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Grand Angle

L’hyper-émancipation des Marocaines au rayon couscous [Billet]

Deux professeures dans deux Business school françaises ont le plus sérieusement du monde fait une étude sur l’importance des super et hypermarchés pour l’émancipation des femmes marocaines. Le féminisme s’était donc planqué au rayon couscous.

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Photo choisie pour illustrer l’article sur l’émancipation des Marocaines au rayon couscous / Ph. Abdelhak Senna - AFP
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Voilà une étude qui ne va pas plaire à Najat Aatabou qui, habillée d’un flashy caftan rose bonbon, glorifiait la nouvelle Moudawana dans sa chanson «Sma3to l moudawana». L’émancipation des Marocaines tiendrait moins de la réforme du Code personnel accouché au forceps en 2004, qu’à l’extraordinaire développement des super et hypermarchés au Maroc. La thèse est défendue par deux professeures en France dans une étude datée de 2018 et dont un résumé vient d’être publié sur The Conversation (A lire ici).

Ainsi, les Marocaines devraient se montrer reconnaissantes de l’apport égalitaire de Acima, Marjane, Label’Vie et Carrefour. BIM, dans les dents des associations féministes au Maroc ! Pour Delphine Godefroy-Winkel, professeure associée de marketing à Toulouse Business School, et Lisa Peñaloza, professeure de marketing à Kedge Business School, «au Maroc comme dans nombre de pays arabo-musulmans, les courses ménagères, activité importante, incombent à l’homme». Elles enfoncent le clou en affirmant que «traditionnellement, ce dernier se rend dans l’un des quelques milliers de souks marchés hebdomadaires qui constituent une institution puissante du paysage patriarcal marocain» (sic). Ainsi, le commerce traditionnel machiste aurait toujours exclu les femmes, qui ne doivent leur libération qu’aux grandes et moyennes surfaces (GMS) issues de la modernité capitaliste occidentale. Si la présence féminine dans les souks ruraux s’est sensiblement développée ces dernières décennies, les courses ménagères sont depuis longtemps une pratique partagée par les femmes et les hommes dans les médinas. Comble de l'ironie, le cliché véhiculé dans cette recherche en marketing n’est même pas en phase avec l’image des ruelles marchandes du Maroc du siècle dernier dépeinte par les orientalistes.

Ruelle marchande à Fès - Gouache sur papier de Henry PONTOY (1888- 1968)Ruelle marchande à Fès - Gouache sur papier de Henry PONTOY (1888- 1968)

L'émancipation par la yaourtière

Il y a évidemment beaucoup à dire sur la place de la femme dans l’espace publique au Maroc, la répartition des rôles au sein du couple, et l’importance de l’indépendance économique pour l'émancipation féminine. Mais l’article enfile les anecdotes pour démontrer que le consumérisme moderne occidental qui a effectivement envahi la vie des ménages marocains via notamment les GMS, est un allié objectif de la Marocaine. De l’enfumage mercatique tout droit sorti d’une Business school.

Ainsi peut-on lire que «Hassan avoue avoir acheté une yaourtière sous la pression de sa femme». Une visite chez les commerçants traditionnels de Garage Allal, vous apprendront que bien avant les yaourtières, la maman de Hassan avait probablement mis un coup de pression pour que son mari lui achète une machine à laver. Cet exemple donné par les deux professeures démontre qui plus est tout le contraire d’une émancipation de la femme. De cette contribution à l’indépendance de la femme par l’hyperconsumérisme, on n'en trouvera aucune trace dans l’article. Un autre exemple vient même consacrer la tutelle financière de l’homme sur la femme. «Ito déclare ainsi : "Mon mari ? Il ne fait que payer à la caisse", réduisant ainsi le rôle de son époux à celui de simple payeur, et non de décideur». Grâce à l’oeuvre émancipatrice des GMS, Ito a donc gagné le droit de choisir sa marque de lessive. Toute l’oeuvre de Simone de Beauvoir passée à la lessiveuse.

«Ana machi Tria»

Il est étonnant, pour ne pas dire accablant, de voir l’émancipation des femmes au Maroc ainsi réduite en confettis au rayon jouet des GMS, par deux femmes, professeures, dans des écoles supérieures françaises. Si faire ses courses à BIM ou dans le souk de Derb M3izi est «un levier vers plus d’égalité entre les genres», les plus rétrogrades des misogynes accepteront volontiers cette révolution féministe en laissant les courses à la charge de leurs femmes, pour siroter leur café avec leurs copains.

Pour conclure sur une note plus culinaire, le hasard a voulu que cette émancipation fantasmée par les professeures soit illustrée par une photo au rayon couscous. On se souvient qu'en 2014, l’ancien chef du gouvernement, Abdelillah Benkirane, avait déclenché l’ire de nombreuses femmes en comparant la Marocaine à un lustre. Le hashtag #ana_machi_tria (je ne suis pas un lustre) pourrait très bien convenir en réponse à celles qui, après avoir «libéré» la femme maghrébine, lui demanderont : «Fatima tu peux me faire un couscous ?»

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