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Grand Angle

Au Maroc, le kidnapping des «enfants zouhris» et le mythe d’«extraction des trésors»

Les affaires de disparition d’enfants au Maroc sont parfois attribuées à des faits liés à la chasse au trésor. Ainsi, à l’image de la quête du Saint Graal, des chercheurs de trésors continueraient de recourir à des pratiques sataniques, allant même jusqu’à kidnapper ou sacrifier des enfants dits «zouhris» dans leurs quêtes.

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Des gendarmes arrêtant des chercheurs présumés de trésors. / DR
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Les disparitions et les drames impliquant des enfants, ayant secoué l’opinion publique marocaine ces derniers jours, ravivent le débat sur les enfants dit «zouhris» utilisés par des charlatans dans leur chasse aux trésors enfouis.

Ainsi, au lendemain de l’affaire Naima, dont l’assassin est soupçonné d’être un fqih, une autre famille marocaine à Zagora, dont l’enfant est porté disparu depuis septembre, soupçonne un kidnapping du fait qu’il soit «zouhri». Dans des déclarations à la presse, l’oncle de l’enfant a assuré que celui-ci «a des signes dans ses mains et dans ses yeux», qui peuvent être considérés comme «signes recherchés habituellement par les chercheurs de trésors».

Des faits et des événements récurrents, par le passé, indiquent en effet que les enfants «zouhris» se distingueraient par certaines caractéristiques physiques. Selon ce que l'on sait des récits populaires, «un enfant est dit zouhri lorsqu’il dispose d’une ligne droite sur ses deux mains». Mais il existerait d’autres signes, détectés au niveau de la langue de l’enfant ou même ses yeux.

Méthodes sataniques pour extraire des trésors

La chasse aux trésors ou la quête du saint Graal n’est pas une histoire récente au Maroc. «Les textes historiques sur ce sujet sont très rares. Dans le passé, le Maroc recevait une grande quantité d'or et d'argent, et les soldats étaient payés en métaux précieux», nous déclare ce vendredi Ahmed Amlik, professeur d'histoire à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech.

«Quand les gens voulaient voyager d'une ville à l'autre, ils cachaient leurs biens et métaux précieux en les enfouissant dans la terre, de peur qu’ils ne soient volés, notamment durant les guerres fréquentes entre tribus. Certains convois avaient aussi l'habitude d'enterrer de l'argent en cas de danger», explique-t-il.

Un récipient en terre avec des pièces de monnaie. / IllustrationUn récipient en terre avec des pièces de monnaie. / Illustration

Il rappele également que «l’insécurité ou ce qu'on appelle la Siba était répandue au Maroc. Nombre de sultans étaient constamment en mouvement pour pacifier les tribus, notamment durant la période des Almoravides et les Almohades, jusqu'au debut du XXe siècle».

De ce fait, plusieurs Marocains continuent de croire que des endroits recèlent de précieux trésors. L’idée a animé Rachid, un ancien habitué de ce type d’aventures. Auprès de Yabiladi, il confirme qu’il «existe plusieurs méthodes pour extraire un trésor». «Ceux qui ne craignent pas Dieu utilisent des enfants "zouhris". Certains les abandonnent après, vivants ou morts, tandis que d’autres les transforment en disciples pour les accompagner dans cette quête», ajoute-t-il.

«Ils peuvent aussi recourir à des femmes enceintes ou de personnes à la peau noire. Ceux qui travaillent selon des méthodes sataniques ont besoin du sang pour accomplir leurs rituels.»

Rachid

Des «zouhris» pour «remplacer» les détecteurs ?

L'ancien chasseur de trésors semble encore persuadé de leurs existences, jurant que «le Maroc et l'Afrique du Nord regorgent de ce type de butins». «Il y a même des groupes (de chasseurs de trésors, ndlr) qui mènent des recherches jour et nuit. Sans document ou de référence, ils recherchent au pif et n’atteignent que rarement leur objectifs», enchaîne-t-il. «J'ai quitté ce domaine en 2001 après une mésaventure. Ceux qui travaillent dans ce domaine, je les appelle personnellement des voleurs et des gangsters», conclut-il.

