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Témoignage d’une Marocaine au Liban : Un drame sans précédent… [Tribune]

Marocaine vivant à Beyrouth depuis plus de dix ans, H.B. a souhaité partager son témoignage sur la double-explosion du port de la capitale libanaise. Après le choc et le néant, elle veut laisser place à l’espoir de voir son deuxième pays se relever de ce drame collectif.

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Dessin de la fille d'H.B., également présente au moment de l'explosion
Temps de lecture: 3'

Un ciel bleu, un soleil éclatant, un vent chargé de douceur… Tel a été le début de cette journée du 4 août 2020 qui marquera nos cœurs à jamais.

Nous avions décidé, mon amie, ma fille et moi, de passer la journée à la mer, loin de Beyrouth… histoire de rompre un quotidien devenu difficile durant les derniers mois. Entre la crise politique, financière, sociale et… le confinement dû à la covid-19, le Liban n’a pas été épargné. Nous avions donc pris la route pour Anfeh (Nord du Liban) le cœur léger et l’esprit libre, laissant derrière nous nos soucis concernant notre avenir dans ce pays. Ce fut une belle journée et nous avons décidé de reprendre la route pour Beyrouth vers 17h15 pensant éviter le trafic… nous ne savions pas que c’est la mort que nous déjouions…

Le destin a voulu que nous soyons au niveau du port de Beyrouth vers 18h00. Nous roulions tranquillement, discutant et devisant de nos plans futurs quand… Soudain, une énorme explosion se fit entendre sur notre droite. A peine avais-je eu le temps de tourner ma tête et de voir un immense nuage de fumée enflammée s’élancer dans le ciel ET… l’inconnu venait vers nous tel un monstre prêt à nous dévorer... Une deuxième déflagration eut lieu, projetant notre voiture vers la gauche avec une violence inouïe en déclenchant heureusement les airbags de la voiture.

Puis, le néant…. Des oreilles qui sifflent, une odeur de brulé, de la fumée dans la voiture et nos yeux hagards se cherchant du regard pour savoir si nous allions bien. Mon amie, blessée au bras, tente de redémarrer la voiture afin que nous quittions les lieux de ce sinistre carnage…mais rien se passe… la voiture reste silencieuse ! Nous y sommes restées bloquées une dizaine de minutes, ne sachant qui appeler, que dire, que faire… faisant appel à la Providence Divine : l’une à son prophète Jésus, l’autre à son prophète Mohamad tandis que ma fille, à l’arrière, gardait un silence de plomb. Un instant sans précédent, un sentiment d’être passée de l’autre côté de la raison… un monde de science-fiction où la réalité n’a plus de place.

Nous reprenions conscience entre cris et pleurs, le sentiment d’urgence de s’en sortir refaisait surface. Nous appelions nos proches pour les rassurer et essayions tant bien que mal de nous extraire de la voiture. Dehors, le chaos total… de la fumée partout, des voitures fracassées, des gens qui criaient… l’état de panique était indescriptible digne d’une scène monstrueuse d’un film d’horreur. Ma fille de 13 ans, qui a fait preuve d’un sang-froid extraordinaire, tente de nous calmer en répétant, tel un leitmotiv, «It’s ok, it’s ok…». Nous avons été évacuées des lieux moins de 30 minutes après la catastrophe, retrouvant notre petite famille saine et sauve et notre foyer avec des dégâts mineurs.

Aujourd’hui, presque une semaine après cette apocalypse, je pleure le Liban, la ville de Beyrouth et tous ses habitants… cette douce ville où il fait bon d’y vivre malgré tous ses problèmes… cette ville de contradictions qui a su m'enchanter depuis 10 ans que je vis ici.

Mon histoire ne représente rien, si ce n’est un moyen thérapeutique pour évacuer ma peur en cette journée fatale du 4 août 2020. Ma douleur, ma tristesse et ma colère ne ressemblent en rien à celles des personnes ayant perdu des êtres chers. Des personnes qui ont perdu leur espoir et leur avenir construits petit à petit dans ce pays dont les gouvernements successifs ont tué leur peuple à petit feu avant cette tragédie venue réduire à néant tout espoir dans le cœur de chaque Libanais.

J’aimerais dire et penser que le Liban se relèvera et brillera de nouveau de mille feux apportant dans nos cœurs cette douce sérénité et ce doux sentiment d’appartenance à un pays qui se soucie du bien-être de ses citoyens et non à servir les intérêts de ses dirigeants.

Témoignage d’une citoyenne marocaine résidente à Beyrouth – H.B.

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H.B.
Ressortissante marocaine vivant au Liban
Emission spécial MRE
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