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Interview

Coronavirus : Les musulmans d’Italie à la recherche de carrés où inhumer leurs morts

En Italie, troisième pays le plus durement touché par la pandémie mondiale du coronavirus, la multiplication de décès a remis en avant la question de la gestion funéraire pour les musulmans. Président du Forum pour la migration et résidant en Italie, Amine Bouchaib revient sur cette situation, notamment au sein de la communauté marocaine installée dans le pays. INTERVIEW.

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Photo d'illustration / DR.
Temps de lecture: 3'

Quelle est la situation des inhumations des morts de confession musulmane en Italie, notamment les Marocains, avec l'impossibilité de rapatrier les dépouilles ?

La multiplication des morts dans le contexte du coronavirus et l’impossibilité de rapatrier les dépouilles vers les pays d’origine, notamment le Maroc, a engendré une situation problématique. Certaines communes avaient prévu, depuis au moins 2015, de mettre en place des carrés musulmans dans leurs cimetières, ce qui n’a pas été fait. Comme la question n’était pas aussi saillante qu’aujourd’hui, vis-à-vis d’autres projets d’ordre social ou économique, elle est peu à peu passée en second plan. De plus, les villes ne recevaient pas beaucoup de demandes d’enterrement musulman. Nombre de Marocains se tiennent aux dernières volontés de leurs morts, qui demandent à ce que leurs dépouilles soient rapatriées.

Face à cette impossibilité aujourd’hui, il y a eu besoin de recourir à ces carrés et c’est ainsi que des acteurs publics ont réalisé que ces projets n’avaient pas vu le jour, comme le cas à l’Aquila. Mais dans d’autres régions comme à Naples, la Campagne, la Lombardie et Vénétie, la saturation des morgues et des cimetières n’a pas empêché les mairies de répondre aux appels des associations musulmanes. Certaines ont acheté des terrains pour ouvrir des carrés musulmans. D’autres communes ont mis en place plutôt des carrés confessionnels, qui sont donc dédiés à toutes les funérailles rituelles, en dehors des chrétiennes.

Toujours est-il que la plus grande faille révélée par l’urgence sanitaire à propos de la question reste, à mon avis, la gestion de l’exécutif marocain et son traitement vis-à-vis de ses MRE décédés, MRE bloqués au Maroc ou Marocains bloqués à l’étranger.

Comment évaluez-vous le traitement des représentations marocaines concernées par la question ?

Je dirais que par la solidarité de la société civile, nous essayons tant bien que mal d’assurer à nos morts des funérailles dignes et dans des délais raisonnables. Les autorités locales italiennes font aussi ce qu’elles peuvent, dans un contexte de pandémie où toutes les inhumations deviennent urgentes. Mais dans l’absolu, ce n’est pas le rôle des citoyens, et les communes doivent avoir l'appui des consulats et des ambassades, qui peuvent accélérer les choses par une prise de décision politique pour l’acquisition de terrains dédiés. Le ministère des Habbous a pu acquérir des espaces pour l’aménagement de mosquées en Italie, je ne vois pas ce qui l’empêche d’intervenir pour honorer la dignité de nos morts.

Les moyens humains et matériels sont disponibles, et pour une initiative dans ce sens et pour rapatrier les morts conformément à leurs volontés. A défaut, nous ne faisons que consommer des lois et des décisions prises unilatéralement par le gouvernement marocain, qui n’est pas encore dans une approche participative à ce niveau. La situation nécessitait au moins une concertation urgente et élargie, quitte à l’organiser par visioconférence vu les circonstances, afin de prendre les avis des uns et des autres et sortir avec des mesures plus fortes, car prises dans le consensus.

Vous avez suivi la dernière intervention du ministère des Affaires étrangères à travers son département en charge des MRE à ce sujet. Que vous inspire son contenu ?

Autant les efforts du gouvernement marocain dans la gestion de la crise sanitaire sur le plan national ont été salués même à l’étranger, autant nous le sentons peu convaincant à propos des Marocains du monde.

Après la circulaire du 3 avril sur la prise en charge des morts MRE dans les pays d’accueil, nous attendions un discours politique fort. Nous avons eu droit à des arguments d’affect, en nous recommandant de nous armer de patience. Des inhumations sur place, puis un rapatriement dès la levée de l’urgence sanitaire comme le propose le ministère, ne font que multiplier les souffrances des familles. Sans parler de la proposition de funérailles dans les pays où les Marocains en séjour temporaire sont bloqués, en cas de décès.

En tant que MRE, nous sommes prêts à cotiser pour le retour de ces compatriotes sains et saufs, si l’Etat accepte de les héberger dans les hôtels pour leur confinement préventif, en assurant une rotation des équipes médicales, pour ne pas soustraire aux hôpitaux publics leurs moyens humains.

Le retour des binationaux marocains dans leurs pays de résidence ne demande, par ailleurs, aucun budget, seulement un aval pour laisser ces gens retrouver leurs enfants, leurs emplois ou leurs médecins traitants, si cela peut alléger en partie les tensions.

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