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Grand Angle

Diaspo #162 : Hisham Aidi, le décodeur des rapports entre l’art et la politique

Professeur à l'Université de Columbia aux États-Unis d'Amérique, Hisham Aidi a remporté de nombreux prix pour ses livres, dans lesquels il décortique la relation entre l'art et la politique.

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Le Maroco-américain Hisham Aidi. / DR
Temps de lecture: 5'

Un seul événement peut changer à jamais nos vies. C’est le cas du Maroco-américain Hisham Aidi qui, petit, n’imaginait pas qu’il quitterait Tanger et le Maroc après ses études pour s’installer aux Etats-Unis. Mais à l’âge de 15 ans, la réussite d'un examen d'anglais et l’obtention d’une bourse d'études pour entrer dans un lycée américain, pousseront le Tangérois à voler vers l’Etat du Nouveau-Mexique.

«Le début des années 1990 n'a pas été facile. Il n’y avait pas de communauté marocaine à proximité, pas d'Internet, ni Facebook ou WhatsApp à l'époque. C'était seulement cet appel mensuel à ma famille dans le Maroc lointain», confie-t-il à Yabiladi. Ce même sentiment d'éloignement l'accompagnera lors de son deuxième déménagement près de Philadelphie pour ses études supérieures.

Le raï et le melhoun à la radio américaine

N’étant pas en mesure de travailler en dehors de l'université à l'époque, Hisham Aidi travaille dans la station de radio universitaire en tant qu’animateur. «C'était mon premier travail dans la musique. Personne n'avait entendu parler du musicien raï ou de melhoun en Amérique, alors j'ai dû diffuser les chansons d’Abdessadek Chekara et Samy Elmaghribi à la radio de Pennsylvanie», se remémore-t-il. «Je pense que c'était la première fois que de la musique marocaine était diffusée par une radio américaine», s'amuse-t-il aujourd'hui.

En ce qui concerne son parcours universitaire, cet originaire de Tanger a étudié la théorie politique et l'économie, en abordant dans son projet de fin d'année l'orientalisme au Maroc, en particulier sur la façon dont Tanger était une destination prisée d'orientalistes américains, de Mark Twain à Paul Bowles.

Quant à son doctorat à l'Université Columbia de New York, il s’est penché sur l’économie politique en étudiant la relation entre la gouvernance et le développement économique, en particulier les liens entre la pauvreté et l'oppression, et pourquoi les plus démunis des pays pauvres souffrent du manque de droits fondamentaux.

«J'étais très enthousiaste à mon entrée à l'Université Columbia en 1993. J'avais de grands professeurs mais ceux qui m'ont façonné, il y a vingt-cinq ans, étaient Edward Said et le grand jazzman et musicien Randy Weston, qui vivait à Tanger dans les années soixante et était un grand amateur de musique Gnawa.»

Hisham Aidi

Il se plait à raconter comment Randy Weston «aimait le soufisme» et comment sa demeure à Brooklyn était devenue une «maison» pour le Maroco-américain. «On célébrait l’Aid ensemble, chantait Gnawa et mangeait du couscous. Il m’avait toujours accueilli chaleureusement chez lui où j’ai croisé de nombreux amoureux de jazz et des politiciens américains», raconte Hisham Aidi.

La guerre en Irak et le départ des Nations unies

Tout en préparant son doctorat, le Tangérois devient journaliste et analyste politique couvrant l'actualité des minorités à New York, travaillant comme correspondant pour un magazine de Harvard.  «J’étais en poste à Harlem, un quartier animé, où se tenaient de nombreux mouvements politiques puissants. Je me souviens avoir écrit sur la visite de Fidel Castro à Harlem en 2000, puis sur la visite de Robert Mugabe, et plus tard, sur le leader ghanéen Jerry John Rawlings», se rappelle-t-il. Et de décrire un quartier visité par beaucoup de dirigeants africains et où il existe aujourd'hui deux Zaouias de la Tariqa Tijaniyya.

«Disons que ma profession principale était celle de chercheur en économie politique et droits, alors que mon vrai passe-temps était d'écrire sur la musique et la politique mêlées au football.»

Hisham Aidi

Après avoir obtenu son doctorat en 2002, Hisham Aidi commence aussi à travailler pour les Nations unies en tant que rédacteur de discours sur les affaires des pays en développement. Mais pendant la guerre en Irak en 2003, alors que la situation politique se tend, il écrit un discours aux Nations unies pour le présenter à son directeur à Washington. Son texte est alors rejeté par les acteurs politiques.

