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Grand Angle

Droits sexuels : Au regard du Code pénal, le Maroc est parmi les plus restrictifs de la région

L’organisation internationale Sexual Data Base qui regroupe plusieurs associations à travers le monde a récemment publié un comparatif juridique et chiffré sur les pratiques légales relatives aux droits et aux libertés sexuelles. Il en ressort que sur le strict plan juridique, le Maroc fait partie des pays les plus restrictifs en Afrique du Nord et au sein de pays arabes.

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Dans le cadre du procès de Hajar Raïssouni, des militants de la société civile ont dénoncé l'usage politique de lois liberticides en termes de droits sexuels, dirigés pour brimes des acteurs associatifs ou encore des journalistes / Ph. Fadel Senna (AFP)
Temps de lecture: 5'

Le Maroc fait partie des quinze pays où l’âge légal de consentement sexuel se situe entre 18 et 19 ans, tandis que l’interdiction des relations sexuelles hors-mariage est punie par le Code pénal, conformément à l’article 490. Les dispositions connexes englobant l’ensemble des droits sexuels à travers un comparatif par pays a fait l’objet d’une étude, publiée récemment par l’ONG internationale Sexual Data Base, qui s’intéresse également aux droits reproductifs, au statut de la prostitution et de la traite sexuelle ou encore des relations homosexuelles.

De cette étude dont des données relatives au Maroc sont parvenues à Yabiladi à travers les contributeur à ce travail, il ressort que si le pays se base essentiellement sur un droit positif -emprunt cela dit de dispositions religieuses- son arsenal au niveau du Code pénal reste des plus restrictifs en termes de relations hors-mariage dans la région MENA et les pays comptant des communautés musulmanes.

Le Code pénal marocain est parmi les lois écrites les plus restrictives de la région

En effet, ce comparatif révèle que 18 sur 24 pays reconnaissant la religion musulmane en leur sein n’adoptent pas de lois équivalentes à l’article 490 du Code pénal marocain. Parmi ces Etats, on retrouve d’ailleurs l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, le Bangladesh, le Burkina Faso, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kosovo, la Jordanie, la Turquie, ou encore l’Albanie, entre autres.

Mais dans d’autres, notamment l’Arabie saoudite, le consentement sexuel et les relations qui s’ensuivent restent conditionnés par le mariage. Dans les pays voisins, seule la Mauritanie dispose d’un texte similaire à celui du Maroc, dans l’article 307 de son Code pénal, qui est cependant en cours d’abrogation, selon les données du Sexual Data Base.

Dans les pays du Golfe sauf cinq (l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn, le Koweït), «il existe un article similaire mais d'application souple», explique la même source.

«Bien qu’il existe un article similaire à l’article 490, le respect de la vie privée est institutionnalisé. Par ailleurs, la violation du domicile est stricte est encadrée: elle ne peut se faire que sous certaines conditions, par exemple en cas de prostitution ou de traite d’êtres humains. Enfin, l’acte de mariage n’est pas demandé dans les établissements touristiques même pour les musulmans.»

Avocate spécialiste en droit pénal et de la famille, Khadija Rougani explique à Yabiladi que «malgré l’aspect religieux auxquels peuvent s’apparenter des dispositions marocaines relatives aux libertés individuelles de manière globale, il faut savoir qu’un nombre important parmi eux sont contradictoires avec des principes de la religion musulmane».

Le rite malékite ne fait pas le progressisme de l’analogie (ijtihad)

A titre d’exemple, Khadija Rougani fait remarquer que l’article 490 du Code pénal donne lieu aux applications les plus rétrogrades, dépassant même les conditions prévues dans les préceptes musulmans pour établir une relation sexuelle hors-mariage.

«Du point de vue religieux pur et dur, beaucoup de conditions doivent être réunies pour établir ces liens sans porter préjudice aux personnes ; de nos jours, il est impossible de les réunir toutes, car il est par exemple difficile de prendre des couples hors-mariage en flagrant délit dans des espaces accessibles au public, tandis que la religion interdit de braver les lieux intimes, notamment les maisons ou les chambres d’hôtels», explique-t-elle.

