le protectorat, quand je voulais savoir qui allait être président du conseil... Mais, en dehors de cela, le Maroc joue la carte de la France, est ami de la France, coopère avec la France. " L'amitié des hommes politiques français et des responsables marocains n'est pas conjoncturelle. Ils s'estiment, s'apprécient, vont aussi bien au fond de leurs discussions que de leurs controverses. Tant auprès de la droite qu'auprès de la gauche, nous n'avons que des amis, que nous estimons et qui nous estiment.

Quelles réflexions vous a inspirées le vote Le Pen ?

J'étais sûr qu'un jour ou l'autre cet élément allait apparaitre. Parce que vous avez accumulé beaucoup de rapatriés, et en les rapatriant vous avez tenu compte de la climatologie : on ne peut pas mettre quelqu'un qui a vécu au soleil dans le Nord. Et je dois dire que le climat de réception des Français de France n'a pas aidé à la disparition du problème. Bien au contraire. Il a contribué à créer ce phénomène Le Pen, qui est un petit peu le fruit de la réaction de certains Français qui voyaient dans les Français d'Algérie ou du Maroc des importés. " Pour peu qu'on tombe sur un homme intelligent, connaissant le terrain, ayant la pratique des foules, le phénomène ne pouvait pas ne pas apparaitre. Mais, pour moi, c'est un phénomène épisodique. Il a peut-être faussé beaucoup de choses sur le plan électoral français. Mais je ne pense pas qu'il puisse aller plus loin. Du reste la France n'a jamais été gouvernée par l'extrême droite ni par l'extrême gauche. Ni le général Boulanger n'a réussi ni le Front populaire n'a tenu le coup. La France est comme le Maroc un pays du juste milieu.

Vous ne voulez pas dire qu'elle est centriste...

Je ne veux pas employer le mot centriste car je me mettrais à ce moment-là en plein dans l'hémicycle. La France est assez riche pour se permettre d'être éclectique et de prendre chez les uns et chez les autres ce qui lui permettra de naviguer d'une façon qui n'aille ni trop à bâbord, ni trop à tribord. Ce ne sera pas facile à apprendre aux Français, qui ont toujours été des hommes entiers et généreux, mais les contraintes européennes vont amener les choses à un peu plus de compréhension.

Il y a quelques années, l'an dernier encore, vous vous êtes plaint de la qualité de l'enseignement dans les lycées français du Maroc. La situation s'est-elle améliorée depuis ?

Je ne sais pas, mais j'ai l'impression de faire preuve de sadisme paternel en maintenant mon second fils dans la Mission française. C'est une sorte de masochisme culturel.

Qu'attendez-vous de tout ce qui est fait maintenant pour le développement, le resserrement des liens de la francophonie ?

Parmi les vertus du Coran, la première que Dieu met en exergue, c'est la divinité du Verbe, et jusqu'à présent on pensait que les Arabes étaient les seuls à être esclaves du Verbe. En définitive, le Verbe n'est pas autre chose que la communication. Et qui dit communication veut dire communion. C'est pour cela que j'estime que la francophonie peut amener à la communion, à condition d'être employée à bon escient. C'est pour cela que je me fais un très grand plaisir et un privilège derecevoir à la fin de cette année la Conférence franco-africaine, bien qu'elle ne soit pas celle de la francophonie. Ces rencontres de francophones peuvent être extrêmement salutaires pour les uns et les autres, car il y a le Verbe, et comme disent les Ecritures : " Au commencement était le Verbe... "

Vous suivez de près les élections américaines ? M. Dukakis vous inspire-t-il des réflexions ?

Je ne connais pas M. Dukakis et je m'interdis de porter le moindre jugement définitif sur lui. Cela dit, je comprends ses attitudes électoralistes. Mais je souhaite, s'il est élu, que, sur certains points de politique étrangère, il ait des trous de mémoire une fois qu'il aura été élu.

Sur quels points, par exemple ?

Sa politique systématiquement définie et arrêtée au Moyen-Orient. _ Uniquement sur ce point ? _ Pour nous, il n'y en a pas d'autres, nous n'avons ni Pershing ni SS-20. Pourquoi voulez-vous que nous partagions vos soucis ?

FONTAINE ANDRE,AMALRIC JACQUES


 
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