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Algérie
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23 mars 2006 10:19
La visite en ce mois de mars de Vladimir Poutine à Alger aura consacré avant tout la rencontre de deux ambitions. Celle de la Russie de retrouver son influence dans le monde arabe afin de se poser en médiateur entre l'Occident et les musulmans ; celle ensuite de l'Algérie de rééquiper totalement son armée, particulièrement mal en point au sortir de douze ans de guerre civile, pour mieux s’imposer comme la grande puissance de l'Afrique du Nord.
Deux évènements planétaires majeurs ont favorisé ces ambitions. L’éclatement de l’Union Soviétique a, d’un côté, amené Moscou à n’exister que par ses réserves en hydrocarbures et des ventes tous azimuts de matériel militaire.
Le 11 septembre a, de l’autre côté, permis au régime algérien de convaincre la communauté internationale que la sale guerre de la décennie 90 relevait du « terrorisme », à l'instar des attentats contre les Twins Towers. Cela a permis à l’Algérie - Eldorado pétrolier et gazier aidant - de sortir de l’isolement (relatif) où l’avait plongée la guerre civile et de balayer toutes les interrogations quant aux commanditaires réels de certains massacres.

Le plus gros contrat militaire de la Russie post soviétique

Dans ce contexte, les retrouvailles entre l’Algérie et son ancien allié traditionnel – que la presse privée algérienne n’a pas été autorisée à couvrir - pourraient se résumer à un chiffre, rendu public par Moscou : 6,1 milliards de dollars de ventes d’armements (dont 10% portent sur la modernisation et la réparation des matériels déjà en possession de l’Algérie). 3,5 milliards concerneraient des avions de guerre, notamment 28 chasseurs Sukhoi 30MK, 34 chasseurs Mig 29 SMT (36 MiG-29 de modèles antérieurs seront renvoyés en Russie et vendus à des pays tiers), 14 avions d’entraînement et de combat Yak-130, 8 groupes de missiles antiaériens S300 PMU, 40 chars T90S, 30 batteries sol-air Toungouska et la modernisation de 250 chars T-72 . Bref, le plus gros contrat militaire conclu par la Russie postsoviétique.
Cet accord n’aura pas été facile à conclure. Il aura nécessité de laborieuses et très longues négociations préalables et pas moins de trois heures et demie d'entretien en tête à tête entre Abdelaziz Bouteflika et son homologue russe. Ces tractations - portant notamment sur une appréciation différente du montant de la dette et de la manière de la régler - ont été assez dures pour avoir, dit-on, provoqué l'ire de Poutine. C’est faute d'obtenir un engagement écrit d'Alger d'acheter des armements que le président russe aurait ramené à six heures une visite prévue à l’origine pour deux jours. L'enjeu, il est vrai, était de taille. L’Algérie conditionnait tout achat d’armement russe à l'effacement de sa dette de 4,7 milliards de dollars, contractée du temps de l'Union soviétique, son armée étant équipée à 80% par les Soviétiques.

Afficher un embarras du choix pour les armements

L’Algérie a au moins deux bonnes raisons d'être satisfaite. Elle a obtenu l'effacement de sa dette russe (environ 25 % de sa dette extérieure totale), elle qui redoute plus que tout d'être un jour soumise à des pressions politiques de ses créanciers, comme cela faillit être le cas au cours de la guerre civile. La volonté d’Alger annoncée le 21 mars de rembourser par anticipation la totalité de sa dette (15,5 milliards de dollars) montre d’ailleurs une préoccupation en la matière proche de l’obsession. Le premier ministre Ahmed Ouyahia l’a confirmé en plaidant la nécessité « compte tenu de l’expérience passée » de mettre le pays à l’abri des turbulences financières, c’est à dire de « rembourser tous les crédits multilatéraux ». L’Algérie a, en outre, signifié aux Occidentaux qu'elle n'a, concernant ses approvisionnements militaires, que l'embarras du choix. Ce « message » s’adresse avant tout aux Français et aux Américains accusés de traîner les pieds pour livrer des armements sophistiqués (jumelles de vision nocturne et hélicoptères servant à patrouiller). Une nécessité quand Washington a réaffirmé mi-mars que si une «demande précise» se présentait, elle serait étudiée au cas par cas... Alors que le Kremlin soulignait que le nouveau « partenariat stratégique n’était dirigée contre aucun Etat ou groupe d’Etats tiers», la presse algérienne se faisait l’interprète des arrières pensées des autorités : «la relance d’un partenariat entre Alger et Moscou peut apparaître comme une diminution de l’influence américaine en Algérie», soulignait-elle.
Le quotidien L’Expression insistait, lui, sur le fait que l’armement russe « présenté par l’Occident comme vieilli et suranné, n’a jamais cessé d’être transformé par les experts russes, de sorte qu’il représente, en réalité, un armement faisant concurrence à ce qui existe de meilleur sur le marché de l’armement ».

