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Une aussi longue absence
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18 novembre 2004 21:44
Il y a tout juste vingt ans, le royaume claquait la porte de l’OUA pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD).

« En attendant des jours plus sages, il est temps de vous dire au revoir. » C'est par ces simples mots lus par son fidèle conseiller, Ahmed Reda Guedira, chef de la délégation marocaine au sommet d'Addis-Abeba, que Hassan II annonça le retrait de son pays de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'ancêtre de l'actuelle Union africaine. C'était le 12 novembre 1984, il y a tout juste vingt ans.
L'annonce royale ne surprit pas véritablement. Elle fut même accueillie avec un discret soulagement par nombre de pays subsahariens.

Sommés à tout bout de champ de choisir entre l'Algérie et le Maroc dans l'affaire du Sahara occidental, ces derniers avaient fini par se lasser de cette « querelle d'Arabes » qui perturbait le fonctionnement de l'organisation continentale. En juillet 1982, la question sahraouie avait notamment entraîné l'annulation du sommet de Tripoli, faute d'un nombre suffisant de participants. À l'instigation du Maroc, une vingtaine de pays, essentiellement francophones et/ou pro-occidentaux, avaient en effet boycotté cette réunion pour protester contre l'admission, au mois de février précédent, de la République arabe sahraouie démocratique en tant que cinquante et unième membre de la « famille » africaine. Cette décision était l'oeuvre d'Edem Kodjo, le secrétaire général de l'époque.

Un modus vivendi provisoire fut trouvé, l'année suivante, pour permettre la tenue du sommet de juin 1983, à Addis : désireuse de calmer le jeu, l'Algérie fit pression sur ses protégés du Front Polisario pour qu'ils ne siègent pas. Mais ce compromis bancal ne résista pas au rapprochement entre le Maroc et la Libye que scellèrent les accords d'Oujda, le 13 août 1984. Ce renversement d'alliances opéré par l'imprévisible Mouammar Kaddafi, jusque-là défenseur intransigeant de la cause sahraouie, provoqua la colère algérienne. Pour se venger de l'humiliation d'Oujda, le président Chadli Bendjedid leva ses objections à la participation des délégués de la RASD au sommet d'Addis, en novembre. Le résultat ne se fit pas attendre, et le Maroc quitta définitivement l'OUA. Le processus d'affaiblissement du royaume sur la scène diplomatique africaine commençait.

Les Marocains sont-ils tombés dans un piège ? « Il leur était difficile de faire moins, estime Rémy Leveau, professeur à Sciences-Po Paris, tant la marocanité du Sahara est ici une cause sacrée. L'opinion n'aurait pas compris que ses dirigeants acceptent de siéger avec des représentants du Polisario. Hassan II savait qu'il venait de perdre des points face à une Algérie "progressiste" très à l'aise sur la scène africaine. Il a choisi de rebondir sur la scène arabe et internationale, où son entregent faisait merveille - notamment auprès des souverains de la région du Golfe et des dirigeants israéliens. Dans son esprit, ceci compensait largement cela. »

Reste qu'en dépit de la reconnaissance de la RASD par une majorité de pays membres de l'OUA, le Maroc a peut-être négligé certaines possibilités d'action au sein même des instances panafricaines. C'est en tout cas l'avis de notre confrère Paul-Marie de La Gorce : « En réalité, le roi avait le choix entre deux solutions. L'une consistait à se battre au sein de l'OUA pour infléchir le cours des choses ; l'autre, à quitter l'organisation pour atténuer la portée de la reconnaissance du Polisario, en la dévalorisant. La plupart des États membres n'étaient pas hostiles au Maroc. Ils ne souhaitaient pas être entraînés dans une querelle qui ne les concernait pas directement et se montraient disposés à appuyer un compromis. D'autant que le dossier marocain était parfaitement défendable. L'article 27 de la charte de l'OUA ne réservait-il pas expressément la qualité de membre aux pays indépendants et souverains ? Or c'était loin d'être le cas de la RASD... »

Longtemps, le royaume est resté prisonnier d'une position intransigeante consistant à rompre toute relation diplomatique avec les pays ayant reconnu le Polisario. Il fallut attendre la fin des années 1980 pour que cette position s'assouplisse, puis soit abandonnée. Abderrahmane Youssoufi, qui dirigea le gouvernement de 1997 à 2002, réussit même quelques jolis coups en parvenant à « retourner » l'Inde et plusieurs pays d'Amérique latine, qui, dans un premier temps, avaient établi des relations avec la RASD. Aujourd'hui encore, malgré le rappel « pour consultation » de l'ambassadeur du royaume à Pretoria, tous les ponts ne sont pas coupés avec l'Afrique du Sud de Thabo Mbeki.

Les Marocains ont sans doute tardé à prendre la mesure réelle de la situation au Sahara. Des années durant, ils ont pratiqué la diplomatie du rocking-chair, plutôt que de se rendre sur le terrain pour expliquer ce qui leur paraissait une évidence : la marocanité du territoire. En face, les émissaires du Polisario, volontiers bluffeurs, ont fait le forcing et grappillé des points partout où c'était possible, notamment dans les petits pays. « Il ne faut pas croire que tous les États qui ont reconnu la RASD l'aient fait en connaissance de cause, commente Abdelaziz Dahmani, un ancien collaborateur de Jeune Afrique. En Afrique, en Amérique latine ou dans le Pacifique, de nombreux dirigeants ont cru ce que leur disaient leurs interlocuteurs sahraouis, à savoir que la RASD contrôlait effectivement une partie substantielle du Sahara occidental. Les Marocains, eux, n'ont pas immédiatement saisi l'intérêt qu'il y avait pour eux à communiquer tous azimuts. La situation militaire avait largement tourné à leur avantage et ils s'estimaient dans leur bon droit. Dans leur esprit, cela suffisait. »

Négligence, arrogance ou manque d'imagination ? Quelle que soit l'interprétation retenue, une chose est certaine : la diplomatie chérifienne a, dans cette affaire, singulièrement manqué d'initiative, de réactivité et d'opportunisme. Contrairement aux Algériens et à leurs protégés du Polisario. « La raison de cette carence tient moins aux hommes qu'au système, estime Rémy Leveau. C'est le Makhzen qui est en cause. Hassan II, dont le savoir-faire était remarquable, gérait directement le dossier du Sahara, mais il ne pouvait tout faire tout seul. Quand d'aventure il déléguait, il le faisait au profit de Driss Basri, son ministre de l'Intérieur, car le Sahara était avant tout une affaire de sécurité. Au final, les diplomates ont été largement dessaisis du dossier. »

Aujourd'hui, les relations entre le Maroc et les instances panafricaines restent au point mort. Le royaume continue de cultiver des liens privilégiés avec la plupart des pays francophones d'Afrique subsaharienne, au premier rang desquels le Sénégal, mais, plus de deux ans après la création de l'UA, les conditions de son admission ne sont toujours pas réunies. Pendant longtemps, ses dirigeants ont estimé que cette absence ne leur était pas vraiment préjudiciable. Le sérieux revers diplomatique qu'ils ont essuyé, début septembre, avec la reconnaissance de la RASD par l'Afrique du Sud va-t-il les amener à reconsidérer leur position ? Même dans l'hypothèse de leur intégration, les Marocains auront du mal à se ménager une place à la mesure de l'idée qu'ils se font de leur pays et de son prestige. Car la construction africaine s'est faite sans eux, et l'axe Alger-Pretoria, qui en est le moteur, est appelé à prendre à l'avenir de plus en plus d'importance...

Samy Ghorbal
www.jeuneafrique.com

 
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