Un pied dedans, un pied dehors. Les militants associatifs marocains en France n’ont jamais été bien loin de leurs camarades restés au Maroc. Le premier combat à avoir mobilisé les deux rives de la Méditerranée a d’abord été celui de l’indépendance, avec des figures emblématiques telles que Mehdi Ben Barka et Abderrahim Bouabid qui ont fédéré autour d’elles toute une génération de militants anticolonialistes. «La lutte des Marocains en France a toujours été indissociable de l’ensemble des luttes du peuple marocain», illustre Mustapha Merizak, enseignant-chercheur à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’université Moulay Ismaïl à Meknès.
L’homme connaît bien les origines, les enjeux et les problématiques des mouvements politico-associatifs des immigrés marocains en France : il est un ancien cadre de l’Association des travailleurs marocains en France (ATMF) et auteur d’une étude sur les «origines et [les] évolutions des luttes de l’immigration marocaine en France». Une fois l’indépendance arrachée, les Marocains de France se sont mobilisés autour de revendications politiques, tout en cherchant à gagner la confiance de la diaspora pour s’y assurer des ramifications et ainsi faire entendre leur voix, notamment chez les étudiants, dans l’espoir, stratégique, de former l’élite de demain.
Les immigrés marocains ont aussi fait corps avec les luttes françaises : «Le mouvement des Marocains en France a adhéré à la mobilisation de Mai 68 au nom de la lutte des classes. Ils se sont inscrits dans ce changement, dans cette lutte, avec un sentiment d’appartenance au contexte politique, idéologique, économique et culturel de l’époque», explique Mustapha Merizak. Ils sont aussi très proches des mouvements syndicaux français, n’hésitant pas à se classer parfois très à gauche sur l’échiquier politique. «A bas le racisme. Les travailleurs immigrés et français forment une seule classe ouvrière», dira le Parti communiste.
«Le goût de la gauche»
«Tous les mouvements associatifs marocains en France digne de ce nom ont toujours été porteurs des valeurs de gauche, voire de gauche radicale, luttant pour leurs droits aussi bien dans le pays d’accueil, la France, qu’au Maroc. L’héritage des étudiants marocains en France, des associations, du mouvement nationaliste, a pu faire son œuvre pour donner aux immigrés le goût de la gauche», souligne-t-il. «C’est de la confrontation des militants de l’UNFP et des étudiants progressistes marocains avec la réalité de l’immigration ouvrière marocaine que naît l’Association des marocains en France (AMF), créée en 1960 rue Serpente à Paris», indique Mustapha Merizak dans son étude.
Mais voilà, avec le déclenchement de la guerre du Sahara en 1975 éclatent également des dissensions au sein de l’AMF, qui se scinde en deux camps : «L’AMF-Bureau national et l’AMF-Coordination des sections, la question principale étant celle de la reconnaissance de la ''marocanité'' du Sahara ou, à l’inverse, l’acceptation ou non de l’autodétermination du peuple sahraoui». «Après plusieurs mois de débat au sein des différentes sections de l’AMF-Coordination des sections (de décembre 1975, date du 9e congrès, au 1er mai 1976), les délégués des sections se sont réunis en ''conseil général de militants'' pour trancher le conflit sur la question du Sahara (qui durait depuis 1975) et le conflit sur la démocratie et l’autonomie de l’association au sein de l’AMF (qui durait depuis 1973)», apprend-t-on dans les travaux de Mustapha Merizak.
Il faudra attendre l’abrogation, par le gouvernement français, du décret-loi du 12 avril 1939 sur la constitution des associations étrangères, et la loi du 9 octobre 1981 (depuis cette loi, la direction d’une association par des étrangers n’est plus soumise à l’autorisation préalable du ministère de l’Intérieur, ni à des conditions de séjour en France), pour que la crise interne à l’AMF prenne fin. Désormais, les associations étrangères entrent dans le droit commun des associations régies par la loi de 1901.
Près d’un siècle plus tard, autres méthodes mais mêmes objectifs
Après les années 80-90, les associations sont sur d’autres fronts pour lier la lutte sociale et syndicale en France avec la lutte pour un développement durable au Maroc. «Des associatifs marocains résidant en France ont à leur tour impulsé la création d’associations dans leur région d’origine. Ils sont allés sur place pour bâtir des projets de développement durable – installer l’eau potable, aider à la scolarisation des plus jeunes, lutter contre la pauvreté. Ça a été un va-et-vient entre les associations en France et celles créées au Maroc», raconte Mustapha Merizak.
A l’image de leurs aînés, les Marocains d’aujourd’hui tissent beaucoup de liens avec le tissu associatif de leur pays d’origine. «Leur lutte a pris d’autres formes mais n’a pas pour autant disparu de la scène politique, culturelle et sociale. Leur militantisme a changé de méthode et d’objectif, mais il s’inscrit dans la lutte collective contre la discrimination, pour l’égalité des chances, pour l’accès au pouvoir politique, pour le droit de vote aussi bien aux élections marocaines qu’aux municipales en France, par exemple.» Preuve que le combat n’est pas terminé : depuis 30 ans le Parti socialiste promet le droit de vote à tous les étrangers en France, et pas seulement à ceux issus de l’Union européenne, en vigueur depuis 1992.