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Affaire Omar Benjelloun. Le crime aux mille mystères
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9 mars 2005 15:37
[www.telquel-online.com]

Affaire Omar Benjelloun. Le crime aux mille mystères


Le deuxième plus grand crime politique dans l'histoire du pays (après Ben Barka) ne serait qu'un fait divers. Ni la Chabiba Islamiya, ni les services n'y auraient trempé. C'est ce que veut faire croire aujourd'hui l'un des deux meurtriers du leader socialiste. Décryptage.


L'homme a tué, il y a trente ans de cela, Omar Benjelloun, célèbre opposant socialiste marocain. Condamné à mort puis à perpétuité, Mostapha Khezzar (c'est son nom) sera finalement gracié le 7 janvier 2004 dans la vague des "33 détenus d'opinion"
libérés par le roi Mohammed VI. Aujourd'hui, après avoir accordé quelques rares interviews au lendemain de sa libération, Khezzar revient plaider une cause qui lui vaut déjà les foudres de la gauche marocaine tout entière. Selon cet homme aujourd'hui cinquantenaire, sans emploi ni qualification, "le meurtre d'Omar Benjelloun (18 décembre 1975) est un simple fait divers. Un accrochage verbal qui a mal tourné et qui implique ses seuls deux exécutants : Mostapha Khezzar et Ahmed Saâd. La Chabiba Islamiya n'a rien à voir là dedans, les services secrets et l'État marocain non plus". En remettant en cause une "vérité" installée depuis 30 ans maintenant, l'homme ne bronche même pas. Avec une constance troublante, il raconte, explique, démontre et analyse … parfois même, documents et preuves à l'appui. Sa conscience politique est aigue et son langage soigné. À moitié paralysé, se déplaçant difficilement, Khezzar n'en reste pas moins lucide. Ce qu'il dit n'est pourtant pas nouveau. Depuis la prison civile de Kénitra où il purgeait sa peine, il a déjà fait parvenir des correspondances (qui disaient à peu près la même chose) à quelques journaux marocains (Al Ousboue, Al Hayat) et certaines organisations internationales – à tendance islamiste.
Sauf que dans sa dernière interview parue dans le quotidien "Assabah", l'homme livre encore plus de détails et demande à être auditionné par l'IER dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de Omar Benjelloun. "Mon témoignage est essentiel. C'est moi qui ai abattu Benjelloun, je l'ai tué de mes mains. L'enquête ne peut pas se faire sans moi", insiste-t-il. Au lendemain de la publication de l'interview, le journal saoudien Asharq Al Awssat sort des tiroirs de la famille Benjelloun une lettre vieille de 17 ans. Sept des huit condamnés suite à l'assassinat de Omar s'y excusent auprès du parti et de la famille et racontent le détail de l'opération. Grosso modo, ils disent avoir été membres d'une "cellule de la Chabiba Islamiya, qu'ils recevaient leurs ordres d'Abdelaziz Nouâmani (dirigeant de la Chabiba) et d'Abdelkarim Moutiâ (homme N°1 de l'organisation)". La réaction de celui-ci ne s'est d'ailleurs pas faite attendre. Par le biais du porte parole de l'organisation, il s'en prend violemment, dans un communiqué paru cette semaine sur Internet, au journal saoudien et ressort sa théorie du "grand complot contre la Chabiba". Le deuxième crime politique au Maroc (après l'assassinat de Ben Barka) refait surface. Plus d'un quart de siècle plus tard, le voile reste entier.

