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Grand Angle

Maroc : La chloroquine est-elle efficace contre la Covid-19 ?

Présentée en mars dernier comme donnant des signes positifs dans le traitement du nouveau coronavirus, l’hydroxychloroquine est sujette à caution dans de nombreux pays. Le Maroc continue d'inclure le traitement du Dr Raoult dans son protocole thérapeutique.

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Photo d'illustration / DR.
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Décriée par les uns, recommandée par les autres ou encore prescrite à titre préventif uniquement, l’hydroxychloroquine demeure au centre d'un débat de plus en plus polarisé au sein des société savantes et parmi les professionnels de santé. Les pays européens, les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, l'Australie, le Japon,... et même la Chine ont exclu le médicament du protocole de soins pour la Covid-19.

Au Maroc, le traitement préconisé par le Dr Raoult (hydroxychloroquine+azithromycine) a rapidement été inclus au protocole de prise en charge des patients testés positifs à la covid-19. D’autres pays mentionnent le recours à cette molécule, mais avec un usage plus prudent. En Russie, le ministère de la Santé recommande l'hydroxychloroquine surtout en prophylaxie, dans la prise en charge préventive des cas contacts ainsi que pour le personnel médical. En Arabie saoudite, elle est recommandé en troisième ligne, pour les «cas légers et modérés».

Un usage sur la base d’éléments observationnels au Maroc

Le ministère de la Santé au Maroc a maintenu cette utilisation dans son protocole recommandé, en mars dernier. Chef du service de réanimation au Centre hospitalier universitaire (CHU) Hassan II de Fès, Professeur Nabil Kanjaa a déclaré à Yabiladi que «dans le cadre des débats scientifiques en cours, il n’y a pas d’étude avec une méthodologie parfaite qui jouit du consensus sur des preuves d’efficacité ou non de cette molécule». Cela dit, il précise que «des études ont été faites en Chine, en France et dans d’autres pays, montrant que in vitro ou in vivo, cette molécule permet de diminuer la charge virale de manière importante».

Dans ce sens, le spécialiste s’interroge sur le retard observé à l’échelle mondiale pour mener des études approfondies sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients covid+. «Nous ne savons pas pourquoi une étude méthodologique appuyant les premiers résultats positifs n’a pas été faite, peut-être pour ne pas aller au bout de ces premières confirmations, mais nous avons choisi de recourir à la chloroquine puisqu’en l’absence de traitement efficace, de premières expériences ont établi la réduction de la contagion et de la mortalité», explique le médecin.

«A partir de l’exercice de nos fonctions sur le terrain et en milieu hospitalier au niveau du Maroc, je peux dire que nous avons remarqué la différence avant et après l’adoption de ce protocole. Lorsqu’on compare aussi le taux de mortalité au Maroc par rapport à des pays voisins ou européens, il est inférieur.»

Pr. Nabil Kanjaa

A ce stade et dans le cadre du débat scientifique global, Pr. Kanjaa considère qu’«il est difficile d’envisager un retrait de la chloroquine» du protocole en vigueur au Maroc, «surtout qu’il faudra, dans ce cas-là, proposer une alternative qui n’est pas disponible pour le moment».

Il souligne aussi qu’«il n’y a pas de preuves certaines, mais il y a des preuves observationnelles à travers la prise en charge des patients dans les hôpitaux [marocains, ndlr], que plus la chloroquine est administrée précocement – en dehors des cas en réanimation –, plus elle permet de réduire les formes graves».

A partir de son exercice, le praticien estime «que la chloroquine a fait ses preuves en tout cas dans le milieu où sont pris en charge des patients atteints de covid-19». «J’ai une conviction à travers cet exercice qu’elle réduit les formes graves, ce qui reste une confirmation observationnelle encore une fois», précise-t-il.

Des observations scientifiques nuancées sur l’efficacité de la molécule

Enseignant chercheur en épidémiologie à l’Université du Massachusetts (Etats-Unis), Youssef Oulhote dit défendre «un avis plus nuancé» quant à l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Pour contextualiser son usage, il rappelle qu’entre février et mars dernier, «une équipe chinoise a publié deux lettres, montrant que la chloroquine et le Remdesivir pourraient inhiber le virus dans des cellules de reins du singe vert Africain». Il rappelle également que «ce travail repose sur des études antérieures concernant d’autres coronavirus».

Mais en juillet dernier, «deux grosses études en Allemagne et en France, publiées dans la revue Nature, ont montré que l’effet observé sur [les cellules jusque-là étudiées] ne l’a été ni sur le tissu des poumons ni chez des Macaques», souligne Dr. Oulhote.

Les processus d’étude et d’analyse étant ainsi complexes, le spécialiste déplore qu’entre l’efficacité ou non de la molécule, «on polarise une question scientifique sur la base d’études qui se contredisent mais qui ne se valent pas». «Il existe une pyramide pour l’inférence causale et ce qu’on appelle evidence-based medicine. Au plus bas, il y a l’opinion des experts et les études expérimentales. S’en suivent les rapports de cas que font les médecins et publient. Après, on a des études épidémiologiques, qui contiennent elles-mêmes un classement (études écologiques avec données sur les agrégats - les pays - mais pas les individus), puis les études observationnelles de types cas témoin et cohorte, les études cliniques randomisées en double aveugle et les méta-analyses des études randomisées, qui sont le type d’études les plus abouties, dans l’analyse de l’efficacité des médicaments». De ce fait, Youssef Oulhote affirme qu’«on ne peut pas tout mettre dans le même sac», en termes de conclusions scientifiques.

A la question de savoir si l’hydroxychloroquine favorise ou non une baisse de la mortalité, il estime qu’il existe «une unanimité des chercheurs en épidémiologie montrant que ce n’est pas le cas, à partir des études randomisées».

«Même pour des maladies beaucoup plus mortelles, ce sont des essais cliniques élargis et des études randomisées qui ont permis de trouver un traitement efficace.»

Dr. Youssef Oulhote

«Dans toutes les études observationnelles qui ont été faites, il existe des biais de confusion importants : le groupe qui prend le traitement et celui qui ne le prend pas peuvent montrer des facteurs de risque tellement différents que cela ne permet pas d’attribuer avec exactitude les effets au traitement», précise-t-il.

Concernant l’utilisation du médicament en prophylaxie (ou prévention), le chercheur se montre plus nuancé : «Nous avons jusqu’à présent 4 études cliniques randomisées, toutes concluent que la molécule n’a aucun effet statistiquement significatif. Mais personnellement, je pense que ce n’est pas encore définitif ou concluant à la inefficacité sur cet aspect, contrairement à son utilisation comme traitement», conclut-il.

Article modifié le 30/09/2020 à 23h42

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