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Grand Angle

France : Bloqué au Maroc, un MRE se retrouve licencié d’Etanco

Ouvrier depuis la fin des années 1980, Brahim Kiou, la cinquantaine aujourd’hui, est licencié de l’usine de bâtiment Etanco à Aubergenville (Yvelines) pour abandon de poste. Pourtant, c’est en étant bloqué au Maroc à cause de la suspension des vols internationaux qu’il n’a pas pu rejoindre son lieu de travail.

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Brahim Kiou (à gauche), soutenu par Philippe Gomard et la CGT / Ph. Yves Fossey - Le Parisien
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Chef d’atelier au sein de l’usine de bâtiment Etanco à Aubergenville, dans les Yvelines, Brahim Kiou est sans salaire depuis le mois d’avril dernier. Aujourd’hui, il est également menacé de délogement de son domicile de fonction, sur la base d’un licenciement considéré comme abusif. Pour cause, il soutient ne pas avoir abandonné son poste, comme lui reproche son employeur, mais avoir été bloqué au Maroc depuis mars dernier.

Le 8 de ce mois-là, Brahim Kiou arrive en effet au Maroc avec sa femme et son fils de six ans, à la suite d’un décès familial. Alors que son vol de retour est programmé le 19 mars, son séjour a dû se rallonger de plusieurs mois. Le 13 mars dernier, le Maroc a en effet annoncé la suspension des voyages internationaux, à cause de la pandémie du nouveau coronavirus et en préparation de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire. Tenus par un emploi ou même par un rendez-vous médical, des centaines à milliers de Marocains vivant en France se retrouvent dans l’incapacité de repartir. Brahim en fait partie.

Considéré comme cas non prioritaire pour le rapatriement

Brahim Kiou confie à Yabiladi qu’«aucun service des autorités marocaines ne donnait d’explications» sur la possibilité de retour des résidents marocains en France. Au même moment, des ressortissants français bloqués au Maroc ont rapidement bénéficié de premiers vols de rapatriement, restés longtemps inaccessibles aux binationaux. La situation est encore plus difficile pour Brahim, qui se trouve en campagne avec sa petite famille, à 35 kilomètres d’Azrou, avec peu de possibilités d’accéder à une assistance consulaire.

Mais ce spécialiste du bâtiment espère toujours qu’un vol soit prévu et réserve des billets de retour, jusqu’au 19 mars, avant que ces voyages ne finissent par être annulés. «Pour être sûrs de ne pas rater l’avion, nous avons dormi le 18 mars dans un parking de l’aéroport de Fès, avant qu’un agent ne nous annonce que nous devrions rentrer chez nous car l’aéroport était fermé», se souvient-il. «C’est à ce moment-là que les choses ont commencé à se compliquer» pour Brahim Kiou, qui espère entreprendre encore des démarches, souvent restées vaines.

Brahim trouve enfin la possibilité de faire une demande de rapatriement, le 12 juin dernier. Mais là encore, il ne parvient à obtenir de retour, son cas étant considéré comme moins prioritaire. «On m’a expliqué par mail que les places étaient limitées et que ce n’était plus la peine que je contacte régulièrement les services consulaires, car ils allaient me rappeler lorsque je pourrais être rapatrié», se rappelle encore le MRE. Mais entre-temps, Brahim est déjà sans salaire, depuis le mois d’avril. Pour se rendre à la zone urbaine la plus proche, Azrou, il est contraint de faire le trajet à pieds.

En plus des démarches consulaires, Brahim Kiou a aussi averti son employeur de la situation. «Je l’ai contacté le 19 mars mais il m’a clairement dit au téléphone : "Brahim, là je peux te licencier si je veux"», nous confie le MRE. Le 22 avril, il contacte le responsable de production de son entreprise, en lui expliquant une nouvelle fois ne pas pouvoir rentrer en France et être à cours de moyens financiers. «On m’a dit qu’on allait me mettre au chômage partiel, ce qui n’a jamais été fait», nous explique Brahim.

De formateur en bâtiment à sans-emploi

Après plusieurs mois de longue attente, Brahim Kiou bénéficie de l’aide de sa sœur vivant en France et de ses amis, qui ont cotisé pour qu’il puisse revenir en France, le 27 août. C’est à ce moment-là qu’il découvre tous les avis de licenciement, dans sa boîte aux lettres. Il se souvient d’ailleurs que «cela fait à peu près trois ans qu’on veut [sa] peau», à cause de ses problèmes de dépression, l’état d’urgence sanitaire faisant office de prétexte. Au fur et à mesure des mois, Brahim se trouve tellement à cours de ressources financières que sa petite famille se nourrit grâce à des bons alimentaires.

Mais les péripéties ne s’arrêtent pas là, puisque l’employeur de Brahim menace désormais ce dernier de lui faire quitter son domicile de fonction. «Le 12 octobre, un huissier devra faire un état des lieux et mon directeur me menacera de vider le logement», s’inquiète le MRE, désormais épaulé par la Confédération générale du travail (CGT) à Aubergenville. Au sein du syndicat, c’est Philippe Gomard qui suit de près le cas de Brahim Kiou.

«Nous sommes avec lui et nous l’accompagnons dans l’ensemble de ses démarches, notamment dans le cadre de la procédure introduite auprès des Prud’hommes et qui risque d’être longue, si jamais son employeur fait appel après un jugement en faveur de Brahim», nous déclare Philippe Gomard.

Le syndicaliste souligne auprès de Yabiladi que «l’employeur a profité de la situation d’urgence sanitaire pour le licencier, car il l’avait dans sa ligne de mire depuis longtemps». Pour lui, «l’urgence actuellement est qu’il reste dans son logement de fonction». «Nous nous mobilisons pour le soutenir et nous allons essayer d’être présents, le 12 octobre, pour nous opposer à son délogement», promet-il encore.

Egalement conseiller municipal pour le parti Lutte ouvrière (LO) à Aubergenville, Philippe Gomard a annoncé avoir saisi le maire de la ville sur le cas de Brahim Kiou, lors d’un conseil tenu hier.

«Je suis intervenu pour appeler le maire à prendre position. Il s’est exprimé en disant que sur le licenciement, qui pour nous est abusif, il ne pouvait pas se prononcer. Sur la demande de logement, il a dit qu’on ne pouvait pas lui proposer d’habitat social, car ses fiches de paie montrent un salaire trop élevé, mais le fait est que cela fait six mois qu’il n’a plus aucune ressources financières.»

Philippe Gomard

Alors que la mobilisation s’organise dans la ville, le conseil des prud'hommes devra ouvrir le dossier relatif au licenciement de Brahim Kiou, au cours d’une audience prévue le 2 novembre prochain.

Article publié avec le soutien de Google News Initiative

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