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Grand Angle

Quatre salles de cinéma et théâtres fermés, histoires d’un déclin

Face à un secteur en mutation et des Marocains qui boudent ces salles obscures, plusieurs cinémas et théâtres au Maroc ont été contraints de mettre la clé sous la porte. Zoom sur quatre théâtres et cinémas mythiques, fermés ou détruits au Maroc.

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Le Ciné-Palace Théâtre de Marrakech, partiellement détruit en octobre 2018. / DR
Contrairement aux autres édifices, El Gran Teatro Cervantes sera finalement restauré par le Maroc. / DR

La baisse des nombres de cinéphiles au Maroc, causée par plusieurs mutations et développements technologiques, a mis fin à plusieurs salles de cinémas. Si certaines jeunes salles n’ont pas survécu à cette phases, d’autres luttent toujours pour continuer d’exister.

Mais le Maroc a déjà perdu plusieurs salles de cinémas et théâtres presque centenaires datant de l’époque coloniale. Si plusieurs d’entre eux sont, depuis, des bâtiments en ruine, d’autres avaient cédé à coup de bulldozers et d’engins.

Ciné-Palace Théâtre de Marrakech, 40 ans de cinémas remplacés par un hôtel

Résister pendant plus de trente ans avant de succomber à la folie de construction d'hôtels à Marrakech. Tel est le résumé de l'histoire du légendaire Ciné-Palace Théâtre de Marrakech, situé sis boulevard Moulay Rachid à Guéliz.

Construit, dans les années 1926, par l'architecte Serge Escharavil alors que le pays est sous le protectorat français, le complexe était l’idée d’un certain «Monsieur Friggeri» qui rêvait de mettre en place un cinéma dans le style art-déco, comme l'Eden des frères Lumière, rapporte Made-in-Marrakech. A l'époque de son ouverture, Ciné-Palace Théâtre était alors «le premier lieu pluriculturel du royaume».

A l'origine, le complexe comptait deux salles couvertes, dont le Cinéma Lux et une salle en plein air. «Les meilleures troupes de l'époque et des stars internationalement reconnues comme Nate King Cole ou encore Rita Hayworth s'y sont d'ailleurs produites dans les années 30», rapportait en 2014 le magazine Marrakech Pocket.

Mais les 40 ans de succès de ce complexe n'empêcheront pas les propriétaires de rendre les armes. Le légendaire Ciné-Palace Théâtre est alors fermé en 1984, laissant le bâtiment à l'abandon.

En 2014, grâce à la mobilisation des acteurs associatifs, à l’instar de la section locale de l'ONG Save Cinemas in Morocco et l'association des amis du Ciné-théâtre Palace, celui-ci ouvrira ses portes une dernière fois pour abriter l'événement «Guéliz en fête» lors de la journée mondiale du patrimoine.

Mais, après bientôt un siècle d'existence, le Ciné Théâtre Palace a été partiellement détruit en octobre 2018. Sur sa page Facebook, l'association Save Cinemas In Morocco a déploré que les travaux de démolition soient les prémices d'un «futur chantier d’hôtel» d'un propriétaire originaire des pays du golfe, qui viendra se hisser à la place du mythique édifice.

Le Ciné-Palace Théâtre de Marrakech, situé sis Boulevard Moulay Rachid à Marrakech. / DRLe Ciné-Palace Théâtre de Marrakech, situé sis Boulevard Moulay Rachid à Marrakech. / DR

Cinéma Salam à Agadir ou la malédiction de «Godzilla»

Dans les années 1940, la population de la région de Souss-Massa a vu la construction de l'un de ses cinémas les plus emblématiques. Cinéma Salam (paix) se dressait alors au milieu du quartier industriel d'Agadir, avec une histoire inhabituelle mais intéressante à raconter.

Conçu par l'architecte français George Appéré pour le compte de l'homme d'affaires marocain Boubker Fakih Tetouani en 1946, l’édifice, dont l'architecture et le design étaient difficiles à ignorer, appartenait à un autre homme d'affaires basé à Agadir, appelé Yahia Yahia ou Si Yahia Ben Idder, selon des témoignages.

Sur une superficie de 1 200 mètres carrés, Cinema Salam était alors le lieu incontournable des jeunes et des cinéphiles des années 1940, 1950 et 1960, écrit Le360. En plus de son architecture extérieure moderne, inhabituelle et artistique, le cinéma était devenu célèbre après une coïncidence dramatique qui s'est produite dans les années 1960.

Le 29 février 1960, Agadir est frappée par l'un des tremblements de terre les plus meurtriers de l’histoire du Maroc. Alors que la ville s'effondrait, 400 personnes étaient à l'intérieur du Cinéma Salam pour la première projection du film japonais de 1954 «Godzilla», écrivait l’agence turque Anadolu dans un article de 2015.

