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Sam Bahour, homme d'affaires sans papiers
a
25 septembre 2006 22:24
LE MONDE, France


Lorsqu'il y a dix ans, Sam Bahour a placardé dans son bureau de Ramallah un écriteau portant la mention "Build for eternity and be ready to leave in 24 hours" (Bâtir pour l'éternité et se tenir prêt à partir en 24 heures), il n'imaginait pas à quel point il était inspiré. Aujourd'hui, cet homme d'affaires palestino-américain, qui dirige une agence de conseil en management, redoute de devoir prendre congé de ses collègues et de déménager sa femme et ses deux filles dans l'Etat américain de l'Ohio, où il est né il y a une quarantaine d'années.


Comme des dizaines de milliers de ses compatriotes, Sam Bahour est pris au piège d'une nouvelle réglementation israélienne qui empêche les Palestiniens démunis de papiers d'identité nationaux de vivre en Cisjordanie sur la base d'un visa de tourisme israélien.

Le 1er octobre, à l'expiration de son actuel permis, ce colosse moustachu entamera le circuit qu'il suit deux à trois fois par an depuis douze ans pour renouveler son titre de séjour. Il sortira de Ramallah par le check-point de Kalandiya, descendra plein est en direction de la vallée du Jourdain, traversera le pont Allenby qui sert de point de passage entre la Cisjordanie occupée et la Jordanie et, quelques heures ou quelques jours plus tard, se représentera devant le même guichet tenu par un fonctionnaire de police israélien. Mais cette fois-ci, ses chances d'obtenir un nouveau tampon sont maigres.

Lors du précédent renouvellement, il s'est vu apposer sur son passeport la mention "dernier permis". Un avertissement rédigé en arabe, hébreu et anglais, qui préfigure son probable refoulement lorsque, dans quelques jours, il tentera de poser le pied dans sa patrie. "Vous vous rappelez ce vieux slogan sioniste "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre" ?, demande-t-il. L'histoire a montré à quel point il était faux. Mais les Israéliens n'ont pas renoncé à le mettre en application. Leur nouvelle politique de visa équivaut à un transfert silencieux d'un pan entier de notre population."

C'est en 1995 que Sam Bahour pose pour la première fois ses valises à Ramallah. Le processus de paix, encore à ses prémices, alimente l'enthousiasme naturel de ce fonceur-né, fraîchement diplômé en technologie de l'information. Il ne s'illusionne pas au point de penser que l'occupation israélienne est en voie de disparition. "Je me suis fait une raison le jour où Itzhak Rabin (le premier ministre de l'époque) a dit qu'il n'y avait pas de dates sacrées, alors même que l'accord d'Oslo était rempli de dates", dit-il. Mais sa fibre nationaliste et son goût de l'entreprise l'incitent à relever le défi de la construction d'un Etat. Vient alors la question du statut.

Originaires d'El-Bireh, la ville voisine de Ramallah, ses parents ont quitté les territoires avant la guerre de six jours, en 1967. Pour cette raison, ni eux ni leur fils, né aux Etats-Unis donc, ne disposent de la carte d'identité palestinienne, qui a été distribuée après le conflit par le nouvel occupant israélien. Le jeune Bahour se contente donc d'un visa de touriste, le seul statut accessible aux Palestiniens de l'étranger, dans l'espoir que sa demande de papiers, appuyée par son mariage avec une native de Ramallah, soit rapidement exaucée.

Il table sur le fait que les accords d'Oslo autorisent le régime de Yasser Arafat à délivrer ce sésame aux investisseurs palestiniens ou dans le cadre d'une réunification familiale, Israël conservant un droit de veto individuel. Mais, très vite, la procédure s'enlise. Tandis qu'Israël édicte un système de quotas restrictif, les pontes du Fatah, le parti au pouvoir, privilégient les dossiers de leurs affidés. Lorsque, au début de la seconde Intifada, Israël interrompt unilatéralement le circuit de régularisation, les demandes de dizaines de milliers de Palestiniens sont gelées. Parmi elles, celle de Sam Bahour, condamné au paradoxal statut de touriste sur sa propre terre.

L'homme n'est pourtant pas du genre à chômer. Dès son arrivée, il s'attelle à la privatisation des télécommunications, en reprenant un secteur laissé en jachère par l'opérateur israélien Bezeq. Il participe au lancement de la société PalTel, qui s'impose au fil des années comme le fleuron de l'économie palestinienne. Puis, à la veille de l'Intifada, il s'immerge dans un autre projet herculéen : ouvrir le premier supermarché de Palestine.

Le col blanc à l'américaine, qui a entretemps décroché un master de l'université de Tel-Aviv, s'improvise chef de chantier en temps de guerre. Il jongle avec les couvre-feux et les raids de l'armée. Il galvanise l'ardeur des ouvriers, obligés de travailler la nuit pour rattraper leur retard. Les gardes-frontières israéliens l'obligent à couper en deux plusieurs éléments de la charpente tubulaire de son centre commercial, importés de Jordanie, pour vérifier qu'ils ne contiennent pas de missiles ? Bahour fulmine, obtempère et repart de l'avant. Sa grande oeuvre, le "Plazza", ouvre finalement ses portes en juillet 2003. Avec sa belle verrière fumée, son espace de jeux pour les enfants, sa vaste galerie commerciale, il devient le point de ralliement de la classe moyenne palestinienne, avide d'oublier dans cet îlot de modernité le labyrinthe de check-points et le mur de séparation qui ont renvoyé l'économie de leur pays une dizaine d'années en arrière.

Ce tour de force n'impressionne visiblement pas l'"administration civile israélienne", le département de Tsahal qui régule la vie dans les territoires. En dépit de ses états de service impeccables et de l'appui de ses nombreux amis en Israël, Bahour le tenace est désormais persona non grata dans sa propre patrie. "Si les responsables de l'Autorité palestinienne n'avaient pas distribué les cartes d'identité à leurs amis au lieu de les donner à ceux qui en avaient besoin, nous n'en serions pas là", estime Shlomo Dror, un porte-parole israélien, qui reste évasif sur les raisons qui ont poussé le ministère de l'intérieur à subitement durcir sa politique.

Comme de nombreux autres hommes d'affaires palestino-américains, Bahour pourrait donc se retrouver à gérer son agence depuis Amman, avant de se résoudre éventuellement à rentrer dans son Ohio natal. "Israël nous somme de bâtir un Etat transparent et fiable, dit-il. Mais comment le faire sans les ressources humaines adéquates ? Les gens dans ma situation sont des entrepreneurs, des médecins, des universitaires. Ils ont l'expérience qui permet de faire la différence. En les forçant à partir, Israël cherche-t-il à nous empêcher de coexister ?" En ce qui le concerne, réponse dans quelques jours, à un poste-frontière sur le Jourdain.




Parcours

1964
Naissance à Youngstown, Ohio (Etats-Unis).


1993
Se marie avec une Palestinienne de Ramallah.


1995
Installation en Cisjordanie.


1997
Ouvre une agence de conseil à Ramallah.


2003
Ouvre le premier supermarché de Cisjordanie.


2006
Expiration de son visa israélien le 1er octobre.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 25/09/06 22:25 par andi espoir.
i
26 septembre 2006 02:10
Et bien ca sera un clandestin dans son propre pays !
Ca fait peur.
a
26 septembre 2006 14:31
Ce que vivent les palestiniens au quotidien, est proprement scandaleux, inhumain.
 
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