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Bouya 'Omar, gouffre de souffrance du Sud marocain
a
4 septembre 2005 23:18




Bouya 'Omar, gouffre de souffrance du Sud marocain ...

Par Khouya Badr

Il est des endroits dont la seule évocation du nom fait pâlir plus d'un. Il est des lieux où la vie semble s'être arrêtée, effroyablement. A seulement 85 kilomètres de la si belle ville de Marrakech sont enterrés des êtres dont le cœur bat encore…Bouya'Omar vous souhaite la bienvenue en ce samedi 13 août.

Sur la route joignant Marrakech à Beni Mellal, la vie semble pourtant battre son plein. Entre les vendeurs de fruits disséminés ici et là, de magnifiques voitures clamant le luxe des 'marocains' venus d'Europe dépassent notre taxi à toute allure.

Le village de Bouya'Omar demande beaucoup de patience. Le trajet n'est, en effet, pas des plus aisés. Arrivé à destination après quelques heures de route, le panorama s'ouvre à moi : des maisonnettes disséminées autour de quelques magasins locaux, une mosquée, quelques personnes rôdant ici et là et de nombreuses voitures aux plaques françaises garées…Bouya'Omar dégage une allure de ville western.

Bouya 'Omar…mon père 'Omar en langue arabe. Un homme dont le cœur battait de la présence du divin, disait-on. Un homme qui a énormément œuvré en faveur de ceux qui n'avaient plus aucun espoir : les 'malades mentaux' et les toxicomanes principalement.
Bouya 'Omar s'en est allé au ciel…le lieu a perdu son saint. Face à l'absence d'un système psychiatrique adéquat, Bouya 'Omar est devenu l'endroit de 'stockage' des intouchables de la société marocaine.

Leurs regards étaient sombres…et tellement de tristesse. Assis à la terrasse d'un café aux cotés d'un être cher à moi incarcéré à Bouya 'Omar, les rideaux du théâtre lugubre de Bouya 'Omar s'ouvrèrent.
Mes yeux fixèrent un homme qui se trouvait face à moi. Les pieds et les mains enchaînés, il essayait tant bien que mal de se mouvoir, sous les yeux d'une femme de sa famille venue lui rendre visite. Elle l'asseya sur une petite marche, tandis qu'elle lui achetait quelques petits biscuits. Mes yeux ne pouvaient se détacher de cet homme à l'allure morbide. Comme sorti de sous terre, sa présence était toute entière témoignage de sa souffrance : ses yeux étaient broyés par les cernes, son corps faisait miroiter ses os…mes yeux se mouillèrent de tristesse. Je ne comprenais pas pourquoi son coeur et ses yeux semblaient saigner d'une éternelle plaie …
A coté de cet être, d'autres personnes, sorties d'une voiture immatriculée en France, passèrent à coté de lui sans jeter un regard…et allèrent acheter des boissons et de la nourriture qu'ils allaient savourer dans leur si belle voiture climatisée…comme si la scène se déroulant sous leurs yeux relevait de la normalité…ou comme si les cœurs s'étaient asphyxiés et devenus pierre…peut être.

Le serveur nous ayant apporté un peu de nourriture, d'autres personnes surgirent, comme venues de nulle part. Elles marchaient, enchaînées, en notre direction…toujours accompagnées de cette tristesse qui baignait leurs yeux. Le premier nous demanda, à l'aide de quelques gestes, un peu de nourriture. Le second avança et demanda un peu à boire. D'autres ensuite se sont installés non loin de nous dans l'espoir de récolter de quoi manger. La souffrance était donc plus rude que je ne le pensais : enchaînés et abandonnés à eux-mêmes, ils ne recevaient souvent rien à manger…

Puis, accompagnant une personne dans sa chambre, un autre paysage s'ouvrait à moi : un couloir à ciel ouvert de quelques mètres de long contenait en son sein plusieurs chambres, de 2 mètres carré chacune. Là, plusieurs personnes y étaient entassées, comme attendant que la mort vienne les sauver de cet enfer. Couchés à même le sol, leurs regards étaient vides…et tellement tristes.
D'autres dormaient à même le couloir, les pièces n'étant pas assez spacieuses pour tous les contenir.
Tous les âges se mêlaient dans ce gouffre de la souffrance : du plus vieux au plus jeune. Un sourire accompagnait parfois leurs regards jusqu'à mon cœur…qu'ils ébranlaient et attristaient. Leurs cœurs pleuraient, tellement. La solitude emplissait leurs vie, si intensément. Je voyais pour la première fois de ma vie des êtres humains enchaînés, pieds et mains, vêtus d'habits déchirés, le regard sombre…et si déchirés.

