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Interview

Art Gnaoua : «Pour rester vivant, le patrimoine immatériel doit être pratiqué» [Interview]

Après la fête, le temps de la réflexion. Célébrée samedi à Essaouira, l’inscription de l’art Gnaoua sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO, vendredi, met les acteurs culturels du pays face à la priorité de penser à de nouvelles approches pour préserver cet héritage. Présidente déléguée de l’Association Yerma Gnaoua, mais aussi productrice du Festival Gnaoua et musiques du monde, Neila Tazi nous l’explique.

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Photo d'illustration / source : blog.paris-marrakech.fr
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En tant que cofondatrice du Festival gnaoua et musiques du monde, que représente pour vous cette inscription au patrimoine immatériel de l’humanité ?

Une grande émotion et une immense fierté pour le Maroc et les Gnaoua. Fière que nous ayons réussi à transformer le regard qui était porté sur eux, à les encourager à s’affirmer dans le rayonnement de leur culture, profonde, populaire et chargée d’histoire. Fière que notre pays ouvre de telles perspectives qui prouvent que l’ambition, l’engagement et la persévérance finissent par aboutir à de solides résultats, pour la culture comme pour autre chose.

Une telle reconnaissance nous encourage à nous approprier notre patrimoine culturel, à le valoriser, c’est une force pour les futures générations dans la construction de leur identité.

Neila Tazi lors du Festival gnaoua / Archive - DRNeila Tazi lors du Festival gnaoua / Archive - DR

La première demande d’inscription de l’art Gnaoua a été introduite il y a dix ans. Pourquoi a-t-il fallu tout ce temps-là avant que la requête marocaine ne soit validée ?

C’est en 2009 en effet que nous avons adressé le premier courrier au ministre de la Culture. Le but de ce courrier était d’attirer l’attention sur l’urgence d’inscrire cette tradition orale sur la liste de l’UNESCO pour la préserver, car de nombreux Maalems Gnaoua nous quittaient et nous craignions que ne disparaisse avec eux tout un pan de ce patrimoine. Il a fallu beaucoup de temps pour convaincre les acteurs concernés de l’importance de ce dossier.

L’art Gnaoua est transmis à travers les générations depuis plusieurs siècles. Faudrait-il lui trouver une formule spécifique pour le codifier et l’écrire afin de mieux le conserver ?

Justement parce que le dossier a tardé, dans un souci de préservation du patrimoine, l’Association Yerma Gnaoua a réalisé une anthologie des Gnaoua. Elle est composée d’un enregistrement audio qui dépasse 14 heures, sur neuf CDs. La totalité des textes chantés a été transcrite en arabe et traduite en français. L’anthologie comprend également un livre composé de textes apportant un triple éclairage historique, anthropologique et musicologique. Il reste encore beaucoup à faire et la phase dans laquelle nous sommes aujourd’hui ouvre forcément de réelles perspectives.

Comment cette inscription peut influencer la visibilité de l’art Gnaoua au Maroc et à travers le monde, notamment pour le détacher de l’aspect événementiel exclusif ?

C’est une question essentielle qui fera l’objet d’un travail de fond et qui nécessitera l’implication de tous, au premier plan la confrérie des Gnaoua car ce sont les communautés elles-mêmes qui décident quelles pratiques font partie de leur patrimoine culturel.

Le rôle des pouvoirs publics est aussi essentiel car de nombreux départements sont concernés. Les Etats doivent mettre au point des mesures de sauvegarde et de soutien aux expressions du patrimoine culturel immatériel. Ce dernier évolue constamment avec chaque nouvelle génération.

Des expressions du patrimoine culturel immatériel sont parfois menacées par la mondialisation, mais aussi par un manque de soutien, d’appréciation et de compréhension. Les Etats parties peuvent également soumettre au Comité intergouvernemental des demandes d’assistance et de soutien à des programmes, projets ou activités.

Pour rester vivant, le patrimoine immatériel doit conserver sa pertinence pour la culture, être régulièrement pratiqué et appris au sein des communautés et d’une génération à l’autre. Les communautés et les groupes qui pratiquent ces traditions et coutumes ont leur propre système de transmission des connaissances et des savoir-faire. Les Gnaoua continueront de s’organiser, de réfléchir, de proposer.

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