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Grand Angle

Fikra #50 : Français bloqués au Maroc, ou «la réversibilité de l’ordre migratoire» en temps du coronavirus

La pandémie du nouveau coronavirus et les mesures mises en place pour l’endiguer sont une occasion pour observer une «réversibilité de l’ordre migratoire international», lorsqu’il s’agit d’Européens bloqués en Afrique. Ainsi, la chercheuse Cléo Marmié se focalise, dans son analyse, sur les phénomènes sociaux observés avec les Français bloqués dans le royaume.

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Des touristes bloqués dans un aéroport du royaume. / DR
Temps de lecture: 3'

La pandémie du coronavirus n’engendre pas qu’une crise économique et sociale mais provoque surtout une «réversibilité de l’ordre migratoire», écrit cette semaine Cléo Marmié, doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Maurice-Halbwachs). 

Dans une analyse intitulée «Français bloqués au Maroc : une lumière crue sur l’ordre migratoire international», publié dans la revue Carnet de l'EHESS, la chercheuse rappelle d’abord comment le royaume est considéré comme «terrain privilégié de l’analyse des effets de l’externalisation du contrôle migratoire européen sur le continent africain» avant d’aborder son sujet.

Un point qui se confirmera le 13 mars dernier, lorsque «la perméabilité sélective des frontières est brutalement reconfigurée», avec la décision du Maroc de fermer ses frontières terrestres, maritimes et aériennes avec plusieurs pays, dont la France. Ainsi, «des milliers de ressortissants français, touristes, expatriés, marocains résidant en France, se trouvent bloqués par surprise. Et viennent, de manière inédite, grossir les rangs déjà denses des personnes à la mobilité entravée, assignées au Maroc contre leur gré», poursuit la chercheuse.

Pour elle, «la pandémie a révélé des enjeux de mobilité internationale au Maroc et des inégalités qu’elle cristallise». Elle cite, à cet égard, plusieurs exemples sur les réseaux sociaux. «Des milliers de Français découvrent, hébétés, la réversibilité de la situation migratoire et l’évanouissement temporaire de leurs privilèges de circulation», adonde-t-elle.

Cléo Marmié souligne notamment «un corpus discursif inédit» qui s’articule autour d’une rhétorique de la frontière, de l’injustice migratoire et de la discrimination, soudainement mobilisée par des personnes qui détiennent pourtant les privilèges de ce monde». Elle rappelle, à cet égard, que les Français détiennent notamment l’un des passeports les plus puissants, autorisant l’entrée, sans formalité ou avec un simple visa à l’arrivée, dans 164 pays. Mais, le Covid-19 a ainsi «matérialisé, dans un nouveau contexte de «crise», une mobilité empêchée pour les élites de la circulation transnationale».

Quand les terminologies migratoires sont empruntées par les Européens

Un «renversement inédit» puisque «le répertoire conceptuel des sciences sociales qui était jusque-là majoritairement mobilisé pour saisir l’expérience de l’exil se voit déplacé vers des groupes sociaux et nationaux inattendus», souligne-t-elle encore. La chercheuse cite notamment les voyageurs français bloqués au Maroc qui appelaient les Marocains «à la solidarité, à l’hospitalité et à l’hébergement citoyen», soit des «terminologies habituellement mobilisées dans des sociétés dites d’accueil pour analyser l’aide aux personnes exilées».  

Son analyse aborde aussi des images «pourtant tout à fait anodines pour celui qui a déjà assisté à des sensibilisations dans des camps de réfugiés» ou encore des «escrocs qui demandent des virements en indiquant faciliter le rapatriement» qu’on peut considérer comme «nouvel avatar du passeur», «figure-repoussoir des migrations internationales dans l’imaginaire occidental».

«Si c’est par l’extraordinaire et l’exceptionnalité que les personnes ainsi bloquées au Maroc définissent leur situation, elle n’a pourtant rien d’extraordinaire ni d’exceptionnel pour celles et ceux qui expérimentent quotidiennement les effets de la fermeture des frontières vers l’Europe», rappelle la chercheuse. Et de noter que «l’exceptionnalité réside peut-être plutôt dans la réponse diplomatique de la France, qui, participant à l’ordre migratoire répressif marocain lorsqu’il s’exerce sur des corps perçus indésirables, héroïse, dans une continuité néocoloniale, le secours qu’elle porte à ses ressortissants bloqués».

«Si la crise du Covid-19 a ainsi laissé apercevoir la réversibilité de l’ordre migratoire international, elle en a surtout souligné les inégalités intrinsèques, la différenciation de la valeur des vies et l’émotion sélective face à l’intolérable», conclut Cléo Marmié.

La revue

Carnet de l'EHESS est une revue mise en ligne par l’École des hautes études en sciences sociale, depuis le 25 mars dernier pour offrir une lecture sociologique à la pandémie du nouveau coronavirus.

L’EHESS est considérée comme l’un des principaux pôles de sciences humaines et sociales en France. La recherche y est conduite par plus de 800 chercheurs, au sein de 40 unités et centres de recherche, en partenariat notamment avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

L'auteur

Doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Centre Maurice-Halbwachs), Cléo Marmié prépare une thèse de sociologie sur la protection de l'enfance à l'épreuve des migrations internationales.

Ses champs de recherche en sciences sociales varient entre la protection de l’enfance, les migrations internationales et politiques migratoires européennes, l’action sociale et humanitaire ainsi que les mineurs non accompagnés, avec la France, l’Espagne et le Maroc comme terrains de recherche.

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