«C’est une image parmi tant d’autres qui montrent que le Code pénal peut être plus rigoristes que certaines dispositions religieuses auxquelles se sont greffées des interprétations analogiques (ijtihad) faites par les homme et son applicabilité l’est encore plus.»

Khadija Rougani, avocate au barreau de Casablanca

«De plus, l’article 490 parle de relations sexuelles proprement dites, alors qu’au nom de ce texte, des femmes peuvent se faire arrêter par le simple fait d’être en tête à tête avec un homme dans un lieu fermé ou parfois même dans des lieux communs, à certaines heures de la journée», souligne Me Rougani pour évoquer les différentes applications aléatoires émanant pourtant d’une même loi.

«On se targue de l’ouverture de notre rite malékite alors qu’il suffit de s’inspirer ou tout simplement de connaître certaines lois dans d’autres pays dont les dispositions tiennent compte d’une base religieuse, à des degrés différents, pour se rentre compte que le malékisme n’est pas un verrou aussi efficace qu’on nous le présente contre le rigorisme», nous explique encore une juriste.

Khadija Rougani met en avant qu’en termes de droits sexuels, l’homosexualité reste tout autant répressible en vertu de l’article 489, contrairement à d’autres pays comptant des communautés musulmanes. En dépit des pratiques actuelles, les textes écrits n’y punissent pas expressément cette forme de relations. C’est le cas en Irak, en Egypte, en Jordanie, en Turquie, au Tadjikistan, au Tchad, au Bangladesh, Koweït, Malaisie, Turkménistan et Brunei pour les femmes et au Bahreïn pour les hommes.

Des lois et des mesures qui tirent l’évolution des mentalités vers le bas

Au Maroc, lorsque d’autres dispositions pénales punissent plutôt l’«attentat à la pudeur», celles-ci ne définissent pas clairement le sens de ce terme. «Cela a donné lieu à des affaires absurdes, comme par exemple celle d’Inezgane avec la comparution des jeunes filles uniquement pour avoir porté des shorts ou des mini-jupes, car un homme s’étant senti offensé par leurs habits a porté plainte», rappelle Me Rougani.

Pour l’avocate, «la loi est censée être un outil pédagogique, elle influence les esprits, quel que soit son essence et doit donc forcer la société à être à la hauteur d’un certain progressisme régissant la vie en société». Et celle-ci de souligner que «de toutes les manières, les restrictions les plus dures envers les droits sexuels ne donneront lieu qu’à une transgression plus forte». A titre d’exemple, «les statistiques associatives sur l’interruption volontaire de grossesse pratiquée quotidiennement au Maroc dépassent celles des pays dont la législation est plus souple sur cette question», soutient Khadija Rougani.

L’avocate s’explique en d’autres termes : «Lorsqu’une loi permet à toutes et à tous d’exercer des droits dans un cadre légal, cela impacte considérablement la paix sociale. A l’inverse, une loi régressive ne fera qu’accentuer les contrastes et creuser les disparités entre l’esprit des lois et les réalités sociales. Ce mécanisme enclenche un mauvais cycle de renferment qui s’étend souvent à d’autres questions connexes, notamment les droits des femmes et les dispositions de protection des victimes en cas de violations de leurs droits, faute de démarches anticipatrices qui prennent connaissance des multiples réalités.»

A ce propos, Khadija Rougani tient à souligner la dimension historique de cette dichotomie : «Le Code pénal date de 1962 et n’oublions pas qu’il est emprunt de dispositions datés du Protectorat, d’autant plus que les priorités de ce temps-là ne sont pas celles du Maroc d’aujourd’hui.»

L’avocate plaide ainsi que «le contexte du XXe siècle n’est pas celui de l’heure actuelle, où nous sommes appelés à réorganiser les priorités, notamment en décolonialisant nos lois, en harmonisant leur esprit dans une démarche de cohérence pour que chemin faisant, elles lèvent aussi le poids du patriarcat sur les femmes comme sur les hommes d’ailleurs».

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