«Je me souviens déjà comment l'administration Bush a empêché la publication du Rapport sur le développement humain dans les pays arabes. J’ai donc quitté les Nations unies pour donner un cours d'un an à l'Université du Maryland, ce qui m’a permis d'explorer la capitale américaine et la grande communauté marocaine et soudanaise qui réside dans sa banlieue.»

Hisham Aidi

En compagnie du un trompettiste, arrangeur, compositeur et producteur américain Quincy Jones. / DREn compagnie du un trompettiste, arrangeur, compositeur et producteur américain Quincy Jones. / DREn compagnie du un trompettiste, arrangeur, compositeur et producteur américain Quincy Jones. / DR

Des livres et des récompenses

Le Marocain a également remporté de nombreux prix pour ses livres. Le premier lui a été décerné en reconnaissance de ses contributions scientifiques en 1997 par l'organisation Ford pour la plus ancienne recherche étudiant les relations de la gauche arabe avec la gauche en Amérique latine.

Hisham Aidi s’était même rendu au Caire, la capitale égyptienne, pour faire ces recherches. Il y avait rencontré des figures de proue de la gauche, comme Galal Amin et Gamal Al-Banna. L’étude est ainsi été publiée dans un livre en 2009 sous le titre «Restructuring the State», qui est un ouvrage sur le processus de privatisation et les mouvements ouvriers.

Le Tangérois a également remporté un deuxième prix en 2008, pour son travail sur l'islam dans le ghetto américain, plus précisément l'idée de la capacité des institutions islamiques à assurer la stabilité dans les quartiers pauvres.

En 2014, il a écrit un livre sur la musique et l'hégémonie américaine, dans lequel il a expliqué comment les mouvements sociaux utilisent l'art comme moyen de s'opposer à l'ingérence américaine. Il a été considéré comme le meilleur livre d'Amérique en 2015, remportant ainsi l'American Book Award.

Hisham Aidi a également écrit sur le hip-hop, source d'inspiration de manifestants dans le monde entier. Au cours de cette année, il a remporté le prix de l'Organisation Soros pour son travail sur le printemps arabe et la révolution soudanaise et comment elle a façonné ou transformé l'immigration aux États-Unis.

Avec le grand jazzman et musicien Randy Weston. / DRAvec le grand jazzman et musicien Randy Weston. / DR

Un ambassadeur de la culture marocaine

«Le plus important de tous les prix est le travail que nous accomplissons au Maroc, alors que je visite le royaume trois à quatre fois par an. J’emmène des professeurs américains pour compléter leurs recherches sur le Maroc, et parfois je quitte New York mardi pour assister au festival d'Essaouira et je rentre dans un avion du dimanche pour enseigner à mes étudiants en Colombie», relate-t-il. «Nous essayons actuellement de développer l'étude des relations internationales au Maroc, et traduisons le travail de la jeunesse marocaine en anglais.»

«J'ai vécu et étudié dans de nombreuses régions du monde, de Cuba au Sénégal en passant par l'Espagne, mais je suis toujours l'enfant du Maroc. Pendant vingt ans j'ai présenté la culture marocaine à New York, en organisant des nuits andalouses dans les musées et universités», ajoute-t-il encore.

«Je suis un enfant de Tanger. J'ai grandi avec les chansons de Chekara, le son de la radio espagnole et les matchs de football sur les écrans des vieux cafés (…) ma famille possède toujours un restaurant dans la vieille ville ; le restaurant Hammadi du nom de mon grand-père, qui a été construit en 1951.»

Hisham Aidi

Attaché à son pays d’origine, ce Marocain ne cesse de réaffirmer son amour pour sa terre natale. «Le Maroc me manque, surtout dans ces nuits froides de l'hiver américain. J'aspire au rythme de notre langue parlée, aux sons et aux ombres de la ville, le bruissement des vagues. J’ai vécu dans de nombreuses villes, mais je me sens détendu quand je suis dans un café de Tanger le dimanche soir, avec l'odeur de menthe et de verveine dans l'air, à regarder un match de football, avec à droite la Grande Mosquée dans laquelle mon grand-père priait ; c’est mon moment de plénitude.»

Article modifié le 04/10/2020 à 01h07

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