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Grand Angle

Maroc : La maltraitance des enfants doublement invisibilisée par l’urgence sanitaire

Derrière les portes fermées des ménages en temps d’urgence sanitaire, des enfants peuvent subir différentes formes de violence. Difficilement identifiables en temps normal, celles-ci peuvent s’avérer mortelles pendant le confinement, faute de mécanismes d’intervention dans ce contexte.

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Photo d'illustration / DR.
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Lundi, la ville de Tan-Tan a été endeuillée par le décès d’un enfant de huit ans, qui a succombé aux violences de l’amant de sa mère. En temps de confinement sanitaire pour limiter la propagation de la pandémie du coronavirus, ce drame, et probablement plusieurs autres, est resté quelques jours sous les radars, l’agression remontant au 23 avril. Hospitalisé depuis dimanche, l’enfant a succombé à ses blessures hier à l’hôpital, selon des informations fournies par la Direction générale de sûreté nationale (DGSN).

A Tanger, un autre cas de maltraitance a été révélé ce week-end, après la fuite de vidéos montrant un adolescent en situation de handicap subir les coups et les insultes de sa belle-mère. Malgré les pressions qu’il dit avoir subies pour retirer une nouvelle fois sa plainte, le jeune Hamza est convoqué par le parquet, pour l’instruction de l’affaire.

Cependant, l’urgence sanitaire a contraint davantage le fragile mécanisme de protection à cet effet, rendant quasiment impossible l’intervention en cas de maltraitance des enfants dans les ménages. En temps normal, cette intervention effectuée par les unités dédiées au niveau des préfectures de police se fait sur la base d’un signalement, souvent difficile à entreprendre.

Un confinement qui exclut les cas de maltraitance des priorités

Chargé de projet au sein de l’association INSAF, Omar Saadoun estime que durant l’état d’urgence sanitaire, «les tensions sont palpables particulièrement dans les ménages du milieu urbain et qui ont du mal à subvenir à leurs besoins, ou à faire leur confinement dans de bonnes conditions, au vu de leurs situations précaires».

«Dans les habitations de quelques mètres carrés par exemple, les adolescents ont souvent passé leurs journées à l’extérieur et ne rentrent chez eux que pour dormir ; maintenant que les sorties non-urgentes sont interdites, leur présence permanente est perçue par certains parents comme une forme d’encombrement, ce qui donne lieu à des altercations verbales qui s’accentuent au fur et à mesure, virant parfois à l’accrochage physique», s’inquiète-t-il.

Pour avoir été actif dans l’accompagnement des jeunes en difficultés, Omar Saadoun déplore aussi que le contexte actuel force plusieurs associations à agir prioritairement sur les besoins urgents quotidiens, via la distribution de paniers alimentaires et l’accompagnement sur le plan économique, plutôt que le suivi et l’identification des éventuelles victimes de ces violences.

«Nous devions nous-mêmes formuler des propositions pour travailler conjointement avec la sûreté nationale, au niveau de Casablanca, sur des interventions plus efficaces pour limiter la maltraitance des mineurs dans les ménages, mais l’urgence sanitaire a poussé à suspendre ce processus jusqu’à la fin de la pandémie.»

Omar Saadoun

Militante associative, éducatrice et directrice de l’Institut Tahar Sebti à Casablanca, Souad Ettaoussi estime aussi que «les parents se retrouvant en tête-à-tête avec leurs enfants laisse émerger des tensions, dont ces derniers deviennent victimes, étant le maillon le plus faible». Selon elle, «le risque est plus grand au sein des ménages où les parents considèrent que l’école les ‘libère’ de leurs responsabilités envers les enfants. Maintenant qu’ils se retrouvent face à ces derniers, ils commencent à les découvrir, et ils n’ont pas toujours les bons outils pour gérer ces situations».

Un relais des signalements via le corps pédagogique

Souad Ettaoussi craint que le phénomène s’accentue pendant le confinement, dans un contexte où, généralement, «battre les enfants en pensant mieux les élever est une pratique normalisée». «Ceci empêche déjà d’identifier ces cas comme étant ceux de violences, car beaucoup estiment que ce sont des usages naturels», alerte l’associative.

Pour combler un tant soit peu le vide à ce niveau, en temps de pandémie, l’éducatrice capitalise surtout sur l’accompagnement du corps pédagogique. «A travers les cours à distance donnés en vidéo par nos enseignants, je viens de détecter au moins un cas avéré de maltraitance, photos à l’appui», nous révèle-t-elle. Souad Ettaoussi tente de faire sortir la mère de l’enfant concerné de son silence, elle-même victime du père de famille.

«Au début du confinement, j’ai pris attache avec tous les parents, pour les conscientiser sur le fait que le stress ou l’angoisse ressenti par les adultes pendant le confinement se multiplie chez les enfants, qu’il faut prendre le temps de leur expliquer que cet enfermement n’est pas punitif et que c’est même une occasion pour organiser des activités en commun.»

Souad Ettaoussi

L’associative estime, par ailleurs, qu’«il faut comprendre aussi que les écoliers, surtout les plus jeunes, doivent s’adapter à l’enseignement à distance face auquel certains sont déstabilisés, à cause du changement de cadre d'apprentissage». Elle craint que «la violence dans ces cas-là ne réveille que des attitudes négatives, laissant des traumatismes ou accélérant un échec scolaire».

La violence conjugale, pratiquée devant les enfants pendant le confinement, est également pointée du doigt. «Elle risque de laisser un impact psychologique important mais sans traces physiques, car les enfants sont très sensibles aux attitudes de leurs parents l’un envers l’autre, mais verbalisent difficilement leur ressenti», alerte encore l’associative.

Face à cette situation, Souad Ettaoussi réitère une recommandation formulée par le passé. Elle préconise «que les assistantes sociales soient mobilisées sur le terrain auprès des communes, avec des affectations par secteurs de quartiers et un droit de vérification dans les ménages, à l’image de nos moqaddems, afin d’agir dans une démarche de proximité et d’efficacité».

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