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Bernard-Henri Lévy et le Maroc
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10 octobre 2004 05:44
Quelques analyses de Bernard-Henri Lévy
publié le mardi 17 septembre 2002

Source/Auteur : Anis Balafrej

Lettre ouverte à Bernard-Henri Lévy envoyée le 17 Septembre 2002, publiée dans l'hebdomadaire marocain "Le Journal Hebdo" du 23 Septembre 2002


Vous êtes à nouveau au Maroc, invité du Festival de Cinéma de Marrakech, ville dont vous êtes, me semble-t-il, le conseiller honoraire.

Mais si le Maroc officiel vous comble d'honneurs et de privilèges, des marocains dont je suis, trouvent mal placé cet accueil officiel d'un activiste pro-israelien, pour ne pas dire pro-Sharon, au moment où le pays tout entier est meurtri et révolté par le sort réservé aux Palestiniens.

Car depuis le début de la seconde Intifada, « … ce qu'il faut bien appeler une déclaration de guerre palestinienne », écriviez-vous dans Le Point - guerre palestinienne des pierres contre guerre israélienne à balles réelles - à cette époque-là, vous n'avez pas cessé de soutenir l'insoutenable et de défendre la politique de guerre et de terreur de Sharon, à tel point que vous êtes devenu, notamment pour les médias français, le vrai ambassadeur du gouvernement de Sharon.

Que vous vous en preniez à Arafat, suivant en cela de très près la propagande israélienne, le qualifiant de menteur et l'accusant « de fourvoyer son peuple » ou encore d'avoir commis « l'erreur historique » à Camp David de refuser le « plan de paix » de Barak qui « reconnaissait aux Palestiniens 95% des territoires et la souveraineté sur une partie de Jérusalem », rien que de plus normal, car dans la guerre psychologique, celui qui gagne est celui qui crie le premier et le plus fort ! Israël en a les moyens et des porte-paroles comme vous. Peu importe que ce soit un pur mensonge ; cela lui permet de garder l'initiative pour engager l'acte suivant : puisque les Palestiniens ne veulent pas la paix, ils auront la guerre ! Et qui mieux que Sharon pouvait remplir cette mission ? Avec un impressionnant « palmarès » de morts au Liban et une farouche opposition aux accords de paix d'Oslo, dont il s'était promis la destruction avant d'aller à la retraite.

Sharon n'a cure que les opinions en Occident, dans le Monde arabe et ailleurs s'émeuvent des scènes d'horreur des Apaches et des F16 lâchant leurs bombes sur les civils, des blindés tirant sur des passants et des automobilistes, ce qui compte c'est détruire l'Autorité palestinienne et toute trace d'Oslo pour revenir au processus antérieur, « immigration-colonisation-expulsion ».

Vous venez, alors, à la rescousse pour déclarer : « Ce qui n'est pas supportable, c'est le nombre de crétins qui vont partout répétant : rien ne serait arrivé si Israël avait donné un Etat aux Palestiniens. Israël l'a donné cet Etat… mais ce sont les Palestiniens qui, alors, l'ont refusé »(Tribune Libre dans Planet-Shalom du 15/10/2001).

Lorsque Tsahal occupe le camp de Jénine et y rase aux bulldozers des centaines de maisons, dont certaines au-dessus de la tête de leurs habitants, tuant des civils désarmés, des infirmières, un handicapé dans sa chaise roulante, des vieillards, un médecin, interdisant même aux ambulances de porter secours aux blessés, vous écrivez dans le Monde (3 Juin 2002) : « …j'ai vu assez de guerres dans ma vie, assez de villes fantômes et de carnages, pour affirmer que parler, comme on l'a fait, de « massacre », dire que ce qui s'est produit « dépasse l'entendement » prouve, soit que l'on a l'entendement un peu court, soit que l'on veut sciemment désinformer, sataniser. »

A combien placez-vous la barre des morts pour qu'il y ait massacre selon vous ?

C'est vrai qu'il y a des degrés dans l'horreur et que si le général Rostom, actuel ministre de la Défense du gouvernement afghan, a executé ses prisonniers en les attachant aux chenilles de ses blindés, les soldats de Tsahal se sont « contentés » d'écraser les cadavres de leurs victimes avec les leurs. Tous « travaillaient » à l'abri des caméras de télévision. Et Sharon, fort de l'appui de gens comme vous, se permit de refuser une mission d'enquête internationale de l'ONU.