Mohamed a, lui aussi, pris part à ce genre de chasse. «Il m'est apparu clairement que cette recherche n'est que de la sorcellerie, après deux ans de chasse dans de nombreuses villes, sans succès», se remémore celui qui pratique aujourd'hui la Rokia. «Sans appareil ou indication claire, cela reste un mythe.»

Photo d'illustration./ DRPhoto d'illustration./ DR

Mais il va jusqu’à assurer que «le Chitan (Satan, ndlr) trompe certains», assurant que ces personnes «croient que les Djins leurs parlent à travers un enfant ou une femme pour leur indiquer que le trésor peut être extrait à condition de leur donner du sang et d’autres offrandes». L’ancien chasseur de trésor explique aussi que ces personnes «sont convaincues qu’un enfant "zouhri" dispose d’un pouvoir et d’un sang uniques, qui lui permet de voir ce qui est caché sous la terre ou de détecter des objets de sorcellerie».

«Ces fqihs pensent sérieusement qu’ils peuvent ramener un "zouhri", réciter du Coran et psalmodier des chants et que cela permettrait à l’enfant de leur indiquer les cachettes. En fait, ces enfants sont utilisés comme une sorte de détecteurs ou voyants.»

Mohamed, ex-chasseur de trésors

Pour cet expert en Rokia, «la majorité de ces chercheurs, qui pensent que les "zouhris" peuvent communiquer avec les Djins, ne parviennent jamais à leurs buts puisqu’ils sont tous pauvres».

Une responsabilité partagée entre l’Etat et le citoyen

C’est dire combien les mythes, la superstition et la croyance en la sorcellerie perdurent au Maroc. «Elles sont toujours omniprésentes dans notre société», affirme le psycho-sociologue et enseignant chercheur Mohssine Benzakour. «Des personnes se rendent toujours chez les voyantes et d’autres croient en la présence d'enfants aux mains ou aux yeux ‘zouhris’ et qu’en les tuant, ils pourront extraire des trésors enfouis», déplore-t-il. Le psycho-sociologue estime que «la pensée superstitieuse existe aussi chez ceux qui croient aux messages sur internet leur promettant de gagner des millions de dirhams».

A Serghina (province de Boulemane), un rassemblant des habitants sur les hauteurs d’une montagne en 2018, à l’appel d’un trentenaire qui dit être capable d’en extraire un trésor. / DRA Serghina (province de Boulemane), un rassemblement d'habitants sur les hauteurs d’une montagne en 2018, à l’appel d’un trentenaire affirmant être capable d’en extraire un trésor. / DR

Il pointe ainsi du doigt «l'argent facile, l’argent obtenu sans effort et celui récolté sans savoir», tout comme la «responsabilité de l'État». «Les gouvernements marocains ne cherchent pas à lutter contre de telles dérives. Ainsi, l’accusé dans l’affaire du meurtre de Naima, par exemple, soupçonné d’être un fqih, sera puni uniquement pour meurtre et non pas pour sorcellerie», explique-t-il.

«La pensée superstitieuse au Maroc doit être au cœur de séminaires nationaux. Nous en avons assez de telles idées. Le monde nous traite de pratiquants de sorcellerie. Nous devons créer une opinion publique qui aspire à la science et à la connaissance», déplore-t-il encore.

«Il est inconcevable de mutiler le cadavre d’un enfant au nom des mythes. Cette question constitue réellement une menace pour nos enfants et les générations futures. N'est-il pas temps de supprimer ce tabou de la pensée superstitieuse ?»

Mohssine Benzakour

Pour le psycho-sociologue, les autorités, en plus de lutter contre ce fléau, doivent aussi sensibiliser les Marocains pour prendre des précautions contre ces charlatans.

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