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Algérie: de l'usage des baltaguias.
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14 février 2011 12:31
De l’usage dangereux des baltaguia
Par : Mustapha Hammouche


“Nous avons envoyé el-djemaâ (l’équipe), Monsieur le ministre, mais envoyez-nous du renfort.” C’est un maire qui parlait ainsi au téléphone, place du 1er-Mai, ce 12 février. “El djemaâ”, ce sont les adolescents recrutés comme baltaguia pour l’occasion.
Le recrutement, visiblement improvisé, de soutiens vacataires au régime était flagrant. Les jeunes “contre-manifestants” ne se cachaient même pas. On pouvait les entendre dire : “Khlassou drahemhoum (on en a fait assez pour leur argent) ; ils nous ont payé pour une heure”. On pouvait encore les entendre dire, à un moment où eux-mêmes furent bousculés par les policiers : “Habsou ouella ndourou aâlikoum (arrêtez sinon, on se retourne contre vous) !”
On savait la capacité du système à s’attirer des soutiens et des thuriféraires en soudoyant les consciences. Le procédé est rôdé : de l’article 120 aux salaires “politiques” de certaines catégories de fonctionnaires en passant par les avantages du “décret” et les prêts véhicules à zéro intérêt, les privilèges liés à certains statuts constituent une avance sur fidélité au régime. Le rapport au pouvoir prend alors, chez certains membres de ces classes “favorisées”, une allure d’attachement politique. Le glissement peut se faire chez certains du sentiment de commis de l’état vers un sentiment de solidarité de destin avec le pouvoir.
Et pour cause : le statut acquis est perçu comme suspendu à la pérennité du régime. élus, cadres administratifs, syndicaux et associatifs ou simple agents de fonctions périphériques autour des responsabilités se conduisent, dans une grande proportion, en premières lignes de défense de l’ordre établi. Ce sont eux qui assurent la logistique des campagnes pour candidats “officiels”, organisent et exécutent les fraudes électorales, montent des manifestations “spontanées” de soutien, occupent les premiers rangs des meetings officiels, rabattent les troupes d’applaudisseurs… Et, surtout, ils s’interdisent d’avoir une conviction qui contrarie les dirigeants, ainsi perçus comme l’assurance de leur position sociale, mais aussi comme la représentation d’une menace de représailles en cas d’indiscipline politique.
C’est presque de bonne guerre que ce marchandage des convictions, même s’il exprime un malsain usage du pouvoir d’influence, quand il s’attaque à des citoyens prêts à renoncer à leur libre arbitre pour s’assurer les bonnes grâces ou s’éviter les sanctions de leurs grands chefs. “J’ai vu des gens résister à la torture et fléchir devant l’attrait du luxe et du confort”, disait Kateb Yacine. Mais la pratique constitue un dangereux précédent quand elle vise de jeunes, rendus vulnérables précisément par leur précarité sociale. Il y a là un cas de pédagogie anti-citoyenne où l’on apprend à des jeunes à s’en prendre, contre rémunération, à leurs concitoyens qui protestent. Sous-traiter la répression des revendications en mettant aux prises des manifestants convaincus, ou même manipulés et des contre-manifestants payés constitue une forme de pollution immorale de la vie politique nationale.
Ce faisant, le pouvoir forme les troupes de casseurs qui auront intégré que la violence n’a pas d’odeur ; elle a juste à choisir le camp du plus fort. Les baltaguia d’un jour peuvent devenir les “casseurs” dont on se plaindra les jours suivants.

M. H.
 
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