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«Avec les musulmans, on arrive à trouver des terrains d'entente»
19 décembre 2003 18:35
Bonjour à tous,

Nous avons pas mal évoqué le sujet ces derniers temps, en disant que les médias s'attachaient à qq cas particuliers d'abus de femmes musulmanes à l'hôpital. Voici un article qui prend le contre pied de toutes ces idées reçues. Un peu long mais très instructif, il évite les clichés en donnant une autre dimension au problème. Il montre surtout qu'avec un peu de bonne volonté, un dialogue ouvert peut venir à bout de tous les problèmes.

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«Avec les musulmans, on arrive à trouver des terrains d'entente»

Selon les médecins de Bichat, les cas sans solution sont assez rares.

Par Julie LASTERADE
vendredi 19 décembre 2003


ls ont vu leurs confrères en blouse blanche parler patientes voilées, intégrisme musulman à l'hôpital et pratiques médicales en danger. Ils ont aussi entendu parler de musulmanes intégristes qui auraient mis la santé de leur bébé en danger en refusant qu'un médecin homme les examine. «Des histoires qui circulent», disent-ils. Qui commencent à dater. Dans le service de gynéco-obstétrique de l'hôpital Bichat-Claude Bernard, à Paris, les médecins, les sages-femmes, les anesthésistes, les infirmières ou les secrétaires ont beau chercher, aucun ne se souvient d'un seul cas vraiment problématique.

Choix. Deux mille deux cents accouchements par an. Deux cents consultations de gynécologie et d'obstétrique par jour, une maternité du XVIIIe arrondissement de Paris, quasiment en «liaison directe avec les aéroports de Roissy et d'Orly», disent-ils. Public cosmopolite, voiles de toutes les couleurs dans les salles d'attente, et non, vraiment pas de problèmes d'intégrisme musulman qui compliquerait le travail des médecins ici. Quelques patientes gantées et voilées de pied en cape, «en vraie burqa, avec une grille devant les yeux», se présentent parfois dans le service. En consultation, certaines demandent exclusivement des rendez-vous avec des médecins féminins. Mais les Occidentales aussi. Aux urgences, d'autres refusent d'être examinées par un homme. Et dans ce cas-là, elles n'ont pas toujours le choix. Certains médecins «jouent le jeu». D'autres refusent catégoriquement. C'est le cas de Caroline Dhainaut, praticien hospitalier du service. Elle ne se déplace pas pour remplacer un collègue homme à la demande d'une patiente. «On lui offre un service, un service public, qui a le mérite d'exister. Il faut s'adapter. Ce n'est pas du racisme, ce n'est pas de l'anti-intégrisme, c'est ma conviction de médecin.» La plupart du temps, les patientes finissent par accepter.

Dialogue. Dans le pire des cas, si cela ne nuit pas à l'examen médical, les plus rigides ou les plus pudiques ne quittent pas leur voile. «Il m'est arrivé aux urgences d'examiner des femmes enceintes entièrement voilées, sans le leur enlever», raconte Olivier Camagna, gynécologue dans le service. De pratiquer des palpations et même des échographies endovaginales à tâtons et sans qu'elles se déshabillent. «C'est le regard plus que le geste qui les perturbe. On essaie de faire avec et on se limite au strict nécessaire.» Avec les plus réticentes, il se veut pédagogue et leur précise que «dans le livre, il est écrit qu'il faut que vous vous occupiez de vous». Les femmes et leurs maris se plient alors aux exigences médicales. «Avec les musulmans, on arrive à trouver des terrains d'entente, souligne Olivier Camagna. Il y a un dialogue, on s'explique.»

