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Grand Angle

Maroc : Plusieurs associatifs pointent la logique liberticide du projet de loi n°22.20

Le projet de loi n°22.20 est un «coup» porté à la liberté d’opinion et d’expression sur les réseaux sociaux. Plusieurs associatifs critiquent le manque de transparence du gouvernement autour d'un texte qui s’annonce dangereux et liberticide.

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Le ministre de la Justice Mohamed Ben Abdelkader. / DR
Temps de lecture: 4'

Après que des passages du texte aient fuité sur les réseaux sociaux, le controversé projet de loi 22.20 relatif aux réseaux sociaux revient au cœur du débat au Maroc. Ainsi, après les tentatives des proches du gouvernement d’éteindre l’incendie, le ministre de la Justice s’est lui-même exprimé sur le sujet dès ce mardi.

«Bien que le gouvernement ait approuvé le projet de loi le 19 mars, il n'a pas encore été soumis au Parlement», a assuré Mohamed Ben Abdelkader dans une déclaration relayée par des députés de son parti. Il a expliqué qu’il s’agit d’une «procédure pour les projets qui ne font pas l'unanimité au sein du gouvernement et sont adoptés avec réserve». «Il n'y a pas de version finale du projet, et lorsque cela sera fait, elle sera soumise au Parlement par le chef du gouvernement», tranche-t-il.

Mais Mohamed Ben Abdelkader n’évoque pas la commission technique devant se pencher sur ce projet pour la finaliser, et ne donne pas, non plus, de détails pour la publication du texte final et sa soumission au Parlement.

Il semble que l’exécutif se tiendra seul face à la colère populaire, alors que plusieurs instances constitutionnelles n’ont pas été saisies au préalable sur ce texte. En effet, la présidente du Conseil national des droits de l'Homme, Amina Bouayach assure à Yabiladi que «le gouvernement n'a pas consulté le CNDH avant de présenter le projet de loi 22.20 en conseil de gouvernement». Et d’informer que le conseil compte présenter un «mémorandum dans ce sens».

Même son de cloche du côté du Conseil national de la presse. Son président, Younes Mouhajid, déclare ce mardi avoir fait un communiqué de presse dans ce sens. «Le gouvernement ne nous a toujours pas consultés par rapport à ce projet de loi», tranche-t-il.

Un «code pénal des réseaux sociaux»

La mobilisation du gouvernement pour calmer des internautes en colère n’a finalement pas eu l’effet escompté. Ainsi, plusieurs personnalités, défenseurs des droits humains ou journalistes, se sont saisi de cette question. Ainsi, le politologue Omar Cherkaoui a qualifié, sur sa page Facebook, de «troublante» la version du projet de loi ayant fuité dans la presse.

«Nous ne sommes pas devant une loi pour réglementer les réseaux sociaux mais plutôt devant un code pénal des réseaux sociaux. Nous sommes devant une criminalisation avec des épices légales qui parlent du respect de la Constitution. Le projet est un vrai massacre des droits humains.»

Omar Cherkaoui

Pour le professeur universitaire, le texte «comprend 25 articles, dont 22 composés de sanctions administratives, peines d'emprisonnement et amendes financières». Omar Cherkaoui a également mis en place une pétition visant à s’opposer à ce projet de loi. Elle réunit, pour l’instant, plus de 3 400 signataires.

De son côté, Sami El Moudni, président du Forum marocain des jeunes journalistes (FMJJ) a évoqué un «sérieux coup porté aux droits humains» et un «achèvement de la liberté d’expression et d’opinion». «Comment peut-on sinon expliquer des textes de loi visant à nous empêcher d’exprimer notre opinion sur des sociétés ou des entreprises économiques ? Sommes-nous devant un gouvernement politiques composé de six partis ou un lobby défendant les intérêts des cartels ?», s’est-il interrogé. Et de pointer du doigt le fait que le texte n’a pas été publié sur le site du Secrétariat général du gouvernement, au grand dam de la Loi n°31.13 relative au droit d’accès à l'information.

Un texte «dangereux» et «liberticide»

Contactée par Yabiladi ce mardi, Khadija Ryadi, membre du bureau de l’AMDH dénonce une «tentative de légaliser les violations des droits humains et de leur donner une couverture juridique». «Nous vivons une attaque majeure contre la liberté d'expression dans le domaine numérique», ajoute-t-elle. Elle dénonce aussi un texte «entourée de secret», tandis que ses auteurs ont «intentionnellement violé les règles juridiques et constitutionnelles par lesquelles les projets de loi doivent passer».

«Ce texte est très dangereux car il concerne un espace essentiel de liberté et de démocratie. De plus, il a été mise en place dans ces circonstances difficile : une urgence sanitaire où les libertés sont contractées et presque inexistantes.»

Khadija Ryadi

Pour la militante associative, «il s'agit d'une tentative de commettre un crime contre les libertés et les acquis du peuple marocain». «Le domaine numérique est l'espace qui jouit encore d'une sorte de liberté, même si ces derniers mois, une attaque systématique a été lancée contre ses utilisateurs», rappelle-t-elle encore.

De son côté Driss Sedraoui, président de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’Homme regrette un texte «liberticide, qui restreint la liberté d'opinion et d'expression, et constitue une violation des obligations du Maroc au niveau international». «S'il était adopté tel quel, il aura de graves répercussions sur la paix sociale et l'image du Maroc auprès de la communauté internationale, car il consacrerait l'image d'une dictature répressive de toutes les voix, même sur les réseaux sociaux», ajoute-t-il.

Et d’affirmer être «en faveur d’un texte qui protège la vie privée des personnes et contre la diffamation», sans pour autant que «la liberté d'expression soit restreinte pour le fait de critiquer certaines entreprises ou certaines pratiques ou pour exprimer des formes de protestation comme le boycott».

Rappelant que «les associations professionnelles et juridiques et les associations de journalistes doivent être consultés s’agissant des projets de loi autour de la liberté d'opinion et d'expression», l’associatif considère que le Maroc actuellement «n’est pas dans une situation qui permet un débat sociétal sur une telle loi».

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