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Sid Ahmed Ghozali analyse le pouvoir algérien
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22 octobre 2010 12:30
[www.lequotidien-oran.com]

. Je n'ai même pas le droit de réunir mon conseil national. Il me faut une autorisation et lorsque je demande l'autorisation, on me demande l'agrément. Je suis quelqu'un qui est interdit d'activité politique et d'accès à l'opinion. Pas seulement par les médias, encore que les médias c'est selon : il faut la télévision et la radio. Pas la presse écrite. Donnez-moi un quart d'heure de radio ou de télévision par mois, cela vaut trente-six mille entretiens dans le Quotidien d'Oran, El Watan ou El Khabar. Les gens sont dans le piège : on leur fait croire que nous sommes dans un pays où existent le pluralisme, la liberté d'expression, les débats et où on peut créer des partis et où si un homme politique n'apparaît plus, c'est qu'il a abandonné.

Ensuite, réagir à chaque fois est inutile. J'ai dit ce que j'avais à dire. Je vous défie de trouver quelqu'un qui s'est opposé, aussi longuement et durement, pas à la personne mais à la politique du Président Bouteflika.

Q.O.: Qu'est-ce qui a changé, en deux ou trois phrases, dans votre analyse de la réalité du Pouvoir en Algérie des années 90 et jusqu'à aujourd'hui ? Qu'est-ce que vous avez révisé en vous ?

S.A.G.: J'ai révisé beaucoup de choses. Pour moi et jusqu'à une date précise, l'action politique consistait à faire prendre conscience aux tenants du Pouvoir qu'il fallait changer le système. Que si on continue de cette façon, on va à l'impasse. Je disais toujours, aux militants et aux autres, que ce changement ne peut pas réussir sans l'armée. Ni encore moins contre l'armée. Tout changement en Algérie ne pourra se faire que par la formule de l'alliance. Et quand j'évoque l'armée, je ne parle pas de l'armée dans sa totalité, mais de «l'armée politique». Parce que l'armée globale, c'est-à-dire les 90% de l'armée, est comme vous et moi du point de vue de leur poids sur la prise de décision. Ni plus, ni moins. Et je concevais ma mission comme une action pour convaincre les tenants du Pouvoir de cette nécessité du changement. Et j'ai toujours eu cette croyance que le Pouvoir allait changer. Une confiance rompue dès l'année 2004.

Q.O.: Avec le rejet de votre seconde candidature à la candidature de la Présidence ?

S.A.G.: Notamment, mais pas seulement. En 2004, on nous a fait croire, pendant une année, que cette fois-ci il allait y avoir au moins un minimum de compétition. Sauf que moi, pour être sincère, je n'y croyais pas trop. J'avais désapprouvé, par exemple, la campagne de Benchicou (ndlr : directeur du journal Le Matin, suspendu) quand, pendant six mois, il publiait quotidiennement des attaques personnelles contre Bouteflika. J'étais toujours convaincu qu'on attaque quelqu'un sur son programme, pas sur sa personne. Et on sait très bien par qui Benchicou, qui est tombé dans un piège, a été alimenté : par ceux qui créaient ce climat précis. Un climat de «confiance». Je me rappelle ce que me disait un ambassadeur convaincu que cette fois-ci ça sera la rupture : «ça ne sera certainement pas Bouteflika», affirmait-il. Je me souviens lui avoir répondu : en politique et en Algérie, rien n'est impossible. Sauf qu'on n'est pas allé jusqu'à la conséquence de cette certitude. Souvenez-vous qu'après mon élimination, j'ai décidé de soutenir Benflis. Je me suis dis : «je vais suivre le menteur jusqu'au pas de sa porte».

