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Grand Angle

Les violences faites aux femmes, une affaire d’hommes

La lutte contre les violences faites aux femmes ne passera pas sans l’implication des hommes. Encore faut-il que la société ne les encourage pas à la violence, à travers des valeurs culturelles et religieuses qui imprègnent encore profondément les rapports entre hommes et femmes au Maroc.

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Des femmes brandissent des affiches en signe en soutien à Amina Filali, qui s'est suicidée le 17 mars 2012 devant le parlement à Rabat. / Ph. Abdeljalil Bounhar – AP
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On ne parle que d’elles mais jamais d’eux. Les violences faites aux femmes sont abordées à travers les témoignages de celles qui en sont victimes, les lois insuffisantes, les responsables politiques pas assez impliqués, les valeurs, culturelles ou religieuses, qui légitiment cette violence, mais quid des hommes ?

Les «16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles» ont débuté le 23 novembre et se poursuivent jusqu’au 10 décembre, accompagnés du hashtag #Hit_Ana_Rajel. Le combat des violences, toutes confondues, faites aux femmes serait-il en train, enfin, d’inclure les hommes – pères, maris, frères, oncles ? Oui, quoi qu’encore timidement. C’est pourtant au sein même du noyau familial que la violence et le sexisme s’inculquent, plus ou moins consciemment, avant même l’espace public, qui n’est que le reflet, et le réceptacle, d’un modèle éducatif basé sur une injonction à la virilité pour les hommes ; à l’obéissance pour les femmes.

«Un enfant qui voit son père violenter sa mère risque de développer un mode de communication et d’argumentation basé uniquement sur la violence», observe la sociologue Soumaya Naamane Guessous, chevronnée sur les problématiques liées aux droits des femmes et de la famille. «La culture joue aussi un rôle important : lorsqu’on est dans une société où la femme est contrainte de se soumettre à l’homme, où les relations hommes-femmes sont régies par l’autorité, la soumission, cela paraît normal qu’un homme ait recours à la violence pour assujettir une femme qui n’obéit pas», ajoute la sociologue. «Pour ces hommes, la violence est un mode de communication plus efficace, plus rapide, qui leur permet d’évacuer leur frustration face au refus de leur femme de se soumettre», analyse Soumaya Naamane Guessous.

La communication, un outil au service de la violence

La sociologue en veut pour preuve les violences exercées par des hommes sur leurs épouses au sein même de l’espace public, ne provoquant souvent aucune réaction des passants. «Les gens se disent que, parce que c’est son épouse, ce comportement est normal. Une telle représentation des rapports hommes-femmes encourage forcément les hommes à être violents.»

Khadija Ryadi, ancienne présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), estime de son côté que les hommes sont appelés à réformer leur masculinité. «La virilité ne doit pas être lié à la violence, à l’autorité ou à un rapport de force qui place les femmes dans une situation vulnérable», nous dit-elle.

L’appréciation de l’honneur d’une femme à sa virginité légitime également la violence et la domination des hommes à son égard. «Ces constructions des rapports entre les genres donne aux hommes toute latitude de tabasser une femme qui ne rentre pas dans la norme que l’on attend d’elle», estime Soumaya Naamane Guessous. La notion de devoir conjugal, qui se mue parfois en viol conjugal, tremplin à la culture du viol, constitue aussi une autorisation sous-jacente de violence. Pour la sociologue, on en revient là à la gestion des émotions, des colères, des frustrations :

«Les contrariétés peuvent être le terreau de la violence, d’où la nécessité de savoir les gérer. Il faut faire de la communication un outil d’harmonisation des relations humaines, et un instrument au service de la violence, qui plus est à l’égard des femmes.»

Soumaya Naamane Guessous

De façon générale, la sociologue remarque que la violence est partout, y compris dans l’enseignement. «La pédagogie du système public, c’est la violence physique et verbale : quand vous ne tabassez pas, vous n’éduquez pas. D’ailleurs, on n’éduque pas les gens : on les dresse.» Avec son époux, l’anthropologue Chakib Guessous, Soumaya Naamane Guessous dit avoir sollicité plusieurs fois les autorités nationales, dans le cadre associatif, pour sensibiliser à la violence dans le système scolaire. «On nous l’a refusé», dit-elle, estimant que l’école véhicule malgré elle l’idée que pour atteindre son objectif, il faut nécessairement passer par la violence. Y compris donc avec les femmes.

La sociologue note cependant un changement de mentalité, quoi qu’encore timide, de plus en plus de femmes étant moins soumises : «Tout porte à croire que les nouvelles générations peuvent vivre de façon plus respectueuse, ne serait-ce que parce qu’elles vivent dans la mixité et parce que les hommes ont affaire à des femmes de moins en moins soumises.»

Khadija Riadi est quant à elle moins optimiste : «Quand on parle de quelques élites, oui, mais ce n’est pas l’ensemble de la société. Il y a trente ans, les femmes étaient plus libres qu’aujourd’hui. Il y a au contraire, de nos jours, plus de violence, de normalisation de la violence et de l’infériorisation des femmes dans notre société», conclut-elle.

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