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Grand Angle

Maroc : Petits agriculteurs mais grands enjeux

Difficultés d’accès au foncier agricole et au marché, risque de repliement du monde rural sur lui-même… Les petits et moyens agriculteurs se heurtent à plusieurs difficultés que les dispositifs mis en place ne solutionnent pas toujours, faute d’accès aussi aux bonnes informations.

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Photo d'illustration. / DR
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«L’amélioration de la productivité et des conditions de l’agriculture marocaine ne se fera pas sans les petits agriculteurs.» A entendre Zakaria Kadiri, ingénieur agronome à l’Ecole nationale d’agriculture (ENA) de Meknès, les petits et moyens agriculteurs représentent la pierre angulaire de l’agriculture marocaine. «Environ 70% des exploitations agricoles font moins de 5 ha», nous dit celui qui est également sociologue et enseignant chercheur à l’université Hassan II Casablanca.

Deux catégories de travailleurs agricoles dont le Plan Maroc vert (PMV) a fait une priorité, ainsi que l’a affirmé lundi à Rabat le ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts, Aziz Akhannouch. Selon le ministre, relayé par la MAP, 733 000 agriculteurs ont bénéficié des projets du pilier II du PMV, entraînant la mise en œuvre de 985 projets pour un budget de 14,5 milliards de dirhams. Au total, les 60 projets d’agrégation agricole concernent plus de 52 000 agriculteurs agrégés, et les projets d'aménagement hydro-agricole ont permis l’amélioration des revenus de plus de 190 000 petits agriculteurs.

Pour une «pédagogie du simple»

Reste que les enjeux auxquels font face les petits et moyens agriculteurs sont encore nombreux, notamment l’accès au foncier agricole. «Dans l’état actuel des choses, les terrains sont beaucoup plus accessibles à ceux qui en ont les moyens. Il n’y a pas au Maroc d’agences de régulation afin de ne pas laisser les terres aux mains de quelques privilégiés. Or dans un marché totalement libre en termes de foncier, les spéculations vont bon train : c’est là toute la complexité du foncier agricole marocain», explique Zakaria Kadiri. D’autant que le foncier marocain se heurte lui-même à diverses contraintes, notamment l’«exiguïté des exploitations (…) et la multiplicité des statuts fonciers dont la précarité ne garantit pas les conditions de sécurité et de stabilité», liste Ahmed Daoudi, conseiller au ministère de l’Agriculture, dans une note sur la régulation foncière au Maroc.

Autre enjeu, selon Zakaria Kadiri : l’accès au marché. «C’est aussi valable pour l’agriculture exportatrice et intensive, mais avec d’autres problématiques. Il faut mettre l’accent sur la manière dont est organisée l’accès au marché pour les petits et moyens agriculteurs», estime l’ingénieur. Il y a bien Tamwil El Fellah, la filiale du groupe Crédit Agricole du Maroc qui se veut un levier d’accompagnement des agriculteurs qui bénéficient de projets relevant du pilier II du PMV, mais encore faut-il que l’information parvienne jusqu’à bon port. «La mise en place de ces mécanismes ne signifie pas que les petits et moyens agriculteurs vont y avoir accès ou les solliciter. Certains agriculteurs ne profitent même pas de subventions car ils ne savent tout simplement pas qu’elles existent. Il faut tout un travail de pédagogie, d’accompagnement et de conseil pour connecter les agriculteurs à ces mécanismes», préconise Zakaria Kadiri. Rien que sur le front des nouvelles technologies, des solutions de mises en réseau simples et peu coûteuses peuvent émerger.

«Dans certains pays du Sud, WhatsApp a permis de tisser des réseaux et de faciliter l’accès des agriculteurs à certains marchés. La pédagogie du simple est une bonne chose car l’agriculture, c’est au quotidien, ce sont des gens qui vivent dans cet espace agricole. Il ne s’agit pas de mettre aux côtés de l’agriculteur un conseiller agricole chaque jour, mais simplement des dispositifs simples comme apporter une réponse à une demande qui peut être quotidienne.»

Zakaria Kadiri

Ouvrir le rural à d’autres potentialités

Le grand piège qui guette les petits agriculteurs, estime encore Zakaria Kadiri, c’est de «ne penser le rural qu’à travers sa composante rurale». Le sociologue de développer : «L’agriculture ne peut pas absorber à elle seule toutes les demandes d’emploi, c’est pour cela qu’il faut aborder ce secteur dans sa globalité. Il y a d’autres composantes, d’autres métiers qui se créent en marge de la ruralité. Par exemple un agriculteur qui a une panne dans son système d’irrigation localisée, au lieu de faire venir une grande société spécialisée, va peut-être plutôt faire appel à quelqu’un du coin qui a su accumuler une certaine expérience et va lui réparer son modèle. Globalement, l’emploi dans les territoires ruraux doit être réfléchi en dehors de l’agriculture.»

Pour Mostapha Errahj, lui aussi enseignant-chercheur à l’Ecole nationale d’agriculture de Meknès, pointe de son côté des défaillances liées à des territoires de moins en moins accueillants pour la population et, dans la même veine que Zakaria Kadiri, recommande de miser sur le développement de potentialités dans l’emploi. «Il faut rendre la petite agriculture viable et durable, offrir de l’emploi car c’est le meilleur mécanisme de redistribution des richesses en l’absence d’une fiscalité claire et équitable. La grande agriculture est pilotée depuis les villes, alors que la petite agriculture, pleinement intégrée dans les espaces ruraux, est un gisement d’emploi dont il faut profiter», insiste-t-il.

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