En 2004 donc, on m'a donné la preuve que le régime n'était absolument pas décidé à changer. Et c'est là que j'ai proposé une révision profonde de notre action politique. «Nous nous sommes trompés», ai-je répété. J'avais même qualifié l'opération 2004 comme étant le crime parfait. «Ils» ont réussi à tromper tout le monde, y compris des Etats, sauf les Etats-Unis d'Amérique qui étaient d'accord avec eux. L'action politique devait changer : chacun agissant isolément, nous ne pesons absolument rien. Que chacun oublie qu'il est meilleur et tenant un langage commun pour tirer la sonnette d'alarme. Dire que le choix qui nous reste n'est plus entre changer ou ne pas changer, mais seulement le choix du «comment» nous voulons changer. C'est soit changer dans l'ordre, soit le changement par le désordre. Et je n'ai jamais adhéré aux cycles des rumeurs qui servent comme propagandes indirectes, genre «ça va mal», «c'est la faute de Bouteflika», etc.

Q.O.: Je reviens sur une expression que vous employez souvent : une armée populaire et une armée politique. Vous voulez dire quoi par «armée politique» ? C'est quoi au juste ? C'est qui ?

S.A.G.: ? Ce sont les «Services». C'est clair. Et ce n'est pas uniquement les «Services», mais toutes leurs ramifications. Ecoutez : ce n'est pas propre à l'Algérie que les «services» essayent d'avoir plus et d'abuser. Vous en avez des exemples même dans les pays les plus démocratiques, avec la CIA, la NSA, le FBI… aux Etats-Unis. Chacun essaye de peser le plus possible sur les décisions politiques. Nous avons ce côté commun avec d'autres pays. Sauf que la différence est que dans d'autres pays, existent des institutions qui ont des pouvoirs. Chez nous, il n'existe que «les Services» et, en face, des institutions virtuelles. Vous croyez que l'Assemblée nationale a des pouvoirs législatifs ? Est-ce que vous le croyez

Q.O.: Est-ce qu'un Premier ministre en a ?

S.A.G.: Absolument rien du tout.

Q.O.: Donc il ne peut même pas désigner et choisir ses ministres ?

S.A.G.: oui et il y a une seule exception : moi. Et ce n'est pas pour mes beaux yeux : cela s'explique. Je suis venu en situation insurrectionnelle et donc j'ai rendu service et certains savaient que moi, en rendant service, je ne vais pas confectionner un gouvernement avec des gens qui me seront imposés.

Q.O.: Et cela se fait comment habituellement ? Par quotas ? Par connivences ? Par intérêts bien compris ? Par souci de contrôle de secteur ?

S.A.G.: non, non ! Il faut comprendre qu'à chaque fois que je vous parle de «Services» et de Pouvoir, je n'ai en tête que les gens qui sont les plus sincères et les plus honnêtes entre eux. Dans tout ce qu'ils font, j'exclus toute idée qu'ils le font par intérêt personnel. C'est pire que ça : ils le font par conviction. C'est un groupe, un groupe culturel, car il ne faut pas essayer de mettre des noms dessus. Car chez nous, la substance du système, c'est qu'il faut qu'il soit anonyme. Certains sont convaincus qu'il n'y a qu'eux qui peuvent diriger ce pays. C'est une conviction intime, sauf qu'ils se trompent.

Q.O.: Et c'est une équation qui va perdurer jusqu'à quand ?

