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Grand Angle

Diaspo #151 : Ichraq Bouzidi, de l’architecture à l’illustration entre le Maroc et Dubaï

L’architecture aura été le choix du compromis, entre sa vocation artistique et la volonté de ses parents de la voir évoluer dans un domaine prometteur. Ichraq Bouzidi finira par être rattrapée par son premier amour pour le dessin, qui lui permet aujourd’hui de tracer son chemin à Dubaï.

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L'illustratrice Ichraq Bouzidi / DR.
Temps de lecture: 5'

Le dessin est sa madeleine de Proust. Depuis son enfance, Ichraq Bouzidi s’est prêtée à l’exercice, afin de rassembler ses souvenirs des différentes villes du Maroc, et constituer ainsi ses propres repères sociaux. «En grandissant, je n’ai pas eu beaucoup d’amis et avec mes parents, on changeait à chaque fois de lieu de résidence. Donc le fait de dessiner des souvenirs a été pour moi une façon de faire un travail de mémoire», confie-t-elle à Yabiladi.

Native d’El Youssoufia, l’illustratrice installée désormais à Dubaï a vécu son enfance au rythme des missions professionnelles de son père, ingénieur en ponts et chaussée et ancien cadre de l’Office chérifien des phosphates. «A son départ de l’OCP, il a créé sa propre entreprise, qui recevait des commandes un peu partout au Maroc. Donc nous nous déplacions beaucoup avec lui, à Kénitra, à Fès, à Meknès, ce qui fait aussi que nous étions une famille très soudée», se souvient-t-elle.

Une mémoire personnelle associée aux villes

Mais Ichraq garde un doux souvenir de la ville d’El Jadida. «Mes parents sont jdidis, donc nous passions chaque été chez les grands-parents là-bas. C’est aussi une ville où mes parents ont vécu leur amour, à rebours de leurs deux familles. Ils avaient fugué ensemble pour se marier, donc le paysage de cette ville incarne pour moi l’amour que j’ai vu entre mon père et ma mère, au milieu duquel nous avons grandi cocoonés, malgré notre situation financière qui n’était pas toujours stable», se rappelle encore l’artiste.

Ishraq Bouzidi lors d’un vernissage / Ph. IBIchraq Bouzidi lors d’un vernissage / Ph. IB

«Au début, il y avait mon grand frère et moi. Je le prenais toujours en exemple, je le suivais partout, j’essayais de faire comme lui. Neuf ans plus tard, mon petit frère est arrivé. Nous nous amusons à dire de lui qu’il est venu par accident», s’amuse à rappeler Ichraq, qui dessine aujourd’hui encore sa vie de famille passée au Maroc.

Ichraq Bouzidi s’installe plus tard à Rabat, où elle s’inscrit à l’Ecole nationale de l’architecture (ENA). Ce sera la ville où elle aura passé le plus de temps, essayant de concilier sa passion pour le dessin et la volonté de ses parents de la voir devenir architecte. «Je voyais en Rabat un petit cocoon comme celui de ma famille, puisque les étudiants sont réunis à Madinat Al Irfane, dont l’enceinte était marquée par un grand portail à l’époque», se souvient l’étudiante.

«La manière dont j’ai vu Rabat façonnée, entre sa médina, son architecture coloniale et ses espaces verts, a determiné ce que je suis aujourd’hui. Son paysage est contrasté, riche de constructions traditionnelles et européennes. C’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui dans mes travaux : mettre en dialogue le modernisme et la tradition.»

Ichraq Bouzidi

En effet, les illustrations d’Ichraq Bouzidi se distinguent souvent par leurs références à des éléments traditionnels et des symboles modernes. «C’est une façon de représenter mon identité. Lorsqu’on grandit au Maroc, on porte ces deux facettes et donc j’exprime l’héritage traditionnel de ma famille et ce que je suis en vivant mon époque à la fois», explique-t-elle.

Une carrière plus épanouie à l’étranger

Après quatre ans d’études en architecture, Ichraq Bouzidi a décidé de quitter le Maroc en 2010. «J’ai fait partie de cette jeunesse qui était pleine d’espoir, mais qui n’arrivait pas à se trouver une place», se souvient-elle. L’étudiante s’inscrit alors en master à Namur, où elle poursuit ses études architecture et en paysage. Le ton de cette nouvelle vie a été donné dès le départ.