Et tandis que «Godzilla», un dinosaure géant fictif, détruisait une île japonaise dans le film, la ville d'Agadir subissait le même sort causé par le tremblement de terre. Lorsque les spectateurs du cinéma quittent la salle, l’impression que «Godzilla» était aussi passé par Agadir traversa leurs esprits, confus à cause d’un mélange entre la peur et l’incompréhension.

Le cinéma Salam avait finalement survécu au tremblement de terre, restant la seule salle de cinéma d'Agadir en activité jusqu'aux années 1980, mais elle serait actuellement fermée.

Cinéma Salam à Agadir. / DRCinéma Salam à Agadir. / DR

El Gran Teatro Cervantes, le seul théâtre qui renaît de ses cendres

Bien qu’il ait fêté en 2013 son centenaire, El Gran Teatro Cervantes, le grand théâtre Cervantes de Tanger, a été abandonné depuis de longues années.

Construit entre 1911 à 1913 par le couple d’émigrés de Cadix à Tanger, Manuel Peña et doña Esperanza Orellana, le majestueux théâtre a été inauguré en 1913, avec une capacité de 1 400 places, faisant de lui, à l’époque, un bijou culturel d’une ville sous administration internationale. Grâce à l’architecte Diego Jiménez Armstrong, le bâtiment était l’un des «premiers édifices en béton armé de l’époque, les matériaux nécessaires à sa construction ont dû être importés d’Espagne», rapportait Made-in-Tanger.

Au cours de sa longue vie, El Gran Teatro Cervantes sera l’endroit culturel de premier choix à Tanger. Le théâtre abritera des reproductions d’Othelo de Shakespeare, Saladin de Nagib Hadded, le ténor italien Caruso, la comédienne française Cécile Sorel, ou encore la star égyptienne Youssef Wahbi, écrit France Culture. De grandes vedettes espagnoles viendront aussi se produire sur son scène.

Il se transformera même en «salle de cinéma et de catch». Cédé par ses propriétaires à l’Etat espagnol, le théâtre mettra toutefois la clé sous la porte, en 1974, bien qu’il ait été «longtemps loué pour un dirham symbolique au Maroc, tout en restant la propriété de l’Espagne», précise Le Monde en février dernier.

Et c’est cette année que l’Espagne a annoncé qu’elle cède cet édifice au gouvernement marocain. Un «don irrévocable» que le Maroc s’est engagé à restaurer. En juillet dernier, l’agence espagnole EFE a indiqué que le conseil de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima a approuvé un budget de cinq millions de dirhams pour à la restauration d’El Gran Teatro Cervantes.

La grande salle du théâtre Cervantès, à Tanger, en janvier 2014. / Ph. Fadel Senna - AFPLa grande salle du théâtre Cervantès, à Tanger, en janvier 2014. / Ph. Fadel Senna - AFP

Cinéma Marhaba à El Jadida, fermé à cause de «Titanic» ?

Mais l’histoire de la fermeture du Cinéma Marhaba à El Jadida reste des plus originelles. Détruite dans les années 2000 et transformée en centre commercial après avoir été vendue, elle laissera place au fameux «Al Borj» qui donne sur la plage de la ville.

Le quotidien francophone L’Economiste avait rappelé que la salle de cinéma était l’un des rares lieux de divertissement des habitants de la petite ville au sud de Casablanca.

Cinéma Marhaba a ouvert ses portes en 1953. C'était l'un des projets locaux financés et initiés par une entreprise locale appelée Société Parquet. C’est dans le cadre d’une initiative touristique visant à attirer des visiteurs et divertir les clients d'un hôtel dans la même ville que l’idée de construire une salle de cinéma avait émergée.

Pendant des années, Marhaba avait attiré de nombreux cinéphiles, dont cet habitant originaire d'El Jadida qui se souvient encore de la dernière fois qu'il y assistait à un film. A la fin des années 1990, ce Jdidi, contacté par Yabialdi, est allé au cinéma Marhaba pour regarder le film de James Cameron «Titanic», alors récemment sorti.

Mais en plein milieu du film, les participants auraient «perdu la raison à cause des événements du film et ont commencé à se battre». Le public s’est réparti en deux groupes principaux, «ceux qui soutenaient l’histoire d’amour de Jack et Rose et les partisans du fiancé de l’héroïne du film», se remémore-t-il.

«Les deux groupes ont commencé à se battre, endommageant au passage certains équipements du cinéma, y compris les chaises», ajoute le natif d'El Jadida. Les autorités de la ville étaient même intervenues pour mettre fin au «chaos» qui s'était produit.

Et c'était la dernière fois que ce cinéphile mettait les pieds au Cinéma Marhaba, détruit le 5 janvier 2001 après avoir été racheté par un autre entrepreneur.

Le cinéma Marhaba à El Jadida, remplacé depuis 2001 par un centre commercial. / DRLe cinéma Marhaba à El Jadida, remplacé depuis 2001 par un centre commercial. / DR

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