Premières contradictions
En décembre 1979, alors que s'ouvrait le procès des assassins de Omar Benjelloun, le journal Al Mouharrir titrait en manchette : "Ceux là sont les exécutants, qui sont les commanditaires ?". C'est dire que les Ittihadis ne se sont jamais fait d'illusions. "Le lien des prévenus avec la Chabiba Islamiya a été établi dès les premiers interrogatoires mais plusieurs zones d'ombre persistaient et plusieurs connexions restaient à démonter", affirme aujourd'hui, Mohamed Benyahya, député USFP. Beaucoup, de tous bords, voulaient la peau du dirigeant socialiste. Il y avait, bien sûr, les islamistes pour qui il était "un communiste athée, hostile à la religion islamique et donc un symbole à abattre". Mais il y avait aussi l'Etat et ses services secrets. En 1973, Omar était censé recevoir le même colis piégé qui a explosé entre les mains de Mohamed El Yazghi. Ses positions tranchées - quant à la question démocratique - n'ont jamais plu en haut lieu. "A l'époque, Omar Benjelloun suscitait la méfiance du régime, entre autres à cause de son charisme, sa constance et sa popularité", témoigne Abdelkrim Al Amrani, ittihadi et ex rédacteur en chef d'Al Ahdat Al Maghribia. Son assassinat arrangeait donc les deux parties (islamistes et Etat) et même, ajoute un politologue, "certains membres de l'actuelle USFP". Plusieurs volontés se sont donc réunies pour prendre la décision d'abattre le successeur N°1 de Mehdi Ben Barka.
"Avant qu'Ahmed Boukhari ne rapporte, dans ses mémoires, que l'assassinat était commandité par les services, nous avons toujours soupçonné, au mieux, une complicité, témoigne ce compagnon de Omar. Sinon, comment expliquer, par exemple, que la voiture des RG qui le suivait constamment ait disparu ce jour là et comment ne pas faire le lien avec la Chabiba Islamiya alors qu'étrangement, deux de ses membres et principaux accusés dans l'affaire aient pu prendre la fuite alors que le troisième a été acquitté ?", se demande Al Amrani.
Car au delà des détails du crime, c'est bien le déroulement du procès qui réservera le plus de contradictions. Lors des interrogatoires, trois noms reviendront. Abdelaziz Nouâmani, chef de ce qui ressemble à l'aile armée de la Chabiba ; Abdelkrim Moutiaâ, guide spirituel de l'organisation et Ibrahim Kamal, son bras droit.

Camouflage en règle
Commençons donc par le chef. Directement après le meurtre de Benjelloun, Moutiâ (condamné à perpétuité par contumace) quittera le pays en direction de l'Arabie Saoudite où il bénéficiera d'une "protection spéciale". Comment a-t-il pu quitter le pays alors qu'il était accusé d'homicide volontaire ? Et au delà, sachant la "solidité" des relations entre les deux royaumes chérifien et wahhabite, pourquoi est ce qu'une extradition de l'homme n'a pas été envisagée ? Deuxième nom sur la liste, Abdelaziz Nouâmani. Il a été le mentor direct de la cellule qui a exécuté le meurtre. Agissait-il seul, sous les ordres de Moutiâ ou des services ? Mystère. Toujours est-il qu'il ne sera jamais inquiété. Pendant plus de deux ans, on ne lui connaîtra aucune trace. En 1977, il sera cependant arrêté alors qu'il s'apprêtait à quitter le royaume mais sera relâché peu après. Devant le tribunal, Abderrahim Bouâbid fera savoir "que la plus haute autorité dans le pays lui a appris l'arrestation de Nouâmani", le journal ittihadi publiera l'information le 16 janvier 1977. Elle ne sera jamais démentie… et Nouâmani refera subitement surface, sept ans plus tard en 1984, pour lancer depuis la France le groupe des Moudjahidines marocains. Comment et quand a-t-il quitté le territoire ? Mystère.
Reste Ibrahim Kamal, bras droit de Motiâ arrêté un mois après l'assassinat de Omar Benjelloun. Il sera interrogé et ses déclarations normalement consignées sur un PV qui disparaîtra du dossier de l'affaire lors de l'ouverture du procès. Qu'y avait-il dedans ? Selon des Ittihadis au courant de l'affaire, aujourd'hui en rupture de banc, "Kamal aurait cité des noms de plusieurs responsables politiques dans le pays, jusqu'au sillage royal et qui auraient soutenu ou financé la Chabiba". En 1980, Ibrahim Kamal sera finalement acquitté et refusera jusqu'à présent de se prononcer sur l'affaire. "Cela revient donc à acquitter la Chabiba en tant qu'organisation, vu que Kamal en a été le deuxième homme", analyse le spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif.
Que de connexions donc, que de contradictions avérées, de complicités, de comptes à régler et de mauvaise foi qui rendent difficile (puisque rien n'est impossible finalement, surtout en cette période trouble) de croire en la version apportée aujourd'hui par Mostapha Khezzar, et de réduire une affaire qui a tout d'un crime d'Etat à un simple fait divers qui a mal tourné. D'autant plus que l'homme (Khezzar) perd beaucoup de sa constance dès qu'il s'agit de raconter les détails du meurtre. Il dit avoir poignardé Benjelloun au niveau du ventre (en mimant son mouvement) à l'aide d'un tournevis trouvé dans la voiture de la victime alors que les rapports parlent de coups de poignard au niveau de la poitrine et dans le dos. Et le coup sur la tête d'Omar Benjelloun ? Khezzar se rattrape pour lancer, balbutiant, "ce doit être mon complice qui l'a donné à l'aide d'une manivelle". En plus du peu de probabilité de la théorie de Khezzar, ces incohérences dans le récit affaiblissent davantage son témoignage.