L'atmosphère de Bouya ' Omar asphyxiait. Traversant la porte de sortie, je m'arrêtai, net : une fille gisait au sol dans l'une des pièces. A même le sol, elle avait déposé son visage près de la porte, comme pour puiser oxygène. Son visage emplit mes yeux de larmes : il était devenu refuge pour les mouches et les insectes de Bouya 'Omar, jusqu'à en devenir noir…
Je n'ai jamais vu une telle tristesse transparaître des yeux d'une personne…jamais. Des images se mêlèrent dans mon esprit, instantanément : celles de ces êtres anéantis que j'ai pu croisé ici et là, à travers le monde. Tous avaient gardé l'essentiel : l'espoir. Les incarcérés de Bouya 'Omar avaient, eux, rayé ce mot de leur vocabulaire : ils attendaient la mort…dans la souffrance, les larmes et la solitude.

Le système de Bouya 'Omar était simple : on enchaînait, maltraitait, abandonnait…jusqu'à ce que la mort les accueille. On y enchaînait pour ne pas qu'ils s'échappent…comment s'échapper quand les os transpercent la peau ?…comment s'échapper quand les nuits sont baignées de cris, de peurs, de souffrance ?…comment s'échapper quand le ventre est vide depuis de nombreux jours ?
Je ne sais pas…

Le Maroc que je visite depuis plus de 20 ans, en période de vacances, me montrait sa triste réalité : une société qui a peur des malades mentaux qu'elle produit.

Alors que je quittais Bouya 'Omar, un jeune homme de mon âge, enchaîné, me fixa du regard, le sourire aux lèvres : il me salua en plaçant sa main droite délicatement sur son cœur. Je lui souris, j'avançai…je me retournai encore…son regard ne m'avait pas quitté, toujours accompagné d'un sourire, comme pour me dire que pendant que le monde les oubliait, ils gardaient sourire et espoir…dans le gouffre de souffrance du sud marocain.

Bouya 'Omar n'est qu'une des facettes de la triste réalité du Maroc. Les enfants des rues, sniffant la colle, les mendiants gisant ici et là, les orphelins abandonnés à bas âge…le Maroc se devra, au delà des promesses de surface, de relever le vrai défi se posant à sa société : enrayer la pauvreté et se battre pour redonner dignité à ceux qui n'ont trouvé que la solitude et la souffrance comme compagnons. D'ici là, les incarcérés de Bouya 'Omar continueront à pleurer des mêmes larmes dans le gouffre de souffrance du Sud marocain…




© Wafin.be, Le 03 Septembre 2005.
a
4 septembre 2005 23:29

Malheureusement et faute de soins medical voir pschychatrique , la plupart loue
labas pendant 2 , 4 , 6 mois et plus .

C'est vraiment honteux de laisser ces gens mourir de la sorte !
h
4 septembre 2005 23:46
Merci pour ton témoignage pour eux,

Il faudrait faire montrer ça par la télé, pour faire bouger nos gros lards de politicards de leurs fauteuils.
Je ne sais quoi ajouter, sinon d'avoir honte d'appartenir à un pays qui traite ses malades de la sorte.

bonne nuit
a
4 septembre 2005 23:51

On enchaine pas seulement a B.omar , partout au maroc .

C'est affolant que veut tu !
a
5 septembre 2005 20:09

Remontons le sujet , il merite d'etre lut encore et encore .
a
5 septembre 2005 20:18

C'est en effet un triste destin à des malades sans moyens
Attendons l'Initiative Nationale de Développement Humain qui vient de voir le jour, elle concerne toute une population abandonnée à elle-même depuis 50 ans.

je dis bien 50 ans de vol, détournement, mauvaise gestion du pays
 
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