Depuis quelques jours déjà, plusieurs cafés et restaurants au Maroc ont rouvert leurs portes après près de deux mois de fermeture due à l’état d’urgence sanitaire. En effet, le ministère de l’Intérieur avait autorisé la reprise d’activité pour les cafés et restaurants au Maroc, dans le respect strict des mesures d’hygiène et de distanciation physique. Une reprise qui ne concerne, pour l’instant, que les livraisons. Si des associations représentatives du secteur se sont opposées à la reprise dans ces conditions, des restaurateurs, hantés par des crédits ou la peur de perdre leurs commerces, ont opté pour l’ouverture coûte que coûte.
Mais près de deux semaines après cette reprise, plusieurs d’entre eux décrivent un avenir incertain en attendant le déconfinement général, ne cachant pas leurs inquiétudes. «Nous misons sur les commandes à emporter, mais l’activité n’est pas au top», nous confie Said ce lundi. Propriétaire du Libro Café Restaurant à Casablanca qui a rouvert il y a quelques jours, il estime que «les gens ont encore peur de la nourriture préparée à l’extérieur de leurs maisons».
Damane Oxygène, la boufée d'oxygène financière qui tarde à venir
Il reconnaît avoir «rencontré des problèmes de trésorerie». Alors qu'il employait 11 personnes, le café-restaurant tourne aujourd'hui avec seulement deux employés qui habitaient dans les environs de Casablanca et ont ainsi répondu à l’appel de l’entreprise pour la reprise.
«Pour notre cas, nous avons démarré en janvier. Avec la pandémie, seuls ces deux employés étaient déclarés à la CNSS tandis que les autres étaient en période d’essai», détaille ce propriétaire de café-restaurant. Mais si ces deux salariés ont eu la chance de bénéficier de 2 000 dirhams d’aide octroyée via la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), «les autres bénéficient normalement des aides depuis le Fonds spécial» pour le secteur informel, complète Said. Et d’ajouter que cet arrêt de l’activité ne semble pas affecter seulement les cafés-restaurants.
«Nos fournisseurs ont aussi redémarré mais il n’y a plus les mêmes facilités pour les commandes. Désormais, il faut payer à la commande pour être approvisionné.»
Interrogé sur l’autorisation d’ouverture, Said dit ne pas en avoir demandé. «L’Etat a indiqué que les cafés et les restaurants peuvent ouvrir en faisant de la livraison. Vu que nous avons arrêté suite à l’annonce du ministère de l’Intérieur, nous avons donc repris avec sa nouvelle annonce», dit-il. Et d’assurer avoir «toutefois signé un engagement pour les mesures de sécurité avec Glovo qui livre [les] commandes aux clients».
Photo d'illustration. / DR
Mais cette préparation à la reprise d’activité a entraîné de grosses dépenses, souligne Said. «De plus, nous avons demandé un crédit Damane Oxygène mais nous n’avons toujours pas reçu de réponse», regrette-t-il.
C’est le cas aussi de Mohcine, gérant du restaurant Wok to Walk à Casablanca, qui a rouvert il y a quelques jours. Sa demande pour le crédit de Damane Oxygène, destiné à financer la trésorerie des petites entreprises impactées par la crise, n’a toujours pas été débloquée.
Crédits, dépenses, fournisseurs… certains en veulent à l’Etat
En attendant, «notre chiffre d’affaires est en baisse de 50% par rapport à il y a quelques mois», regrette-t-il. Et d’expliquer qu'«avec la fermeture à 18h, il est difficile d'atteindre ne serait-ce que le tiers des commandes en temps normal, car généralement les gens préfèrent commander le soir.»
Dans son malheur, Mohcine a eu la chance que la plupart de ses salariés sont basés sur Casablanca. Ainsi, le restaurant a pu redémarrer avec le même effectif. Il considère en outre que la demande d’autorisation auprès des autorités n’a pas été une affaire compliquée. «Nous avons déposé une demande auprès de la circonscription dont nous dépendons, en signant un engagement écrit et en y joignant les coordonnées de nos employés. L’autorisation a été ensuite approuvée par le Caïd», confie-t-il avant d’assurer que le restaurant a dû mettre en place plusieurs mesures.
«C’était obligatoire de mettre en place des mesures sanitaires renforcées avant de reprendre mais avec l’activité actuelle, nous avons l’impression de rouvrir le restaurant juste pour la forme.»
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Hamid, propriétaire d’un restaurant de Sushi à Casablanca, qui emploie dix personnes, est moins chanceux. «L’ouverture a été très difficile, car nous espérions obtenir le crédit Damane Oxygène, mais nous avons obtenu moins de 5% du montant espéré», déplore-t-il.
Or son restaurant fait face, depuis la réouverture, à plusieurs problèmes. «Nos fournisseurs exigent désormais d'être payés à l’avance, donc il faut mobiliser ses propres moyens pour démarrer, alors qu’une partie de nos employés qui habitent hors Casablanca n’ont pas pu reprendre», témoigne-t-il. Hamid dit aussi avoir près de 33 000 dirhams de frais de location, impayés à cause de la fermeture, dont le règlement aurait menacé la reprise d’activité.
«Ce n’était pas facile, car ils demandent d’acheter des tabliers jetables pour chaque ouvrier qui coûte 22 dirhams. Avec les gels, les bavettes et le reste du matériel, ça pèse financièrement, et sans aucune aide de l’Etat.»
Un avenir incertain en attendant le déconfinement
Hamid ajoute aussi qu’une partie seulement de ses employés a bénéficié de l’aide de la CNSS. «Nous avons beau demander à l’Etat de nous aider pour pouvoir déclarer tous nos salariés, mais cela n’a pas été fait. Si nous déclarons tous nos ouvriers, nous risquons sincèrement de fermer», enchaîne-t-il.
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Mais si les restaurants et les cafés reprennent dans la douleur, d’autres commerces affirment ne pas avoir de visibilité et faire face à un avenir incertain. C’est le cas de Sanaa, propriétaire d’un pressing à Casablanca, qui rappelle avoir fermé pour «protéger les clients», car «on avait peu d’information sur le virus».
«Actuellement, je ne sais pas s’il faut une autorisation spéciale pour ouvrir. Les autorités n’ont pas encore communiqué là dessus, alors que nous sommes à deux jours de la fin du confinement», considère-t-elle. «Je n’ai aucune visibilité», regrette-t-elle.
C’est le cas aussi d’Abdelkabir El Amraoui, coiffeur à Casablanca et membre du groupement national des coiffeurs au Maroc, qui dit ne pas avoir pu payer les derniers loyers, à cause de la fermeture. «Nous n'étions pas préparés pour une fermeture de trois mois. Nous avons subi beaucoup de pertes», ajoute-t-il, en appelant à une reprise rapide pour sauver son commerce.