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Grand Angle

Petite histoire de l'urbanisme à Casablanca

L’histoire de l’urbanisme et de l’architecture à Casablanca a été marquée par les savoir-faire de nombreux architectes européens, qui firent de la capitale économique le vivier d’expériences qui, un siècle plus tard, font encore le charme de la ville blanche.

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Photo d'illustration. / Ph. Fadel Senna – AFP
Temps de lecture: 4'

Tous les architectes du Maroc, passés et présents, s’accordent naturellement à le dire : Casablanca fut un laboratoire architectural et urbanistique à ciel ouvert. Il n’y a qu’à arpenter certaines rues pour s’en rendre compte : la capitale économique du Maroc regorge de façades et d’immeubles au style tantôt art déco, tantôt mauresque, qui témoignent d’une riche expérience architecturale durant le XXe siècle.

Dès le débarquement français en 1907, les autorités coloniales s’inscrivent dans une perspective de modernisation de la ville, sur le long terme. «L’éclairage public est organisé, les marchés aménagés, un abattoir ouvert, les maisons numérotées, les noms des rues affichés en arabe et en français, un budget municipal est dégagé», indique le Centre culturel virtuel marocain sur son site. La ville ne tarde pas à s’attirer les faveurs des populations européennes : déjà, deux ans avant le débarquement, en 1905, on recense 570 Européens sur 20 000 habitants. Dix ans plus tard, ils seront 31 000. A ces Européens, se joignent également de nombreux Marocains qui veulent aussi profiter de la dynamique qui se met progressivement en place. Le nouveau port, dont la construction débute en 1913, n’est pas étranger à cette ruée vers Casablanca.  

Si les services publics minimaux sont encore brinquebalants, même s’ils s’organisent, que dire de l’urbanisme ? La gestion de la ville est encore totalement désordonnée. Le Centre culturel virtuel marocain ajoute que, faute d’une politique d’hygiène, le typhus et la variole se répandent comme une traînée de poudre. C’est dans ce contexte anarchique que le maréchal Lyautey fait venir l’architecte urbaniste Henri Prost, membre de la Société française des architectes urbanistes, fraîchement créée. Il sera nommé directeur du service d’Architecture et des Plans de la ville en 1914.

Casablanca, la référence

C’est ainsi que se greffent à lui une ribambelle d’architectes, d’urbanistes et d’ingénieurs qui ont pour mission de concevoir les plans directeurs des grandes villes du Maroc telles que Rabat, Fès, Meknès, Marrakech et, bien sûr, probablement la plus prometteuse d’entre elles : Casablanca. Un an après son arrivée, en 1915, Henri Prost présente son premier plan d’aménagement pour cette ville. «Il va inscrire définitivement Casablanca dans l’histoire des villes modernes, en mettant en œuvre pour celle-ci, voulue "capitale économique" dotée d’un grand port par le Général Lyautey, une réglementation originale et innovante en matière d’urbanisme», explique l’association Casamémoire.

Pendant ses huit années au Maroc, Henri Prost ira puiser auprès des expériences allemandes et américaines pour le zonage, les occupations des sols, les gabarits, les alignements et remembrements… «La mise en pratique de ces nouvelles règles ne pourra se faire, en France, qu’après la première guerre mondiale, faisant de Casablanca une référence», souligne également Casamémoire.

La bataille du logement social

Il faudra attendre l’arrivée de Michel Écochard, lui aussi architecte et urbaniste, pour qu’émerge un nouveau plan d’aménagement – celui de Henri Prost restera en vigueur jusqu’à la fin des années 40. A son arrivée, Michel Écochard ne cache pas sa déception face au contraste entre les illusions entretenues par les autorités coloniales et la réalité urbanistique du Maroc d’alors. «La propagande est une belle chose... Elle m’avait fait croire, comme à tant d’autres, que le Maroc était la patrie de l’urbanisme, que tout était réglé, organisé, et que les villes et les campagnes se développaient dans l’harmonie la plus parfaite», écrira-t-il. Il découvre ainsi que tout reste à faire, notamment sur le front du logement des populations marocaines, et décide de «reprendre Casa».

En 1951, il suggère de mettre en œuvre un plan d’extension linéaire le long de la côte qui reliera les deux pôles portuaires de Casablanca et de Mohammedia, bordé par la création de l’autoroute Casablanca-Rabat. On lui doit aussi la percée de l’avenue des F.A.R. et, surtout, «la bataille du logement social face aux intérêts du grand capital», qu’il mènera entre 1946 et 1952. Au Maroc, il «met les théories modernes à l’épreuve des données locales et de la problématique des bidonvilles et développe des solutions novatrices d’''habitat pour le plus grand nombre''», précise dans ce sens Marlène Ghorayeb, architecte urbaniste, dans une thèse intitulée «Transferts, hybridations et renouvellements des savoirs. Parcours urbanistique et architectural de Michel Écochard de 1932 à 1974» (2018). Elle ajoute que ce dernier «participe à un changement de perspective qui permet à l’architecture et à l’urbanisme de s’adresser à grande échelle à des catégories populaires».

Son autre combat l’opposera aussi à la bourgeoisie marocaine, qui ne cache pas son hostilité à l’égard de ses tentatives de mettre en place les prémisses d’une justice sociale, lit-on dans les travaux d’Éric Verdeil, spécialiste de géographie urbaine et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). «Ecochard se fait le héraut d’une approche volontariste et fonctionnaliste de maîtrise de la croissance urbaine, tout en prônant de nouvelles approches en matière d’habitat adapté pour les pauvres, qu’il popularisera dans diverses publications sous le nom d’habitat pour le plus grand nombre. Cette expérience marocaine se termine sur des conflits qui l’opposent à la bourgeoisie coloniale, hostile à ses tentatives de contrôler la spéculation foncière.» Un siècle plus tard, le combat contre la spéculation foncière et le chantier en faveur d’une meilleure gestion de l’urbanisme casablancais sont bien loin d’être achevés.

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