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Grand Angle

La reprise du tourisme au Maroc, un espoir tué dans l’oeuf

Réserver une chambre d'hôtel peut permettre d’avoir une autorisation spéciale de déplacement, si la ville de départ ou de destination fait partie des huit, concernées depuis dimanche soir par une interdiction d’entrée et de sortie. La mesure soudaine a pris de court les opérateurs touristiques, confrontés à des annulations de réservations des clients.

Publié
Médina d'Essaouira / DR.
Temps de lecture: 4'

Le cafouillage perdure depuis dimanche soir. Face à la soudaineté de la décision de fermer huit villes, en raison de la pandémie du nouveau coronavirus, nombre de voyageurs se sont empressés de se procurer le dernier ticket et train ou d’autocar. Sans avoir le temps de réfléchir, d’autres ont dû annuler une réservation d’hôtel de plusieurs jours, le contexte de l’Aïd al-Adha prêtant au voyage.

Aussi rapidement que l’annonce de la fermeture des villes, l’inclusion des réservations d’hôtel aux raisons valables pour se procurer une autorisation spéciale de déplacement auprès des autorités locales aura pris de court vacanciers et opérateurs touristiques. Certains responsables hôteliers en ont été informés par les administrations touristiques de leurs villes, tandis que d’autres ne le sont toujours pas ce mardi. Avec ou sans cette exemption, beaucoup d'établissements touristiques sont dépités par une saison estivale d'ores et déjà sabordée.

Pour pouvoir voyager, «une autorisation est accordée par les autorités locales de la ville de départ, sur présentation de la confirmation de réservation écrite de l’hôtel», indique un opérateur hôtelier à Marrakech, confirmant à Yabiladi avoir pris connaissance des mesures annoncées plus tôt ce mardi.

Des réservations au ping-pong

L’annonce de fermeture des villes, dimanche soir, n’a pas tout de suite précisé que les voyages touristiques inter-villes étaient exempts. Peut-on donc réserver une nouvelle fois dans le même établissement hôtelier, tout juste 24 heures après avoir annulé une réservation de plusieurs jours ? Pour épargner ce ping-pong à ses salariés comme à ses clients, l’opérateur hôtelier contacté par Yabiladi à Marrakech indique avoir préféré ne pas réagir à chaud.

«Depuis le mois d’avril à peu près, une décision est rendu publique, l’inverse est annoncé quelque heures plus tard», constate-t-il. Ainsi, il confie qu’après la fermeture des huit villes, il a choisi de rassurer ses clients avant de répondre à leurs annulations en chaîne. «Pour ceux qui allaient venir de l’étranger en mars déjà, nous avons proposé des annulations sans frais. Pour les locaux qui voulaient venir après l’allègement du confinement sanitaire, nous avons proposé de retarder les annulations», explique-t-il.

«Nous avons reçu plusieurs appels de familles ayant réservé pour leurs vacances, dans le cadre de l’Aïd, mais qui ont changé d’avis après avoir pris connaissance de la décision de l’Intérieur, ce dimanche. Je pressentais qu’une nouvelle mesure allait tomber dans les 48 heures, donc nous leur avons proposé d’attendre jusqu’à mardi pour se décider.»

Un responsable hôtelier à Marrakech

Cet opérateur a eu une bonne intuition, puisqu’une importante partie des clients ont fini, ce mardi, par confirmer leurs réservations. S’il dit «garder espoir en l’avenir», sans pour autant savoir de quoi il sera fait, il ne cache pas son embarras devant tant d’incertitudes, depuis près de cinq mois maintenant.

«Nous travaillons sur toute l’année où, en moyenne et toutes saisons confondues, 95% de notre capacité d’accueil est remplie, souvent par des étrangers. Nous soutenons bien sûr le tourisme intérieur. Mais sur le long terme, le secteur ne peut pas réellement redémarrer après la crise sanitaire, s’il compte uniquement sur le pouvoir d’achat et de consommation de nos compatriotes», reconnaît-il.

Le moral des hôteliers en berne, à l’image du tourisme

Entre El Jadida et Oualidia, un opérateur investissant dans une maison d’hôtes et dans des établissements touristiques de la région tente tant bien que mal de passer sous silence son angoisse, à l’idée de voir l’année tomber à l’eau. «A ce stade, nous espérons juste une activité minimale pour maintenir les emplois de nos salariés dans les prochains mois», déclare-t-il.

Depuis mars, cet opérateur dit être entièrement en arrêt d’activité. «Avec l’allègement du confinement sanitaire et la reprise des établissements hôteliers, nous avons eu beaucoup de réservations, surtout à l’approche de l’Aïd et du mois d’août. Mais dès dimanche soir, les annulations se sont faites à la chaîne», regrette-t-il.

«Nous avons convenu d’un avoir, pour les clients qui ont réservé au niveau de Oualidia et qui ont eu la possibilité de modifier les dates de leurs vacances. Mais tous ceux ayant réservé dans notre maison d’hôtes à El Jadida, qui ont planifié leur séjour et qui ont dû annuler, nous les avons remboursés.»

Un investisseur hôtelier à El Jadida

«Le ministère de tutelle a commencé à communiquer sur la reprise des activités, mais les récentes mesures de ce week-end nous ont refroidis», déplore-t-il encore, disant ne pas avoir été informé par les administrations concernées de la récente exemption par rapport aux autorisations de circulation.

Les hôteliers en zone 2 doublement impactés

A Tanger, la situation économique des établissements hôteliers est encore plus précaire. Pour cause, les restrictions dans le cadre des mesures sanitaires ont été maintenues plus longtemps, vu la situation épidémiologique de la ville. C’est ce que confie à Yabiladi le propriétaire d’un riad, inquiet de ne pas voir le bout du tunnel. «La récente fermeture des villes ne nous a pas impactés tant que cela, car nous n’avons jamais vraiment ouvert, étant en zone 2. En d’autres termes, nous sommes passé de zéro à zéro», indique-t-il en disant ne pas avoir reçu de clientèle, depuis le 16 mars.

«Nous avons pu convenir d’un avoir pour certains, sans date mais d’ici la levée des mesures sanitaires en tout cas. D’autres ont été remboursés», explique-t-il. «Nous n’avons aucune visibilité pour le moment, ni pour la pérennité de notre investissement, ni pour la possibilité de pouvoir accueillir de nouveaux clients, dans les mois à venir», s’inquiète-t-il par ailleurs. Dans ce sens, il souligne lui aussi ne pas avoir été informé de l’exemption des voyages touristiques, par rapport à la fermeture des villes.

«J’entends bien que la situation sanitaire exige de la retenue, de la part de nous tous. Mais le cafouillage dans l’annonce de mesures met à mal notre confiance en les personnes qui prennent ces décisions.»

Un promoteur hôtelier à Tanger

En termes de fonctionnement, il souligne que le soutien du Fond spécial de gestion du nouveau coronavirus a cela dit permis de préserver l'emploi des salariés affiliés à la CNSS, mais sans savoir jusqu’à quand cette aide pourrait garantir la pérennité du fonctionnement.

«En visite dans les hôtels, la ministre du Tourisme aligne son discours surtout sur le respect des mesures sanitaires», fustige le promoteur. Pour lui, faire «respecter les directives des autorités sanitaires est de la responsabilité du ministère de la Santé», tandis que «son rôle principal à elle est de faire la promotion du tourisme en soutenant les opérateurs dans leur reprise». Un ton particulièrement critique vis à vis de Nadia Fettah Alaoui qui démontre le fossé grandissant entre les opérateurs et le ministère de tutelle.

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