S.A.G.: Jusqu'à ce que cela n'ait plus de sens. C'est un régime, et il l'a montré depuis longtemps, qui se tire sur les pieds. Il faut que ce système comprenne qu'il ne peut pas prendre de bonnes décisions parce qu'il repose sur le principe de l'irresponsabilité. C'est-à-dire quand on a l'autorité avec la conviction qu'on n'en rendra jamais compte ; déjà là on est dans l'absurde. La pensée profonde est que «je prends des décisions en ce qui concerne le pouvoir. Quant au reste…». Le choix d'un ministre, dans ce cas, importe peu et c'est pour ça que je n'ai jamais attaqué personnellement des ministres parce qu'ils peuvent être géniaux ; mais dans ce système-là, ils ne servent à rien. Tout ce que l'on demande aux civils ou autres militaires qui ne sont pas dans la politique, c'est une obéissance, le doigt sur la couture du pantalon et surtout une obéissance «larbinique». Moi, lorsque je me suis séparé «d'eux». Je leur ai dit : vous avez besoin de larbins et bien vous m'appellerez quand vous aurez besoin d'alliés. Les civils doivent être vos alliés Pour conduire l'Algérie vers le mieux. Donc, moi je ne m'attarde pas sur ces histoires de corruption, moi je parle des gens les plus convaincus d'entre «eux». Le constat pour moi est qu'ils se trompent. Ils se trompent d'abord au regard des intérêts nationaux, car les intérêts nationaux sont maltraités dans un système où on n'est pas responsable de ses actes. Que penser lorsqu'un ministre, qui est là depuis dix ans, et qui vous répond lorsqu'éclate un scandale chez lui « je ne suis pas au courant, j'ai appris ça par la presse». Comment vous, en tant que journaliste ou en tant que citoyen, vous allez percevoir ce genre de propos ? Je vais vous dire comment moi je les comprends : c'est une marque de mépris. C'est quelqu'un qui a la mentalité de l'impunité. Il est convaincu qu'il n'aura jamais à rendre compte. Il se trompe car il rendra compte au moins à Dieu.

Q.O.: Est-ce que vous pensez, depuis 2004, que la topographie du Pouvoir est toujours la même ?

S.A.G.: Moi, je pars du fait que les forces politiques n'existent pas dans ce pays.

Q.O.: Alors parlons des forces de décisions…

S.A.G.: Vous parlez de Pouvoir. Là, aucun changement. Rien n'a changé. On est dans l'arbitraire et on continue à privilégier la problématique du Pouvoir par rapport aux problèmes du pays.

Q.O.: Soyons plus direct : est-ce que la force de l'armée politique, comme vous la qualifiez, n'a pas été amoindrie depuis 2004 ?

S.A.G.: certainement pas. On veut vous faire croire ça. Cela avantage aux yeux de l'opinion internationale. La nature des rapports n'a pas changé. Moi, cela m'amuse quand un haut gradé, qui venait de faire choisir un Président, proclame que l'armée ne fait pas de politique. Dites au moins qu'elle ne va plus en faire.

Q.O.: C'est l'illusion de beaucoup que de croire pouvoir changer le système quand ils sont dedans…

S.A.G.: Je ne sais pas. Je considère que la seule solution est le changement dans l'ordre, les réformes successives. Je ne demande pas la démocratie car c'est l'accumulation d'une longue expérience. Commençons simplement par appliquer les lois. Car c'est un système qui a énormément de difficulté à entrer dans l'Etat de droit. On est toujours dans l'arbitraire. Dans la vie quotidienne, chacun est confronté à ces cas où la loi est mise en échec par de simples circulaires. Et même mieux: par de simples directives verbales.

Q.O.: Monsieur Ghozali, au regard de votre très long parcours «national», depuis la direction de Sonatrach et jusqu'au dernier portefeuille ministériel, on ne comprend pas comment vous vous expliquez cette position d'être un véritable critique du Pouvoir et d'en avoir été longtemps un acteur, un serviteur et un soutien ?

S.A.G.: Je n'ai jamais fait partie du système. Et je sais que cette affirmation restera longtemps incompréhensible aux yeux de l'opinion. Le système n'a jamais été moi ou beaucoup d'autres. Il faut parler de système dans le système et identifier celui et ceux qui prennent la décision. Moi et d'autres, nous n'avons jamais pris la Décision. Quelque part, je le dis aujourd'hui, nous avons été les «harkis du système». Nous l'avons servi. De bonne foi, car nous nous croyons commis de l'Etat, d'un Etat. On n'a pas compris que nous n'étions que ses instruments. Le système, ce n'est donc pas ce que l'on voit ou croit savoir. Il emploie tout le monde et il nous a employés.



Modifié 1 fois. Dernière modification le 22/10/10 13:04 par axis7.
 
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