Menu

Grand Angle

Pour Mustapha Ramid, sa morale vaut plus que la loi [Edito]

Ne pas respecter la loi quand on est ministre constitue une faute politique grave. Faire porter la responsabilité de cette faute à la personne défunte, rajoute de l’indignité au comportement de hors la loi assumé.

Publié
Mustapha Ramid promettant de s’occuper des pauvres, des veuves et des orphelins lors d’une campagne électorale / Archive - DR
Temps de lecture: 3'

Frauder le fisc ou la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) est un sport national au Maroc. Ainsi en 2019, sur les 11 millions de personnes ayant un emploi selon le HCP, seulement 3,54 millions de salariés actifs étaient déclarés à la CNSS, auxquels il faut rajouter 0,56 million fonctionnaires. L’avocat Mustapha Ramid fait partie des nombreux employeurs en indélicatesse (euphémisme) avec la loi. Mais à la différence des autres, lui a été député (2002-2011), ministre de la Justice (2012-2017), et aujourd’hui ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme et des relations avec le Parlement.

Ainsi, pendant 18 longues années, celui qui tour à tour votait les lois, avait en charge la Justice, et est le garant des droits de l’Homme, ne s’est pas soucié de la loi, ni des droits de son employée. Jamila Bichr, qui aura passé 24 années au service du cabinet d’avocat de Mustapha Ramid, n’aura jamais été déclarée. Morte sans couverture maladie ni droit à la retraite, le sort de cette femme n’aura jamais touché l’humanité et le souci des pauvres dont se targue le leader politique à chaque campagne électorale.

Mustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’HommeMustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme

«Ma frassouch !»

Depuis 2002, celui qui était hors la loi commettait en plus une faute politique. Car rien ne l’empêchait de régulariser la situation de sa secrétaire et éviter que le scandale n’éclate. «Il n’était pas au courant», jure Me Idrissi, qui gère aujourd’hui le cabinet d’avocat de son oncle. Une justification qui, en plus d’être juridiquement foireuse, constitue une insulte à la dignité de la défunte. Comme si un employeur ne connaissait pas la situation administrative de ses employés, Me Ramid et par la suite Me Idriss ont oublié que chaque mois, il faut payer les cotisations CNSS ainsi que l’impôt sur le revenu. Ils n’ont pas oublié une fois, ni deux fois, mais plus de 280 fois. Chaque déclaration mensuelle omettant les droits de Jamila Bichr constitue une faute morale, juridique et politique.

La morale, les deux hommes vont encore la malmener pour défendre l’honneur du ministre d’Etat, en assurant que cette femme qui est retournée à Dieu avait tout bonnement refusé que sa situation soit régularisée, fin 2019. Comme solde de tout compte, Me Idrissi avance la coquette somme de 230 000 dirhams versée à Jamila Bichr. Me Ramid croit-il vraiment qu’un éventuel accord sous seing privé l’exonère de ses obligations vis-à-vis de l’Etat ? L’avocat a-t-il oublié que même si le salarié renonce à ses droits, le Code du travail s’applique à l’employeur ? Et quel exemple donne ainsi l’employeur Mustapha Ramid aux autres employeurs de ce pays ? Alors que beaucoup sont déjà atteints de «phobie administrative», évitant de déclarer leurs employés, sous-déclarant des salaires, ou fâchés avec le fisc, l’exemple ministériel va les transformer en héros.

La charité pour s’exempter du droit

En plus d’insulter la mémoire de la défunte, Mustapha Ramid entraîne le père de Jamila Bichr dans le pathétique. Ce dernier a rendu public son attestation signée et légalisée par les autorités pour laver l’honneur ministériel. En plus de la somme précitée par Me Idrissi, M. Bichr ajoute que Ramid a pris en charge les frais hospitaliers à hauteur de 67 000 dirhams.  Ainsi, une opération de charité qui dans la tradition musulmane se devait de demeurer confidentielle, est utilisée comme ligne de défense pour sauver le soldat Ramid. Comme si une aumône, un don, ou une bonne action, pouvait vous exonérer du respect du droit. Comme si l’espoir d’une absolution de vos péchés devant Dieu, pouvait servir de totem d’immunité devant la justice des Hommes.

Sourate Al Baqara - Verset 262 / Coran multilingue sur YabiladiSourate Al Baqara - Verset 262 / Coran multilingue sur Yabiladi

On touche là toute l’hypocrisie de l’individu à la fois politique et homme de foi qui croit à la préeminence de sa morale à celles du reste de la population et au détriment des règles des institutions. Il est convaincu d’être l’élu des Hommes, et l’élu de Dieu, alors qu’il n’est ni plus ni moins, qu’un homme n’ayant pas respecté les droits d’une femme, et qui a fraudé l’Etat, c’est-à-dire nous tous. Ce qui est une faute pour les milliers d’employeurs fraudeurs au Maroc, devient un motif circonstancié pour une révocation du gouvernement. On ne peut être ministre des droits de l’Homme et s’essuyer les pieds sur les principes d’égalité, de justice et de reddition des comptes.

C’est l’écrivain franco-libanais, Amine Maalouf, qui a le mieux décrit cette fuite en avant, dans Les désorientés : «Il y a de plus en plus de gens pour qui la religion remplace la morale. Ils te parlent du licite et de l’illicite, du pur et de l’impur, avec des citations à l’appui. Moi j’aimerais qu’on se préoccupe plutôt de ce qui est honnête, et de ce qui est décent. Parce qu’ils ont une religion, ils se croient dispensés d’avoir une morale.»

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com