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Grand Angle

Covid-19 : Pour une solidarité des médecins public/privé au Maroc

Suite à nos deux testings qui ont suscité un vif débat au sein du corps médical, une cardiologue nous a invité à assister à l'activité d'une clinique à Rabat en période de crise sanitaire. Invitation acceptée.

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Deux médecins réalisant une coronarographie / Photo d’illustration - DR
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Nos deux testing sur la médecine privée (cabinets et cliniques) ont provoqué un vif débat au sein du corps médical. Des réactions contrastées sont venues raviver la plaie à la fois chez les citoyens ayant eu de mauvaises expériences avec le corps médical, et les médecins libéraux qui payent collectivement les écarts de conduite d’individus en blouse blanche. Incompréhensible est le déni chez beaucoup de médecins d’admettre, qu’à l’image de nombreuses professions au Maroc (les journalistes ne font pas exception), la leur est infestée de requins du stéthoscope.

Cet impossible dialogue entre praticiens et population s’est trouvé aggravé par deux communiqués du Conseil de l’ordre des médecins du Maroc. Le premier actait notre constat sur les cabinets médicaux fermés en pleine crise sanitaire ; une faute professionnelle pour le président du CNOM, qui a menacé de sanctions. Ce qui a eu pour effet d’alimenter encore plus la colère de certains médecins. Le second communiqué du CNOM a cette fois provoqué l’ire de nombreux Marocains, puisqu’il réclamait au gouvernement un soutien financier à la profession à partir du fonds d’urgence pour le coronavirus. Face au tollé, plusieurs associations de médecins libéraux et cliniques privées ont dû réagir publiquement pour réfuter toute demande d’aide de leur part. Le CNOM aurait donc fait cavalier seul ?

Photo d’illustration / DRPhoto d’illustration / DR

Loin de redresser l’image du corps médical privé, cette cacophonie enfonce une profession ankylosée par des années de refus de toute critique. Zouhair Chorfi en sait quelque chose, après le «shitstorm» qui a suivi sa sortie lors des Assises de la fiscalité en mai 2019. Nos testings ont subit peu ou prou la même réaction de rejet. Dénigrement, insultes, et menaces se sont succédés depuis une semaine. Pourtant, nous n’avions fait qu'évaluer si les menaces de fermetures émises deux semaines avant avaient été suivies d’effet. Les prendre au mot et braquer les projecteurs sur un comportement qui va à l’encontre de la santé publique en période d’épidémie n’a pas été du goût de certains. De même, la réponse sans ambages de certaines cliniques refusant d’accueillir des cas d’urgence constitue un fait qui aurait dû immédiatement déclencher une condamnation de l’association représentant les cliniques privées, l’ordre des médecins et le ministère de la Santé. Inutile de vous dire qu’aucun des trois ne nous a contactés pour vérifier les comportements graves révélés par notre testing.

Pression sur les médecins

Si les fermetures injustifiées de cabinets médicaux et les refus de recevoir des cas urgents chez certaines cliniques est un pavé supplémentaire envoyé aux hôpitaux publics déjà surchargés, ce comportement nuit doublement aux médecins et aux cliniques du privé qui continuent à jouer leur rôle essentiel. Ces derniers continuent de gérer les urgences, doivent encaisser les critiques d’une population qui se sent abandonnée, et tout cela dans un contexte financier délicat.

C’est le cas de cette néphrologue qui gère un centre de dialyse dans la capitale. Tous ses patients étant des cas d’urgence qui ne peuvent reporter leurs séances, elle s’est vue dans l’obligation de réorganiser l’accueil des patients afin de limiter l’attente et les contacts. Une réorganisation qui a eu pour conséquence de rallonger les journées de travail pour la vingtaine de salariés. La fatigue accumulée se lit sur ses yeux, de même que cette crainte de ne pas pouvoir suivre financièrement : «Nos charges ont considérablement augmenté avec les équipements de protections et les paiements des mutuelles ne sont toujours pas débloqués.»

Appareil de dialyse / Photo d’illustration - DRAppareil de dialyse / Photo d’illustration - DR

Dans une clinique de la capitale que nous avons visitée suite à l’invitation d’une cardiologue, les précautions sanitaires sont omniprésentes. A l’entrée, un agent de sécurité filtre les patients pour laisser passer les urgences uniquement. Le personnel est présent à l’accueil, les médecins et infirmières se croisent sans s’arrêter. La cardiologue nous emmènent directement au service de cathétérisme pour assister à une coronographie d’un patient qui se plaignait de douleurs thoraciques. Sa collègue cardiologue craint qu’une artère soit bouchée. Bonne nouvelle, l’examen s’avèrera négatif. L’homme pourra quitter la clinique dans la journée. «Nous essayons de réduire au maximum le séjour de nos patients pour réduire au maximum les risques en cette période d’épidémie», nous explique-t-elle. «Je ne comprends pas la polémique autour des médecins. Nous restons au front malgré les risques d’infection en milieu hospitalier», ajoute-t-elle en nous montrant un listing de consultations effectuées ces derniers jours.

Solidarité privé/public

Sa collègue oncologue sort d’une mastectomie (ablation du sein) d’une patiente atteinte d’un cancer du sein. «Elle est venue de Kénitra. C’était une opération programmée et ce sont des cas qu’on ne peut pas reporter», nous précise-t-elle. Un passage dans le service où sont réalisés les chimiothérapies, il y a également du monde. Les rendez-vous des patients ont été espacés et les chaises du couloir ont été retirées pour qu’il y ait le minimum de promiscuité avec leurs accompagnants.

Les masques FFP2 sont devenus une denrée rare en cette période d'épidémie. / Photo d’illustration - DRLes masques FFP2 sont devenus une denrée rare en cette période d'épidémie. / Photo d’illustration - DR

Le téléphone portable de notre hôte cardiologue ne cesse de sonner, mais pas pour des urgences médicales. Elle a mobilisé son réseau d’amis pour des dons afin d’acheter des équipements de protections (bavettes chirurgicales, masques FFP2, charlottes, blouses...) pour le personnel médical d’un hôpital publique. Le médecin venu récupérer ces dons précieux en ces temps de pénurie insistera pour que les médias témoignent de cette solidarité public/privé en cette période difficile. Cette solidarité ne se limite pas à ce don, puisque la clinique s’est proposée pour accueillir les cas urgents de patients bénéficiant du RAMED afin de décharger les hôpitaux publics.

Tout ce descriptif des actions au quotidien de ces femmes devait entrer dans le cadre d’un article reportage. Mais ni la clinique, ni les médecins rencontrés n’ont souhaité être nommément cité. Un travail dans l’ombre que nous avons estimé crucial de relater ici, pour servir d’exemple. En cette période de crise sanitaire, tous les médecins en capacité d’exercer devraient être en première ligne comme ces femmes courages. La solidarité nationale n’est pas seulement ce fonds qui attise la convoitise de professions en difficultés. Elle est l’affaire de tout un chacun. C’est un ainsi que nous faisons nation.

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