La dernière énigme ?
Du coup – comme si l'affaire n'était pas assez entourée de mystères comme cela - de nouvelles questions se posent quant au témoignage de Khezzar lui-même ? Pourquoi est-ce qu'il parle aujourd'hui ? Lui dit simplement vouloir libérer sa conscience. Ne serait-il pas en train de courir derrière une indemnisation ? La possibilité n'est pas exclue mais Khezzar a une réponse : "Quand je me suis exprimé sur l'affaire pour la première fois, c'était en 1988 alors qu'il n'y avait encore aucun processus d'indemnisation". Reste la troisième hypothèse, exprimée sous cape dans plusieurs milieux intéressés. Tout cela préparerait le retour d'un des plus vieux exilés marocains, Abdelkarim Moutiâ, installé en Libye. Ce dernier n'a d'ailleurs jamais cessé de crier son innocence, allant jusqu'à faire comprendre que Nouâmani agissait seul. Il avait même contacté des responsables ittihadis pour les en convaincre et reçu Lfqih Basri à Tripoli pour la même raison. "Son retour est l'objet de plusieurs tractations depuis un certain temps. Peut être que le blanchir avant cela rentre dans une stratégie pensée par les responsables du pays d'autant plus que, vu les complicités qui entourent l'affaire, impossible d'accabler la Chabiba sans accabler l'État", explique un observateur averti. Autre élément à prendre en considération : dans ses dernières déclarations (dont la dernière sur Radio Sawa), Abdelkrim Moutiâ s'aligne sur les positions des islamistes et conservateurs en vue dans le pays (et politiquement corrects) pour stigmatiser les travaux de l'IER, faisant passer ses membres pour "des communistes déchus qui tentent de renverser la monarchie", ne manquant pas au passage d'appeler le mouvement islamiste à "la prudence et à la retenue". Un discours partagé et modéré donc, censé rassurer qui de droit. Ajouté à cela, le doute que vient jeter Khezzar sur une vérité établie depuis 30 ans maintenant, ne serait-il qu'un prélude vers un retour de l'islamiste banni N° 1? L'histoire (ou les semaines à venir) le dira.




Parcours. Qui était-il ?

Il était syndicaliste, idéologue, ingénieur, avocat, journaliste mais, avant tout, le prolongement naturel de Mehdi Ben Barka dans le parti. Cet oujdi né en 1936 est doublement diplômé (de Paris) en télécommunications et en droit. Militant de la première heure au sein du mouvement national, il rentre au Maroc au début des années 60 en tant que directeur régional des télécommunications à Casablanca et s'inscrit dans le mouvement syndical. En 1963, il est condamné à mort en compagnie de Lfqih Basri et Moumen Diouri puis gracié en 1964. Après l'assassinant de Ben Barka, il sera à nouveau arrêté en 1966, puis en 1973 et torturé à plusieurs reprises. Il assurera par la suite la direction du journal Al Mouharrir, rédigera la première mouture de l'orientation idéologique du parti qu'il présentera personnellement lors du congrès extraordinaire de 1975. En compagnie d'Elyazghi, il a été la véritable dynamo du parti, le dirigeant populaire et proches des bases qui aurait, peut être, inspiré une orientation différente au parti d'El Mehdi.



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