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Interview

Tunisie : Lina Ben Mhenni ou la révolutionnaire prématurée [Interview]

Journaliste tunisienne, blogueuse engagée, cyberdissidente et professeur d’anglais à l’Université de Tunis, Lina Ben Mhenni est un jeune bout de femme de 28 ans qui déborde d’énergie et de militantisme. Celle dont le nom est devenu indissociable de la révolution tunisienne a accordé, à cœur joie, un entretien à Yabiladies. Interview.

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Lina Ben Mhenni ou la révolutionnaire engagée...
Temps de lecture: 3'

Yabiladies : Réalisez-vous que votre blog a directement participé à la vague des révolutions dites du «Printemps arabe» ?

Lina Ben Mhenni : Non, je ne réalise pas cela. J'ai commencé à bloguer en 2007 en luttant pour les droits de l’homme dans mon pays mais aussi et surtout pour dénoncer le régime de Ben Ali. Jusqu’en 2008, peu de personnes s'intéressaient à ce qui se passait réellement en Tunisie. Aujourd’hui, je ne réalise rien de ce qui m'arrive : que ce soit au niveau des prix internationaux ou en ce qui concerne les convocations à participer à des conférences internationales qui me sont destinées. Je dirai même que je m’attendais au pire : aux arrestations et à la torture, si ce n’est que cela.

Aujourd'hui, il est inutile de vous présenter à vos concitoyens. Votre nom est même devenu indissociable de la révolution de votre pays. En tant qu'activiste sociale, que comptez-vous faire pour préserver les acquis de la Révolution du Jasmin?

Etant donné que lors de ce que les uns appellent «Révolution du Jasmin» près de 300 personnes ont trouvé la mort, je préfère lui attribuer le nom de «Révolution de la dignité». de même, je ne parle pas d’ «acquis» au pluriel. Le seul acquis que nous avons récolté jusqu’à présent est celui d’avoir rompu avec la peur au quotidien. Hé oui ! Les Tunisiens n’ont plus peur de l’Etat ! Nous avons vécu des années et des années avec une peur paralysante. La révolution vient véritablement de commencer, et réussir à déchoir un dictateur ne signifie pas que la révolution a été à 100% réussie ou que tout est rentré dans l’ordre. Construire une démocratie reste une étape aussi primordiale que difficile. Conséquemment à cela, en tant qu’activiste, je compte continuer sur ma lancée, à travailler de la même manière que par le passé, à dénoncer les maux de mon pays par les mots mais aussi à agir sur le terrain quand il le faut. Soit en participant à des manifestations, à des actions de contestation ou en me lançant dans le travail social pour aider ceux et celles qui sont dans le besoin.

Les Tunisiens -qu'ils soient islamistes, communistes, ou indépendants- pourront-ils se côtoyer, un jour, sans chocs ni dérapages?

Je ne peux pas anticiper la chose. Malheureusement, le peuple tunisien est divisé maintenant. Certains groupes ont même eu recours à la violence verbale et physique pour museler ceux qui ne sont pas d’accord avec leurs principes. Je me considère, alors, comme une citoyenne du monde et pour moi l'humanité et l’être humain sont les choses les plus importantes dans la vie. Je ne suis pas très regardante sur les idéologies, les croyances ou les couleurs. Ici, dans mon pays, je pense que tous les Tunisiens ont le droit de vivre dignement et librement dans un pays où toutes mouvances sont confondues. Nous devons apprendre à cohabiter dans le respect comme on l'a toujours fait, d'ailleurs. Cela arrivera un jour mais cela ne sera pas pour demain.

Qu'en est-il de votre expérience avec le Prix Nobel 2011?

Une expérience horrible ! Je ne me suis jamais coupée en quatre pour recevoir ou être nominée à ce prix. Et pourtant, j'ai été attaquée de la manière la plus saugrenue par des envieux, comme si c’était moi qui étais allée frapper à la porte du comité pour leur quémander le prix Nobel. J'ai alors vécu une période quelque peu difficile. Je n'arrivais à supporter ni la pression des médias, qui critiquaient ma manière de penser ni celle des jaloux. Je suis très contente parce que je ne l'ai pas eu, sinon j'aurais perdu «Lina», la personne simple que je suis…

A quelques détails près, votre livre "Tunisian Girl" rappelle le livre de Stéphane Hussel "Indignez-vous" et ce, dans ses idées avant-gardistes et militantes. Croyez-vous qu'il aura le feed-back escompté?

Personnellement, je ne vois pas en quoi mon livre rappelle celui de Stéphane Hussel. Nous avons le même éditeur, certes mais le degré de militantisme reste différent. Je reviens sur une expérience du passé, pleine d’indignation et il appelle les gens à s'indigner. Cependant, je respecte beaucoup ce monsieur que j'ai pu rencontrer à plusieurs reprises dans le cadre de débats publics. Il inspirera certainement les générations à venir.

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