Aux consultations de gynécologie, les secrétaires savent aussi décoder les demandes. Ainsi, s'il arrive parfois que certaines Africaines insistent pour voir une gynécologue femme, c'est parce qu'elles sont excisées et qu'«elles ne veulent pas montrer aux médecins hommes un sexe qui n'est plus un sexe». Gaëlle N'Dagmissou raconte aussi le cas de cette patiente avec un kyste à l'ovaire que le médecin était prêt à opérer rapidement parce qu'elle souffrait. «Impossible de trouver une date qui lui convenait, raconte-t-elle. On la sentait hésitante, inquiète.» Elle a fini par lâcher du bout des lèvres que c'était le Ramadan. «Je lui ai demandé si elle était prête à souffrir pour Dieu encore dix ou quinze jours ? Ma question l'a soulagée. Elle s'est sentie comprise.» L'intervention a été retardée. Mais «ce n'est pas la religion qui les empêche de se faire soigner», affirme-t-elle. En cas d'urgence, ces femmes suivent les recommandations du médecin. Quel que soit son sexe. Samira, jeune musulmane, mère depuis quelques heures et déjà pomponnée, a préféré garder la charlotte qu'elle portait sur la tête au bloc opératoire. Le temps de remettre la main sur son voile. Et pourtant, ce n'est pas la présence du sage-femme masculin stagiaire du service qui la dérange. «Mon mari est très religieux, dit-elle. Mais quand on est malade, on est malade. Et le médecin te voit comme une malade. Dans le Coran, ils disent que si tu es malade, Dieu te pardonne. Et puis même chez nous, au Maroc, il existe des médecins hommes et des médecins femmes et, voile ou pas, on ne peut pas choisir qui nous soigne à l'hôpital.»

«La migrance, c'est aussi une migrance culturelle, explique Patrick Madelenat, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Bichat. Ici, ils sont confrontés à une culture qui n'a rien à voir avec la leur.» Les médecins doivent prendre des pincettes pour annoncer aux couples africains la nécessité d'une césarienne. Synonymes pour eux de quasi-infertilité. Sans compter qu'«une femme avec un utérus cicatriciel est difficile à ramener au pays», explique Patrick Madelenat. Elle risque sa vie si elle accouche sans assistance médicale. Là encore, en trouvant les mots pour convaincre, ou dans des situations d'extrême urgence ­ en cas de «mise en danger de la vie d'autrui», les médecins lancent une procédure expresse et font intervenir le procureur ­, la santé prend le pas sur la religion.

Témoins de Jéhovah. Les négociations sont plus délicates avec les Témoins de Jéhovah, qui refusent les transfusions sanguines. A tel point qu'Olivier Camagna avoue avoir parfois refusé de procéder à certaines interventions chirurgicales chez ces patientes. Trop risqué. «Retirer un fibrome, cela fait toujours beaucoup saigner, explique-t-il. Je ne peux pas leur garantir qu'elles ne seront pas transfusées. Si le problème se pose, on arrive dans des zones dangereuses.» Les médecins ont beau leur proposer des autotransfusions de sang, des techniques qui leur réinjectent le sang qu'ils perdent pendant l'opération, la plupart du temps, rien n'y fait. Bozena Wachowska, anesthésiste dans le service, raconte qu'elle subit à chaque fois «les appels téléphoniques de juristes, de médecins eux-mêmes Témoins de Jéhovah plusieurs fois par jour», pour faire pression. Mais la situation ne se présente pas plus de deux fois par an.

«Non, ce qui nous pose le plus de problèmes, précise Caroline Dhainaut, c'est la paupérisation.» Ce sont ces femmes sans domicile, sans famille, qui viennent d'accoucher et qu'il faut garder trois semaines, un mois, au lieu de trois jours parce que «c'est ça ou la rue avec un nourrisson». Ce sont ces femmes qui se présentent épuisées avec un cancer en stade terminal parce qu'elles n'ont aucun suivi. «Depuis les années 90, c'est ce phénomène-là qui s'est aggravé», continue Caroline Dhainaut. Gaëlle N'Dagmissou confirme et ajoute : «Les patients que l'on accueille vivent dans une très grande précarité. Qu'est-ce qui leur reste ? Leur famille, leur religion et leurs coutumes.»



© Libération

K
20 décembre 2003 02:55
Merci pour cet article Loreley très bienvenu depuis les dernières discussions.

La vie a plus d'imagination que n'en porte nos rêves.
A
5 janvier 2004 21:02
En effet; édifiant de simplicité et de bon sens.
 
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