A l’image de son opération Ecouvillon, durant laquelle elle combattait avec l’Espagne l’armée de libération nationale-section Sud dans le Sahara, la France est intervenue militairement de décembre 1977 à juillet 1978 en Mauritanie, pour protéger ses intérêts et venir en aide au pouvoir de Mokhtar Ould Daddah.
En effet, les accords de Madrid, signés le 14 novembre 1975 entre le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie ont permis à celle-ci d’hériter la région de Dakhla-Oued-Ed-Dahab. Le pays, qui venait à peine de souffler sa 15e bougie après son indépendance de la France en novembre 1960, se transforme vite en une cible facile pour les mercenaires du Polisario, ayant déjà affuté ses techniques de guérilla.
Ainsi, depuis la fin de 1975 et tout au long de 1976, le mouvement séparatiste mène conjointement des attaques au Maroc comme en Mauritanie. Dans le pays de Changuit, le mouvement d’El Ouali Mustapha Sayed frappe plusieurs villes du nord et attaque même la capitale Nouakchott, le 8 juin 1976.
Mauritanie – France, des otages et des intérêts
Le gouvernement français intervient alors, en signant le 2 septembre 1976 un «Accord d'assistance militaire», qui «prévoyait une aide française pour l'organisation, l'équipement et l'entraînement des armées et de la police nationales», écrivent Stephen Zunes et Jacob Mundy dans «Western Sahara: War, Nationalism, and Conflict Irresolution» (Editions Syracuse University Press, 2010).
Le Front Polisario se concentre alors sur un emplacement stratégique qui porte un coup dur aussi bien à la Mauritanie qu’à la France : le chemin de fer reliant Zouerate à Nouadhibou, construit et entretenu par la France et considéré comme «artère principale de l’économie du pays». «Le Polisario s’appuie sur une tactique de guérilla basée sur des montures rapides capables de surprendre la cible et de revenir rapidement d’où elle vient. Dans ce cadre, la Land Rover a remplacé le chameau, la Kalachnikov et parfois des missiles sol-air, remplaçant l'épée», écrit le général Michel Forget, dans «Mauritanie 1977 : Opération Lamentin».
Le dispositif aérien mis en place par la France. / Ph. pilote-chasse-11ec
Ainsi, le 1er mai 1977, Zouerate est attaquée par le Polisario qui tue deux Français et enlève six autres. La ville est à la merci des mercenaires du Front qui la revisite à deux autres reprises. Lors de la dernière, ils attaquent, le 25 octobre, le train et capturent deux Français et 18 Mauritaniens, offrant à la France un argument solide pour intervenir militairement.
Car, avant de prendre la décision de venir en aide à la Mauritanie, les Français ont appelé l'Algérie à intervenir pour secourir les prisonniers sur son territoire, en vain. Toutes les tentatives visant à établir la communication avec le Polisario ont échoué.
Trois frappes aériennes qui font mal au Polisario
Le 7 novembre 1977, au lendemain des négociations, l’Algérie a organisé «la grande manifestation contre une éventuelle intervention militaire française» contre le Polisario et «la plus grande manifestation anti-française depuis la guerre de libération», font remarquer Stephen Zunes et Jacob Mundy.
En réalité, l’intervention française avait été approuvée en principe le lendemain de l’attaque du train, le 28 octobre. Un général de l’armée de l’air a été nommé commandant de l’opération et les préparatifs ont commencé pour l’opération qui sera baptisée «Lamantin». Elle consiste en des tirs aériens directs, effectués entre décembre 1977 et mai 1978 sur les colonnes du Front bien que ce dispositif ne soit maintenu en place jusqu’en mai 1980, explique Raiymbek Mukhamediyar dans un article intitulé «Opération Lamantin».
Les Jaguars de l'armée française. / Ph. pilote-chasse-11ec
Le 22, un convoi de 50 voitures du Polisario a également attaqué le train au niveau du village Twajeel. Cela conduit le commandant de l’opération Lamantin de devenir le «commandant des forces françaises en Mauritanie». Le 29 novembre, la France place ainsi ses parachutistes en alerte et envoie des renforts depuis le Cap Vert et le Sénégal. «La base française de Dakar abritait dix-huit avions Jaguar et douze avions de combat, avions de reconnaissance et avions de ravitaillement Mirage III, ainsi que des avions ravitailleurs KC-135», écrivent Stephen Zunes et Jacob Mundy.
Le 12 décembre, les forces françaises obtiennent officiellement le feu vert pour attaquer, suite à une opération des milices du mouvement séparatistes à Zouerate. Deux avions Jaguar attaquent alors le convoi, permettant de détruire un quart des véhicules du Polisario et libérer des otages mauritaniens. Le même convoi sera attaqué à nouveau alors qu’il se retirait du territoire mauritanien, provoquant la décimation d'un tiers des véhicules.
Un avion français faisant la reconnaissance tout au long de la voie ferrée mauritanienne. / Ph. pilote-chasse-11ec
L’intervention qui démasque le soutien algérien au Polisario ?
Les forces françaises recevront un autre feu vert le 18 décembre 1977, détruisant ainsi la moitié des véhicules du Polisario et permettant à l’armée mauritanienne d’acter sa vengeance. Elle peut désormais faire face à deux attaques du Polisario sans l’intervention de la France, le 2 et le 28 février 1978, rapporte le général Michel Forget.
L’intervention française dans le cadre de l’opération Lamantin avait suscité plusieurs interrogations à l’époque. Car, si certains estiment que «les otages n’avaient servi que de prétexte au gouvernement français pour riposter contre le Polisario, qui avait sérieusement déstabilisé la Mauritanie et menaçait de plus en plus le Maroc», d’autres rappellent que l’opération n’a pas permis grand-chose. La faiblesse des forces mauritaniennes conduira finalement au renversement du président Mokhtar Ould Daddah au milieu de 1978.
Un véhicule mis hors service. / Ph. pilote-chasse-11ec
Les nouveaux dirigeants s’attableront avec le Polisario pour conclure, en août 1979, un accord de paix ; Nouakchott se retirant de la partie sud du Sahara tout en reconnaissant la «RASD». Le gouvernement français aurait joué un rôle dans cet accord, comme l’écrivent les auteurs de «Western Sahara: War, Nationalism, and Conflict Irresolution». Un plan que le roi Hassan II va parvenir à faire échouer à temps.
Mais l’opération Lamantin coutera cher à la France, notamment pour ses intérêts en Algérie. C’est d’ailleurs au cours de ses interventions et à la suite des frappes aériennes que le président algérien Houari Boumedienne, qui était contre l’intervention pour ne pas révéler le grand soutien algérien au Polisario, nationalise plusieurs sociétés françaises.