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Grand Angle

Fikra #29 : Les étudiants subsahariens au Maroc, visages d’une autre immigration

Les étudiants subsahariens dont l’autre versant de l’immigration au Maroc : celle qui vient pour apprendre. De leur côté, les écoles et universités marocaines ont donc un rôle stratégique à jouer dans la formation des compétences subsahariennes de demain.

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Photo d'illustration. / DR
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L’immigration subsaharienne au Maroc n’est pas qu’irrégulière, loin s’en faut. Avec environ 18 000 étudiants subsahariens en 2017, le royaume est devenu un hub régional attractif dans le domaine de l’enseignement supérieur. La tournée africaine du roi Mohammed VI entre février et mars 2014, puis entre 2016 et 2017, a redéployé les cartes d’une nouvelle configuration géopolitique sur le continent.

Dans le sillage de cette stratégie, l’enseignement supérieur marocain s’est attiré les faveurs de jeunes africains subsahariens, séduits par «la diversité des formations proposées et dont certaines n’existent pas en Afrique subsaharienne», nous explique Lionel Nzamba, auteur d’une étude intitulée «Immigration estudiantine subsaharienne : quel enjeu pour le Maroc ?» (Centre Jacque-Berque, 2015). Les établissements de l’enseignement supérieur, qu’ils soient publics ou privés, ont de ce fait participé à «humaniser» la politique migratoire du Maroc, marquée notamment par une première opération de régularisation de migrants en 2014, puis une seconde en 2016. La première avait notamment permis à 18 000 personnes en situation irrégulière d’obtenir un titre de séjour pour rester légalement sur le territoire marocain, sur environ 28 000 dossiers déposés – la plupart était originaire d’Afrique subsaharienne.

Un rôle stratégique dans la formation des élites subsahariennes…  

«Encouragés par un cadre juridique et institutionnel favorable, les établissements d’enseignement supérieur participent à une immigration subsaharienne légale. Ils mettent en avant les atouts du Maroc, notamment la proximité ou la diversité de l’offre de formation directement liée au développement de l’Afrique. Ils multiplient ainsi leur chance d’accueillir les futurs dirigeants d’États, d’organisations régionales et internationales ou d’entreprises», indique Lionel Nzamba dans son étude.

«Le durcissement des conditions d’admissions des Africains dans certains États, en particulier européens et nord-américains, a permis à d’autres États de révéler leur potentiel et de concurrencer l’hégémonie occidentale en matière de transmission du savoir. Le Maroc devient ainsi une alternative aux coûts élevés des études dans ces pays, qui restent néanmoins des destinations privilégiées de familles aisées.»

Lionel Nzamba

Force est de souligner que les écoles et universités marocaines ont donc un rôle stratégique à jouer dans la formation des compétences – voire de l’élite – subsahariennes de demain.

«Le rôle des établissements d’enseignement supérieur marocains est capital dans l’intégration des étudiants subsahariens. Les écoles et universités marocaines, c’est le Maroc en miniature. Ce sont autant de milieux qui permettent une première interaction, une première familiarisation avec la société marocaine», observe encore Lionel Nzamba.

Le Maroc table aussi sur cette présence estudiantine subsaharienne pour assurer ses lendemains : «Le droit à l’éducation est certes mentionné dans la constitution, mais le Maroc pense aussi business : quand vous faites venir un étudiant étranger, vous ne faites pas venir ''qu’un'' étudiant : vous faites aussi venir de futures compétences susceptibles de rester au Maroc et de participer au développement de l’économie du pays.» Lionel Nzamba note aussi que cet attrait pour les universités et écoles marocaines «permet de désengorger certaines universités d’Afrique centrale qui connaissent des dysfonctionnements, comme le Congo ou le Gabon, qui ont du mal à faire fonctionner leurs universités».

…mais des étudiants parfois démunis

Du côté des étudiants subsahariens, d’après les observations de Lionel Nzamba, beaucoup repartent dans leurs pays respectifs même si, admet-il, aucune statistique n’est pour l’heure disponible. Parmi ceux qui repartent, certains ont eu au Maroc une mauvaise expérience et se sont heurtés au racisme et à la discrimination.

«Ce ne sont pas eux qu’on peut considérer comme des ambassadeurs du Maroc. Ils sont restés focalisés sur des préjugés alors que, côté marocain, j’observe que la population s’est adaptée à la présence étrangère, en l’occurrence subsaharienne, au Maroc.»

Lionel Nzamba 

Pour le doctorant-chercheur, «la décision de quitter le Maroc répond à une série de questions telles que l’adaptation sociale, les conditions de vie, etc., et prend en considération les débouchés au Maroc, la possibilité de poursuivre les études ou de s’engager dans une activité professionnelle». Et d’ajouter enfin : «Pour ceux encore en formation, le départ du Maroc est parfois précipité et justifié pour certains par des évènements personnels ou académiques (degré de satisfaction de l’enseignement reçu, suppression de la bourse, etc.). Ceux dont la volonté de rester au Maroc est plus forte nagent à contre-courant et poursuivent leurs études dans le public ou le privé sans aucune bourse, ni de l’AMCI (Agence marocaine de coopération internationale, ndlr), ni même de leur État. Alors, partir ou rester ? Pour les étudiants, c’est une question soit de détermination, soit de moyens financiers. Il ne serait donc pas étonnant de trouver d’anciens étudiants en ''situation administrative irrégulière'' toujours au Maroc.»

L'ouvrage

«Migrants au Maroc. Cosmopolitisme, présence d’étrangers et transformations sociales» est un ouvrage collectif coédité par la Fondation Konrad Adenauer Stiftung de Rabat et le Centre Jacques Berque, fin 2015, dans la perspective d’«apporter une plus-value à la recherche sur les migrations, tout en interrogeant différentes réalités et concepts régulièrement diffusés, en particulier dans le contexte du Maroc contemporain».

L'auteur

Lionel Nzamba est juriste, doctorant-chercheur en droit public à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat-Agdal. Il travaille pour l’organisation Cités et gouvernements locaux unis-Afrique (CGLU-Afrique), qui soutient la coopération internationale entre les villes et leurs associations et facilite la mise en place de programmes, de réseaux et de partenariats afin de renforcer les capacités des gouvernements locaux. Il vit au Maroc depuis 2005.

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