Pourtant, vous êtes hanté par les images qui traversent les continents pour témoigner d'une partie de l'horreur en temps réel. Vous répondez ainsi à une question du Figaro, sur le rôle des médias occidentaux (11 Avril 2002) : « Pourquoi, les mêmes qui semblent bouleversés du sort d'un Palestinien victime d'une bavure de Tsahal, ne semblent absolument pas émus par celui des Israéliens victimes des attentats suicides ? » Même dans le cas du petit Mohamed Durra, dont les images du meurtre ont fait le tour du monde, vous aviez osé écrire : « … de la balle perdue - car il faut dire et répéter, qu'il s'agit, jusqu'à nouvel ordre, d'une balle perdue qui a tué le petit Mohamed à Gaza », (Le Point du 13 Octobre 2000). D'un côté, il n'y a donc que des « bavures », de l'autre c'est la barbarie des « bombes-humaines » !

Mais que vous vous en preniez aux adolescents palestiniens pour vous demander « d'où venaient ces enfants, qui les avait mis en première ligne, dans le cadre de quelle lugubre stratégie du martyre ? » (Le Point du 13 Octobre 2000) ou encore « … ce ne sont pas les soldats de Tsahal qui vont chercher les adolescents lanceurs de pierres pour les buter… »(Le Point du 19 Octobre 2000), il y a là quelque chose de troublant : vous qui vous êtes résolument rangé du côté des Bosniaques, des Kosovars et des Afghans du Commandant Massoud, comment pouvez-vous dénier à ces adolescents le droit de résister à l'occupant, fut-il juif ?

A moins que vous ne les considériez comme des pions d'un vaste complot diabolique destiné, comme vous l'écrivez dans la même livraison du « Point » : « à ressusciter l'image du juif tueur d'enfants » ?

Comment s'en sortir ? Selon vous, il faut contraindre Arafat « à cette paix qu'il redoute et qu'il fuit » (Le Monde du 3 Juin 2002). Pour une fois, je serais d'accord avec vous : car, même après deux ans de guerre, plus de 2000 morts, près de 7000 prisonniers et 80% de l'infrastructure économique palestinienne détruite ou à l'arrêt, ni Arafat, ni aucun Palestinien lié à son peuple, n'acceptera « la pax » israélienne, dans des bantoustans bouclés de murailles en béton et de détecteurs électroniques, sans réelle souveraineté, démilitarisé, sans ressources et sous les canons de Tsahal. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, au mieux. Au pire, le vieux rêve sioniste inassouvi, c'est bien le transfert.

Dans ces conditions, il ne vous sert à rien d'élucubrer sur le droit des Palestiniens à un Etat indépendant et sur « l'évacuation de l'essentiel des territoires et le démantèlement des implantations non contigues à Israel » - Merci BHL ! La Paix sèche » que vous proposez a des relents de diktat.

Au journal « Le Figaro » vous aviez déclaré le 11 Avril 2002 : « Il n'y aura de paix que laïque ». Qu'est-ce que cette laïcité qui veut préserver « la pureté » de l'Etat juif contre le retour des réfugiés palestiniens (droit reconnu par l'ONU) ? La pureté que vous revendiquez pour Israël n'est-elle pas celle que vous dénoncez dans un de vos ouvrages comme étant « la matrice du meurtre » ?

L'amère expérience d'Oslo devrait conduire les Palestiniens à changer de stratégie. Leurs vrais partenaires pour la paix en Israël sont, hélas, encore très minoritaires. Ce sont les refusniks de l'armée, les intellectuels issus du courant des « nouveaux historiens », les militants pour la paix, « les femmes en noir » et tous les israéliens qui sont prêts à une véritable réconciliation, qui passe obligatoirement par la reconnaissance des torts qu'Israël inflige au peuple palestinien depuis prés de 55 ans et qui sont prêts à lui reconnaître son droit à l'autodétermination, exigé par l'ONU depuis des décennies. Ce sont ces gens qui représentent l'avenir ; avenir qui devra nécessairement intégrer un vrai projet de cohabitation de toutes les communautés en Israël-Palestine. C'est de là que peut renaître l'espoir.

Anis Balafrej, Maroc


 
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