Remettre l’armée sur pied

De là à penser que la reconduction de leur « partenariat stratégique » avec Moscou sert aussi de chiffon rouge aux autorités algériennes pour mieux s’imposer face à Washington et Paris, et pour intimider Rabat, il n’y a qu’un pas. Alger joue en effet aujourd’hui habilement des rivalités entre les grandes puissances qui se disputent ses faveurs. Les visites quasi-simultanées de Vladimir Poutine, du sud-coréen Roh Moo-Hyun et du secrétaire d’Etat adjoint chargé du Proche-Orient et de l’Afrique du nord David Welch en témoignent. Ils ont succédé à une kyrielle de responsables, américains, français et même au président brésilien Lula. Plus de 50 milliards de dollars de réserves financières et 32,5 milliards de dollars de recettes d’hydrocarbures à l’exportation en 2004 ont, il est vrai, de quoi aiguiser les appétits. Et ce même si le FMI s’inquiète des risques énormes que font encourir à l’Algérie des recettes en hydrocarbures représentant plus de 97% de ses recettes en devises. Et lui recommande instamment de « diversifier ses activités productrices».
Abdelaziz Bouteflika peut, quoi qu’il en soit, revivre aujourd’hui son rêve des années 70, quand il était le chef de la diplomatie d’une Algérie apparaissant comme l’un des leaders du tiers-monde au sortir de sa guerre de libération. Mais il s’agit cette fois de s'imposer comme seul leader régional, notamment grâce à cette armée entièrement rééquipée qu'Alger sait devoir professionnaliser et remettre sur pied même si elle l’affirme «forte et aguerrie au cours d’une décennie de lutte antiterroriste». Adoptée récemment par le Parlement et passée inaperçue, une loi relative au statut du personnel militaire - qui remplace celle de 1969 – montre la détermination d’Abdelaziz Bouteflika à ce sujet. Une série de mesures consacre un souci évident de rompre, en matière militaire, avec le temps de la guerre civile et de contrôler au plus près cette institution. Le nouveau statut ne laisse en effet pratiquement aucune marge de manœuvre aux officiers sinon d’obéir aux ordres de la hiérarchie, sous peine de mesures disciplinaires sévères. Les carrières seront désormais gérées et réglementées par un « conseil supérieur de la fonction militaire»...présidé par le président de la République et ministre de la défense. Autant dire que le chef de l’Etat peut, au moins formellement, décider du sort des officiers de l’armée, généraux et généraux-majors compris. Alors que l’âge de la retraite est strictement réglementé, Bouteflika s’est arrogé le droit (article 21) de signer des dérogations en faveur des officiers supérieurs occupant des postes importants dans la hiérarchie. La crainte de voir d’éventuels officiers islamistes « travailler » les unités transparaît enfin dans l’article 25 qui interdit de faire « l’apologie de la religion ou de glorifier des idées qui contredisent les lois de la République et les valeurs de la nation ».

S’imposer comme seul leader régional

Objectif (avoué) de cette volonté de professionnaliser l’armée ? Convaincre les Occidentaux en général et les Américains en particulier que cette institution est désormais la seule capable de veiller aux tensions qui secouent les pays du Sahel et surtout de contrôler la fameuse «zone grise» du même Sahel. Les autorités algériennes jouent là aussi fort habilement de la préoccupation américaine en la matière. Notamment en entretenant l’idée que terroristes internationaux de tous poils, gangsters et réseaux mafieux ont transformé cette région en une zone de non-droit qui menacerait la stabilité de toute l'Afrique du Nord. Les Etats-Unis, soucieux d’empêcher la création de nouveaux sanctuaires terroristes et de nouvelles bases opérationnelles d’Al Qaëda ou de ceux qui s’en revendiquent, ont visiblement délégué ce rôle de gendarme à Alger, quitte à fermer les yeux sur l’instrumentalisation de certains groupes terroristes.
Pour légitimer plus encore le rôle de leader régional auquel elle aspire, l’Algérie met aussi en avant sa « contribution » à la résolution de certains conflits, entre l'Ethiopie et l'Erythrée ou entre le Mali et le Mouvement unifié des Touaregs maliens de l'Azawad. Fin 2004, le Quotidien d’Oran faisait clairement état de cette ambition en évoquant « le rôle de pacification du Nigeria dans la région de l'Afrique de l'Ouest et celui de l'Afrique du Sud dans l'Afrique centrale et australe ». Et en s’interrogeant : « L'Algérie sera-t-elle appelée à remplir un rôle similaire dans la sous-région du Sahara ? »...

Faire pression sur la France

Ces grandes manoeuvres se déroulent sous les yeux d'une France qui accepte mal de voir autant de prétendants autour de son ancienne colonie. Jacques Chirac espère que la signature d'un «traité d'amitié» permettra à Paris de prendre un avantage décisif sur les autres Occidentaux. Mais ce traité est sans cesse reporté, officiellement pour cause de polémique sur l’absurde loi vantant les «mérites de la colonisation» et par impossibilité de s'entendre sur les termes par lesquels la France s'excuserait pour son passé colonial. L’article le plus contesté de la loi ayant finalement été supprimé après intervention de Jacques Chirac, d’autres divergences subsisteraient en réalité. Notamment sur le contenu du « partenariat anti-terroriste », Alger ne cachant pas sa défiance à l’égard de la DGSE et ses affinités avec la DST. Une chose est sûre en tout cas : si les Algériens ont (re)fait état cette semaine de leur intérêt pour ce fameux traité, ils ne semblent toujours pas avoir fixé de date pour une visite à Alger du chef de la diplomatie française Philippe Douste-Blazy. Une manière sans doute de faire pression afin que nul à Paris n’ait la tentation de contester le rôle voulu par l’Algérie au Maghreb.

José Garçon

Source : [www.lobservateur.ma]
 
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