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Grand Angle

Rabat : Fatema El Khalif, une rifaine gardienne des pratiques ancestrales de fabrication du pain

Avant le confinement, Fatema El Khalif préparait du pain fait maison dans une petite boutique située à la médina de Rabat, adoptant un ancien procédé qui remonte à plusieurs générations. Aujourd’hui, cette vendeuse de pain originaire d’Al Hoceima est confinée avec sa famille, en attendant la levée de l’urgence sanitaire.

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Fatema El Khalif dans sa boulangerie avant la déclaration de l'urgence sanitaire au Maroc. / Ph. Anna Mitchel
Temps de lecture: 3'

Les mains dans une pâte qui semble spéciale, la sueur éclairant son nez et plissant son front dans un décor constitué de murs brillant d’un bleu clair autour d'elle, Fatema El Khalif porte des pantoufles rose-rose et une robe à rayures violettes, quand nous lui rendons visite quelque jours avant le confinement imposé au Maroc.

A Rabat, nombreux sont celles et ceux s’activant quotidiennement dans leurs boulangeries pour pétrir la pâte et l'enfourner à l'aube. Bruits et odeurs se mélangent ainsi au charme de l’ancienne médina dès les premières lueurs du jour. Mais la pratique de Fatema El Khalif est particulière, car connue pour son «pain fait maison». Une recette traditionnelle à base de farine complète et d'orge au lieu de la farine transformée qui a désormais pignon sur rue. Et elle fait tout, toute seule.

Une pratique unique

«L'autre pain que vous trouvez, vous en mangez toute la journée et il ne vous fera que grossir, car ne contenant pas de nutriments», explique-t-elle à Yabiladi. Elle récupère même une poignée de farine du stock sous sa table de travail pour montrer sa texture et sa qualité. La farine qu'elle utilise ne semble que peu traité, ce qui préserve plus d’avantages pour la santé que les pains contenant des farines et des levures transformées.

Dans un rapport de 2019, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a constaté une augmentation de 22,4% en 2012 à 25,6% en 2016 de la population adulte marocaine souffrant d'obésité. Fatema El Khalif affirme que les aliments transformés -en particulier les aliments de base comme le pain pour les Marocains - contribuent à cette tendance.

Mais bien plus que les avantages pour la santé promis par Fatema, son pain respire la tradition. «Je fais le pain comme je le fais à la maison, comme d'autres le font à la maison», commente-t-elle. Elle fait trois variétés de pain : à base d'orge, de farine complète et du sel et du pain sans sel. En réalité, la plupart des vendeurs ont abandonné l’ancienne méthode de fabrication du pain au profit d'un produit plus léger et plus moelleux. Pourtant, la recette de cette marocaine - écrite nulle part - et la préparation sont restées inchangées.

Née dans les montagnes de la région d’Al Hoceima, cette rifaine aujourd'hui grand-mère, a grandi avec dix frères et sœurs au sein d’une famille aux revenus faibles et aléatoires. «Nous n’avions que peu de nourriture pour plusieurs jours, que nous devions partager entre nous», se rappelle-t-elle. Sans argent, elle n'a pu suivre d'études mais uniquement l'«éducation à la maison».

Une rue de la médina de Rabat. / DRUne rue de la médina de Rabat. / DR

En tant que jeune femme, elle a appris de sa mère et sa grand-mère comment utiliser chaque ingrédient - eau, sel, levure et céréales - pour la fabrication du pain. Elle explique que la fabrication du pain était une tâche attendue pour les femmes et que le savoir-faire se transmettait donc naturellement, de mère en fille.

Une vieille tradition pour un style de vie indépendant

Fatema El Khalif allume le four à gaz avec une minuscule torche de papier de journal. Elle rince la pâte restante de ses doigts et sur ses paumes dans un bassin en plastique, portant les restes d'une étiquette de miel.

A peine la vingtaine, cette Marocaine a divorcé de son mari à El Hoceima puis s'est rendue à Rabat pour y refaire sa vie. Elle y a rencontré son deuxième mari, Mohammed Talbi Alami, un musicien charismatique. C'est lui qui a ouvert le local la première fois, pour s'y réunir avec ses camarades du groupe pour partager de la musique et du thé. Un local qui deviendra boutique avec au-dessus de la tête de Fatema, une photo de lui collée sur le mur bleu.

«Je peux vivre de façon autonome. Je peux tout faire moi-même», a expliqué cette vendeuse de pain, sur son mode de vie facilité par son travail. Elle est l'unique propriétaire, boulangère et résidente de cette petite boutique. La devanture, plus ou moins isolée sur une rue résidentielle de la Medina, n'est fermée que le vendredi. Les affaires sont stables mais «pas tous les jours», déclare cette grand-mère avec son sourire chaleureux, sans jamais montrer de lassitude malgré l'intensité de son travail quotidien.

A l'heure où son pain voit le jour

Les lampadaires se sont déjà éteints depuis longtemps, l'air est frais grâce à l'océan et la lune éclaire encore le ciel alors que les étoiles s'éteignent. La voix d'un homme récitant le Coran crépite à travers une radio sur une étagère d'angle, tandis que Fatema finit de disposer les pains fraîchement cuits sur un tissu blanc imprimé de croquis du phare de Rabat en rouge. À l'aide d'une courte planche de bois, elle glisse les pains crus dans le four, un par un, comme pour assembler des pièces de puzzle. 

Chaque matin, elle cuit son pain, alors que l'obscurité bleue des rues de la Médina est progressivement transpercée par les premiers rayons de soleil. Mais depuis le début de l'état d'urgence sanitaire, la grand mère a préféré fermer boutique et rester confinée avec sa famille. Elle espère ardemment la fin de la pandémie du coronavirus pour reprendre l'activité qui la rend si fière : pétrir le pain à l'ancienne, pour le plus grand bonheur de ses clients. 

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