«Pendant mon vol aller, j’ai rencontré une personne qui s’est avéré celle avec qui j’allais travailler, une fois installée en Belgique. C’est un entrepreneur qui faisait de l’architecture environnementale. Il m’a tout de suite embauchée en tant qu’assistante architecturale. Cela m’a beaucoup aidée à financer mes études.»

Ichraq Bouzidi

Cette «chance du débutant», comme l’appelle Ichraq, lui a permis d’accéder au monde professionnel de l’architecture, à l’échelle internationale. «Etant de nature introvertie, je n’ai pas beaucoup l’habitude d’avoir une vie mondaine, d’être dépensière, de sortir beaucoup, donc je me suis intégrée très simplement en Belgique !», se rappelle-t-elle.

En 2012, le décès de son père la pousse à rentrer auprès de sa petite famille. «C’était primordial pour moi de soutenir ma mère et mes frères. Nous avons tous été choqués par cette mort inattendue, car mon père avait tout juste 48 ans et ne souffrait d’aucun problème de santé», se souvient la jeune architecte.

«Je ne m’attendais pas à ce que toutes les portes me soient ouvertes, mais j’espérais en tout cas trouver quelques opportunités qui allaient avec mes qualifications, ce qui n’a pas réellement été le cas», nous confie Ichraq Bouzidi.

«J’ai travaillé à Casablanca chez un promoteur immobilier très connu de la place, mais qui en interne ne valorisait pas les compétences et les diplômes. Il était plutôt dans une approche de ‘moul chkara’», raconte aujourd’hui Ichraq, sous forme d’anecdote.

Un passage de l’architecture à l’illustration

Six mois plus tard, Ichraq a pu améliorer sa situation et celle de sa petite famille, en rejoignant une structure spécialisée en architecture. Avec un ancien collègue et ami, elle crée après sa propre entreprise. «Sauf que les commandes sur lesquelles nous avons travaillé semblaient toutes déjà faites, ce qui ne nous laissait pas beaucoup de marge d’imagination et d’innovation», regrette-t-elle.

Ichraq Bouzidi réalise son besoin de «passer à autre chose». En 2015, elle s’envole ainsi pour Dubaï, où elle rejoint son mari. Tout de suite lancée dans la vie active, après son recrutement au sein d’une agence d’architecture allemande, elle se retrouve. «J’étais responsable de projet, j'ai jouït d'une confiance immédiate», se souvient-elle en se disant «joyeusement surprise» de cette nouvelle vie, malgré ses aprioris de départ sur la région du Golfe.

«J’ai eu après une proposition d’emploi au sein de l’agence Dabbagh Architects, que j’admirais beaucoup même quand j’étais étudiante à Rabat», raconte fièrement Ichraq. Elle se dit chanceuse d'avoir travaillé sur des projets d’architecture culturelle, donnant une grande place à la recherche.

«J’ai été la conceptrice et la cheffe de projet du Musée d’Al Aïn, pour notre agence. Nous avons participé à un concours international, en compétition avec de grosses agences mondiales. Face à elles, nous étions une petite structure de cinq personnes, donc nous pensions n'avoir aucune chance. Finalement, le premier prix nous est revenu.»

Ichraq Bouzidi

Pour Ichraq, cette disctinction aura été «le Graal tant rêvé». «C’est avec ce prix que j’ai décidé de fermer en beauté cette parenthèse de l’architecture, en 2018», raconte-t-elle.

Depuis, Ichraq a bifurqué vers l’illustration plus rapidement que prévu. «J’ai eu encore des aprioris sur ma capacité à opérer ce changement, donc en y refléchissant, j’ai commencé à préparer mon inscription en doctorat. Un appel à contribution à une grande exposition au Centre Tachkeel de Dubaï a été lancée. Je me suis proposée à travers quelques illustrations, qui ont été retenues», se souvient-elle.

Cette transition se sera faite toute seule, «par chance ou par hasard, mais elle est venue exactement au bon moment», nous confie Ichraq. La Marocaine remporte plus tard un concours pour illustrer le Dubaï Design District, sa «plus grosse commande». «Je ne réalisais pas que j’avais été sélectionnée», s’étonne-t-elle encore aujourd’hui.

Actuellement, Ichraq continue de participer à des expositions collectives à Dubaï, où elle met en place des installations et des murailles individuelles, façonnant ainsi sa marque de fabrique. Elle travaille aussi sur deux livres illustrés : l’un sur son enfance qui lui tient tant à cœur, l’autre sur la vision des habitants de Dubaï vis-à-vis de leur ville cosmopolite et leurs expériences vécues.

Article modifié le 11/07/2020 à 21h24

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