A la fin du XVIIIe siècle, alors que les fondements de l’Ancien régime commencent à vaciller, quelques juifs s’essaient à une réflexion sur leur religion. Le premier à s’atteler à cette entreprise épineuse fut Joseph Hayyim Sumbal (1762-1804), un Marocain de confession juive qui, en 1788, fit la promotion d’une «nouvelle religion mondiale de vertu et de tolérance» à Copenhague, au Danemark, indique l’historien Todd Endelman, professeur d’histoire à l’université du Michigan, spécialiste notamment de l’histoire sociale des juifs d’Europe occidentale, dans son livre intitulé «Leaving the Jewish Fold : Conversion and Radical Assimilation in Modern Jewish History Hardcover» (Ed. Princeton University Press, 2015).
Joseph Hayyim Sumbal était le fils d’un riche marchand marocain, Samuel Sumbal. La mort de ce dernier donna lieu à de vives querelles entre ses fils, qui se disputèrent l’héritage des domaines de leur défunt père, et se rendirent jusqu’en Europe pour tenter de trouver une issue à la répartition de cet héritage paternel. C’est donc en Europe, plus précisément au Danemark, à Copenhague, que Joseph Hayyim Sumbal écrivit un pamphlet en français et en danois dans lequel il fit part de son intention de fonder une nouvelle religion. Le 11 juin 1788, dans le quartier de Frederiksber de la capitale danoise, il organisa une rencontre pour répondre à d’éventuelles questions – qui furent en réalité nombreuses – sur le projet religieux qu’il nourrissait.
C’est vêtu d’un costume traditionnel turc que Joseph Hayyim Sumbal, turban noué autour de la tête, arriva dans l’après-midi de ce 11 juin en compagnie de soldats et de serviteurs. Il se heurta à une foule indisciplinée et, pour s’en protéger, se plaça derrière une palissade d’où il put prononcer ses premiers prêches. «Il déclara qu’il n’était ni chrétien, ni juif, ni turc, ni païen, mais plutôt un fidèle vertueux qui menait autrefois une vie de débauche, mais qui était désormais un homme rangé et abstinent», écrit l’historien Todd Endelman.
Un mariage en prison
Mitraillé de questions par la foule, qui voulait savoir qui était réellement cet homme qui ne se réclamait d’aucune religion – du moins d’aucune que connaissait cette foule –, Joseph Hayyim Sumbal se trouva dans l’impossibilité de poursuivre ses prêches. Il s’éclipsa en douce et ne fit plus jamais la promotion de cette curieuse foi. En 1794, il mit le cap pour le Royaume-Uni, à Londres, où il officia en tant qu’ambassadeur du Maroc auprès de la cour britannique. Sous l’impulsion de l’un de ses frères, et parce qu’il était endetté, il fut emprisonné à la prison de Fleet, une ville située à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Londres. Un autre motif d’emprisonnement avancé fut qu’il aurait refusé de se soumettre à un interrogatoire sur son importante possession de diamants.
Le Raquet Ground de la prison de la Fleet vers 1808. | DR
Trois ans plus tard, en 1797, Joseph Hayyim Sumbal épousa la comédienne britannique Mary Wells, qu’il avait rencontrée alors qu’il était encore en prison. Quelques années après la mort de son époux, celle-ci coucha sur papier, en 1811, dans son autobiographie, les détails de leur rencontre.
«J’étais dans la prison à cette époque. Il y entra avec tout le faste et la splendeur des monarques de l’Est, accompagné de plusieurs servants maures», lit-on dans l’ouvrage de Daniel J. Schroeter, professeur et titulaire de la Chaire commémorative Amos S. Deinard en histoire juive, au Département d’histoire de l’université du Minnesota, intitulé «The Sultan’s Jew : Morocco and the Sephardi World» (Ed. Stanford University Press, 2012). Connue pour son excentricité, Mary Wells accepta la proposition de mariage, se convertit au judaïsme et fut rebaptisée «Leah».
La comédienne britannique Mary Wells. | DR
Un mariage en grande pompe
The Morning Post and Gazeteer fournit lui aussi quelques détails sur leur mariage :
«Jeudi dernier, la cérémonie de mariage, dans un style juif, se déroula à la prison de Fleet, unissant Mme. Mary Wells, comédienne dans au théâtre de Covent Garden, et M. Sumbel, un juif morisque détenu en raison de ses dettes. La cérémonie fut célébrée avec toute la magnificence juive. Le mari était richement vêtu de satin blanc avec un splendide turban muni d’une plume blanche ; la mariée, désormais juive, était, elle aussi, vêtue de satin blanc (…) avec des plumes blanches.»
Deux semaines après leur union, Joseph Hayyim Sumbal sortit de prison grâce à un compromis avec son frère. «Après sa libération, écrit Mary Wells, il prit une maison sur Orchard Street, place Portman Square, pour être à proximité de l’ambassadeur de Turquie, dont il était proche.» Mais le mariage ne dura pas : «La malheureuse Mme Sumbal se retrouva avec des dettes importantes et fut poursuivie par les créanciers après que son ancien mari eut quitté le pays», écrit Daniel J. Schroeter. En 1798, le divorce fut officiellement prononcé.
Joseph Hayyim Sumbal retourna au Danemark quelques années plus tard, à Altona, à l’époque l’une des villes portuaires les plus importantes du royaume danois. Il y fit même construire une rue entière à ses frais. Il mourut dans cette même ville en 1804.